Domaine de Trévallon

Il en est des domaines qui valent à eux seuls de nombreuses appellations. Peu importe qu’il ait été successivement Coteaux d’Aix, Vin de Pays ou maintenant IGP des Alpilles, Trévallon a toujours été lui-même, c’est-à-dire l’un des plus grands rouges de Provence. Retour sur la fabuleuse histoire de la famille Dürrbach.

C’est le genre d’histoire qui force l’admiration. Comment créer un grand vin à partir de rien, si ce n’est du flair, la certitude qu’un terroir possède ce supplément d’âme et une bonne dose de conviction ?

Malgré un nom peu sudiste, Eloi Dürrbach est né sur la belle côte varoise, dans le petit village de Cavalaire où résidaient ses parents. René Dürrbach, est un peintre et un sculpteur assez connu, disciple du peintre et philosophe Albert Gleize (un des fondateurs du cubisme) qui lui prête sa maison de Cavalaire (et qui était le parrain d’Eloi). Sa femme, Jacqueline de La Baume, qui a rencontré son futur mari dans un atelier de sculpture, est elle aussi de formation artistique. Elle s’est spécialisée dans la réalisation de tapisseries de grand format. Le couple compte parmi ses amis Pablo Picasso, qui demandera à Jacqueline Dürrbach de réaliser une tapisserie d’après son célèbre tableau Guernica. Pour la petite – ou la grande – histoire, la tapisserie en question, après avoir été vendue aux Rockfeller, orne aujourd’hui une salle de l’ONU à New York. A l’époque, la vente de cette tapisserie (et de quelques autres) a rapporté suffisamment au couple Dürrbach pour que les parents d’Eloi aient envie d’acquérir leur propre maison. Un peu avant 1960, ils achètent une propriété en très mauvais état dans les Alpilles, le domaine de Trévallon.

Trévallon fût

Malgré des études d’architecte à Paris, leur fils Eloi est très vite attiré par la vie agricole. Sans doute un héritage de son père qui s’était occupé pendant la guerre d’une ferme appartenant à l’écrivain provençal Jean Giono, à Forcalquier, près de Manosque. Eloi Dürrbach, en pleine période baba à la fin des années soixante, aime déjà camper à Trévallon, situé sur le versant nord des Alpilles, entre Avignon et Arleset. Il y imagine sans doute déjà les plans de la rénovation (pour ne pas dire la reconstruction !) du domaine. Mais la gestation complète du projet prendra encore quelques années…

Ce n’est qu’en 1973, après sept ans passées à Paris à étudier l’architecture, qu’il annonce à son père, peu enthousiaste, qu’il a l’intention de s’installer à Trévallon et d’y planter de la vigne. L’aventure Trévallon débute vraiment. « A cette époque », se rappelle Eloi Dürrbach, « les vins rouges de Provence se résumaient à deux ou trois bons bandols et à la production de Vignelaure. » Il pose ses valises dans un des mas, celui de Trévallon, et entreprend la création d’un vignoble en dynamitant les collines entourant le domaine. Des travaux pharaoniques sont ainsi engagés, des éclats de roche étant intégrés à la terre après un travail en profondeur des sols. Les premières vignes sont plantées durant l’hiver 1973 sur trois hectares, dans un site tout à fait extraordinaire, mélange de garrigues et de rochers calcaires. En 1976, la première cuvée de Trévallon voit le jour.

Trévallon vignes

Eloi et Floriane Dürrbach se souviennent avec émotion des premières années de leur domaine : « Aubert de Villaine, du domaine de la Romanée Conti, en Bourgogne, a été le premier à être très impressionné par nos vins, en 1978, goûtés au restaurant de Beaumanière. Il en a parlé à son importateur aux Etats-Unis qui a été séduit également et a commencé à nous acheter nos rouges. Cet importateur en a parlé à Robert Parker qui a dégusté le millésime 82. Il a vraiment beaucoup apprécié. Nous avons d’ailleurs été le premier vin des Alpilles dont Robert Parker ait parlé. C’était en 1984. C’est à partir de ce moment que nous avons commencé à être connus. Mais nous étions plus connus à l’étranger qu’en France. »

Le vignoble qui compte aujourd’hui 17 hectares (15 hectares de rouges) est constitué de petites parcelles situées dans un rayon de deux kilomètres autour de la cave. Les vignes sont cultivées de façon naturelle et traditionnelle sans insecticide, ni engrais, ni herbicides chimiques. Pour la production de vins rouges, Eloi Dürrbach a fait le choix d’une répartition à parts égales entre cabernet-sauvignon et syrah. Son père avait lu dans l’« Etude des vignobles de France », écrit par le docteur Jules Guyot, un agronome de grande renommée de la seconde moitié du XIXe siècle, que le cabernet sauvignon existait en Provence avant la crise du phylloxera et qu’assemblé avec de la syrah, il pouvait donner d’excellents vins.

