Chaque mois, Angélique de Lencquesaing commente l’actualité du marché des grands crus, vue sous un angle patrimonial. Et pour cause, puisqu’elle est interviewée par Cédric Decoeur, rédacteur en chef de l’émission BFM Patrimoine. Pleins feux sur la rentrée des grands vins.

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Cédric Decoeur : Angélique de Lencquesaing, vous suivez de près le monde des enchères de vin, et particulièrement celui des grands crus. Nous allons voir ensemble aujourd’hui dans quelle mesure il est affecté par la situation géo-politique et économique actuelle.

Vaste programme…

C. D. : Première question : depuis le début de la guerre en Ukraine, avez-vous constaté des effets sur le monde des enchères ?

Il serait infondé d’attribuer l’évolution du marché des grands crus depuis l’invasion de l’Ukraine, le 24 février dernier à cette situation de guerre, et ce d’autant plus que la bonne santé de ce marché peut sembler paradoxal. En revanche, quand on se retourne sur les six derniers mois, c’est plus le contexte économique, pour partie induit par cette guerre, qui pourrait avoir des répercussions.

Je pense à trois indicateurs en particulier, le niveau des taux d’intérêt, le cours de l’euro, et la reprise de l’inflation. Le tout, dans un contexte général assez morose et anxiogène, que les derniers développements ne contribuent pas à apaiser.

C. D. : Effectivement, quelles en sont les conséquences sur ce marché ?

Compte tenu de notre antériorité de plus de 20 ans sur ce marché, nous avons pu le constater : lors des crises économiques, financières et/ou boursières (2002, 2008, 2011…) le vin exerce pleinement son rôle de valeur refuge. Comme pour l’ensemble des biens (immobilier, luxe), les vins de grande qualité s’apprécient, tandis que les produits de moindre niveau se vendent beaucoup plus difficilement. Les acheteurs se concentrent sur les signatures phares, dans les plus grands millésimes, les années de garde.

Le contexte actuel nous a permis de le vérifier. La concentration est encore plus forte ces derniers mois. L’effet prix est colossal. Au premier semestre, pour un volume de flacons adjugé aux enchères qui est demeuré stable, la valeur adjugée a bondi de 65% !

C. D. : On parle toujours des mêmes signatures, en Bourgogne, dans la vallée du Rhône ou à Bordeaux ?

Oui et non. Certes, les vins qui ont fait la Une en 2021 dans nos palmarès restent au sommet. Je veux parler des domaines de la Romanée-Conti, Rousseau, Roumier ou Leroy en Bourgogne, Rayas, Chave dans le Rhône, Petrus à Bordeaux. Oui, ceux-ci ont continué à concentrer des enchères venues du monde entier. Des enchères portées par l’effet de change, dans un contexte d’euro faible. C’est là que le deuxième indicateur que j’évoquais entre en jeu. L’attractivité du marché des grands crus est portée par l’effet de change.

Mais, dans leur quête de rareté, les amateurs ont aussi massivement plébiscité les domaines parfois confidentiels qui travaillent désormais de façon naturelle. Bizot, Prieuré-Roch, Les Horées en Bourgogne, et beaucoup d’autres dans les autres régions, pas seulement dans ces trois vignobles traditionnels.

C. D. : Mais tout de même, si les taux d’intérêt remontent, le vin, actif de diversification patrimoniale, perd un peu de son attrait ?

Le vin a une caractéristique particulière, qui le distingue de tous les autres produits de luxe auxquels on pourrait être tenté de l’associer : c’est un bien vivant, destiné à être bu, donc détruit. Rien à voir avec un produit de luxe, un sac, conçu pour durer. Cette destruction, au fil des ans, augmente mathématiquement la rareté du bien. Donc, même si le marché se retourne, même si les taux remontent, même si les amateurs se détournent de l’essentiel du marché des grands crus, les flacons les plus rares, les plus précieux, dotés de la plus grande longévité, conservent un attrait, et leur valeur croit avec le temps compte tenu du déséquilibre entre l’offre qui se réduit, et la demande, aujourd’hui mondiale. Dans des proportions qui ne se comparent pas au taux du Livret A…

C. D. : Vous avez pu mesurer cette progression ?

Je vais vous donner un exemple. Si nous nous retournons sur une période d’une quinzaine d’années, les performances sont impressionnantes. J’ai déjà évoqué le musigny de chez Leroy, qui est à ce jour la bouteille la plus chère adjugée sur iDealwine. En 2005, dans le millésime 1999, ce vin avait été adjugé 536€. Au cours du premier semestre 2022, un flacon de la même parcelle, dans le millésime 2006, s’est vendu 33 000€. Même en éliminant l’inflation, peu de produits – même de luxe – affichent de telles performances.

C. D. : Est-ce à dire que si l’on s’éloigne des noms stars, il n’y a point de salut pour le placement, ou, au contraire, il y a beaucoup d’opportunités en ce moment ?

Dans les périodes de crise de nombreuses opportunités se font jour. La concentration des achats de certains amateurs sur le haut de gamme laisse beaucoup de place aux autres choix, qui constituent d’excellentes options. L’amateur aujourd’hui a d’autant plus intérêt à se tourner vers les autres régions que s’y cachent les futures icônes de demain. Et la rareté croissante de la production laisse à penser qu’il est intéressant de se pencher sans attendre sur ces futures stars.

C. D. : Vous parlez de rareté, a-t-on des premières indications sur la récolte de 2022 ?

La rareté provient des deux ou trois précédents millésimes, marqués par des épisodes climatiques qui ont détruit une part significative de la récolte. Certaines grandes maisons de Bourgogne indiquent avoir perdu l’équivalent d’une vendange complète au cours des 4 dernières années.

La vendange 2022 n’est pas encore complètement achevée partout, même si elle a été précoce cette année. Nous en reparlerons peut-être le mois prochain, plutôt, mais d’ores et déjà, les nouvelles qui nous viennent de Bordeaux annoncent des volumes réduits. En cause, les températures élevées qui ont entrainé des phénomènes d’évaporation, venant concentrer les baies. La récolte s’annonce belle, mais microscopique dans les secteurs qui n’ont pas eu la bonne surprise de quelques chutes de pluie début septembre. En Bourgogne, la vendange est plus abondante et très réussie. Idem en Champagne, où là encore, les stocks étaient bas… mais attention, on parle de vins qui ne seront disponibles à la vente que dans plusieurs années. D’ici là, les domaines vont devoir gérer la pénurie de vin.

C. D. : Solution au pouvoir d’achat, les Foires aux vins, pour refaire ses stocks avant la grande pénurie, peut-être… Qu’en est-il cette année ?

Les Foires aux vins constituent un grand rendez-vous pour les amateurs. Certains achètent une fois par an. D’autres, qui achètent toute l’année, regardent quand même, scrutent les catalogues à la recherche de la bonne affaire. Car les Foires aux vins ont beaucoup évolué. Conçues à l’origine pour aider les propriétés bordelaises à vider leurs chais avant d’accueillir la prochaine vendange, sur un modèle de déstockage, donc, les Foires aux vins ont en quelque sorte acquis leurs lettres de noblesse. Plus aucune propriété ne devrait être honteuse de figurer dans un catalogue des belles Foires aux vins. Aujourd’hui, les belles enseignes proposent un choix passionnant, à condition que le vin soit effectivement disponible. Internet, à cet égard, offre un avantage car l’achat à distance évite de courir partout à la recherche du flacon repéré.

C. D. : Votre Foire aux vins a donc été un succès, si je comprends bien ?

Indéniablement, elle s’achève le 26 septembre sur iDealwine mais les chiffres affichent une croissance de plus de 40% par rapport à l’édition 2021. Les amateurs sont conscients que certains vins vont être de plus en plus difficiles à trouver au cours des mois à venir, en tout état de cause pas au même prix. C’est sans doute une conséquence du contexte inflationniste que nous évoquions au début de l’entretien, qui vient s’ajouter à la rareté de la production dans les derniers millésimes. Oui, il n’est pas inutile de jouer les fourmis en faisant quelques réserves…

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