Trévallon cuverie

Mais cette décision lui vaudra un refus de l’INAO d’homologuer son vin en AOC Baux de Provence lors de la création de l’appellation, en 1993. En cause, le cabernet sauvignon, trop fortement représenté dans l’assemblage. C’est pourtant lui qui confère au vin un caractère particulier : sur le terroir des Alpilles, il apporte à la dégustation des notes épicées, avec des arômes de cannelle et de poivre. La syrah confère au vin son moelleux et un caractère soyeux, envoûtant. C’est ainsi que le domaine de Trévallon a été commercialisé sous de nombreuses appellations : VDQS (Vin Délimité de Qualité Supérieure) à ses débuts, Coteaux-d’Aix-en-Provence (pour les millésimes 1983, 1985, 1988, 1989, 1990 et 1991), recalé en 1993 à l’entrée dans l’appellation Baux de Provence, replié depuis en Vin de Pays des Bouches-du-Rhône (de 1994 à 2008), le voilà maintenant, et depuis 2009, “ IGP des Alpilles ” (Indication Géographique Protégée), selon la nouvelle hiérarchisation des appellations qui est en cours d’installation en France.

Ce refus de l’INAO n’est pas sans rappeler l’histoire du domaine de la Grange des Pères en Languedoc. Là encore, c’est à cause du cabernet sauvignon dans l’assemblage que ce dernier revendique uniquement l’IGP de l’Hérault. Mais dans les deux cas, la décision d’utiliser un cépage atlantique dans les assemblages s’est révélée payante et a justifié pour les vignerons de se passer de l’appellation.

Depuis le millésime 1996, les étiquettes varient chaque année et sont illustrées d’après des dessins originaux réalisés par René Dürrbach quelques années avant son décès, en 2000. « Je lui ai confié 50 affiches et il s’est mis à dessiner dessus, selon son inspiration avec des crayons de couleurs. Chaque année, nous choisissons une étiquette dont le dessin correspond aux caractéristiques du millésime ». Le domaine est à présent géré par Éloi et ses enfants, Ostiane et Antoine, selon les principes de l’agriculture biologique (certifié). Les vins, salués unanimement par la critique, figurent sur les cartes des meilleurs restaurants.

Famille Dürrbach Trévallon

Les fruits de ce projet incroyable sont bien nombreux, puisque plusieurs vignerons désormais connus ont appris au domaine de Trévallon : Marc Delienne à Fleurie dans le Beaujolais ou encore Clément Pinard, fils de Vincent Pinard à Sancerre.

Les vins du domaine de Trévallon

IGP Alpilles (rouge) : Le grand vin du domaine de Trévallon, une référence en Provence. Ne pas hésiter à attendre quatre à cinq ans pour apprécier tout son potentiel.

IGP Alpilles (blanc) : Un monument des vins blancs du Sud de la France, frais et aromatique, mais produit en quantités confidentielles.

VDP Bouches du Rhône (rouge) : Sans aucun doute l’un des plus grands vins rouges de Provence, un must absolu, au potentiel de garde immense, qui mérite d’être attendu plusieurs années en cave.

VDP Bouches du Rhône (blanc) : Un très grand vin blanc du Sud, d’une grande fraîcheur et très aromatique.

Trévallon dégustation

Le domaine de Trévallon, ce qu’en disent les guides

Le Guide RVF (deux étoiles sur trois) :

Bâtisseur du domaine de Trévallon à Saint-Étienne du Grès, à côté de Saint-Rémy-de-Provence, dès 1973, Éloi Dürrbach est devenu une figure emblématique de la Provence. Sur son terroir argilo-calcaire, exposé au nord, il a cru au cabernet-sauvignon et à la syrah pour produire de grands rouges. Vigneron attentif et méticuleux, il produit des vins en IGP Alpilles d’une belle définition de terroir et d’une parfaite maturité de raisin, conjuguées à la justesse de la vinification en grappe entière et de l’élevage (jusqu’à deux ans en foudre). Ces méthodes permettent d’élaborer des vins à la fois denses, tendus et raffinés. À travers leur complexité aromatique (notes d’épices, de garrigue et de truffe noire), les rouges de Trévallon expriment une grande typicité méditerranéenne, tout en conservant une fraîcheur septentrionale. Sur 2 hectares de cépages blancs (marsanne, roussanne, chardonnay et grenache), naissent des blancs en retenue, vineux et sertis de fins amers et de doux parfums floraux. Ostiane et Antoine, les enfants d’Éloi Dürrbach, incarnent depuis quelques années la relève de ce domaine exemplaire.

*Guide des vins bettane+desseauve (cinq étoiles sur cinq) :

Eloi et Floriane Dürrbach ont planté et développé le vignoble avec leurs enfants dès 1973 et continuent de faire de Trévallon l’un des fleurons du vignoble français. Le microclimat frais, la taille douce et le sol à dominante calcaire sont à l’origine du style si particulier des vins. Les Dürrbach ne revendiquent pas l’appellation des Baux-de-Provence, car leur encépagement sort des standards du cahier des charges : cabernet-sauvignon et syrah pour les rouges, roussanne et marsanne pour les blancs, complétés d’un peu de chardonnay. Le rouge, devenu mythique tout comme le blanc, dispose d’un réel potentiel de garde et l’oeuvre du temps lui confère une finesse d’expression supplémentaire. Superbe !

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