La brandade est née à Nîmes d’une rencontre improbable entre le cabillaud de Terre Neuve avec le sel et l’huile d’olive du Languedoc. Une louche de lait et un soupçon d’ail complètent la recette. Et un vin local de réputation nationale pour accompagner le tout.
L’histoire
« Si Dieu a créé le cabillaud, c’est à l’homme qu’est revenu le mérite immense d’en faire la morue » écrit joliment Sylvie Girard-Lagorce dans son livre Grandes et Petites histoires de la gastronomie française. Car, évidemment, pour qu’il y ait brandade il faut qu’il existe d’abord la morue ! Mais la brandade allie deux ingrédients qui ne semblaient pas destinés à se rencontrer, à savoir la morue et l’huile d’olive. Comment cette rencontre a-t-elle pu se produire ?
La morue est arrivée en Languedoc via les ports de Sète, du Grau-du-Roi et d’Aigues-Mortes à partir de la découverte, à la fin du XVème siècle, des énormes bancs de cabillauds dans les eaux glaciales de Terre-Neuve. Près de la moitié des pêcheurs français étaient alors occupée à pêcher ce poisson. Et les seuls moyens pour pouvoir le conserver lors du voyage de retour étaient le séchage et le salage. Il y avait donc pour eux deux possibilités : soit vendre la morue sèche et salée soit la vendre seulement salée (la « morue verte »). Les pêcheurs des mers du nord venaient donc régulièrement s’approvisionner en sel sur les salins d’Aigues-Mortes et ils troquaient leur pêche contre du sel de mer. C’est ainsi que des tonnes de morue se sont échangées contre des sacs de sel dans la région de Nîmes, ville industrieuse et la plus peuplée de la région à l’époque. Cette morue séchée et salée convenait parfaitement au climat sec et chaud du sud de la France. La petite histoire raconte qu’une cuisinière nîmoise eut l’idée de broyer la chair de morue dans un mortier de pierre, de la délayer avec du lait tiède et de la mélanger à de l’huile d’olive locale. On appela ce nouveau plat brandade, du mot « brandado », participe passé de « brandar » qui signifie « remuer » en provençal. La brandade est citée pour la première fois, en 1788, dans l’Encyclopédie Méthodique. Il y est précisé que les merluches sont coupées en morceaux, et mises dans une poêle avec de l’ail finement haché. On y ajoute de l’huile petit à petit qui « à force de bras doit se lier avec la pâte d’ail et le poisson ».
En 1803, l’Almanach des Gourmands de Grimod de la Reynière nous apprend que l’on peut manger la brandade à Paris au restaurant Les Frères Provençaux « renommés pour leurs ragoûts, l’ail et leur excellente brandade de merluche ». Deux ans plus tard il précise : « Parmi les ragoûts provençaux ou languedociens qui ont pris singulièrement faveur à Paris, et dans lequel l’ail joue un grand rôle, il faut distinguer surtout les brandades de merluche ».
En 1830, Durand publie « Le Cuisinier Durand : recettes du Midi et du Nord ». Ce célèbre cuisinier assure la promotion de la brandade à Paris où il s’expatrie avant d’ouvrir à Nîmes un restaurant qui restera célèbre jusqu’à la dernière guerre. A partir du milieu du XIXème siècle, la fabrication de la brandade devient une industrie nîmoise. A l’instar de la recette du cuisinier Durand et à la différence de bien d’autres endroits, la Brandade de Nîmes est souvent moins aillée que ses cousines provençales ou parisiennes.
Depuis le début du XXème siècle les entreprises gardoises commercialisent leur brandade en conserve dans toute la France. Elles ont remplacé l’huile d’olive dont le goût est dénaturé au-delà de 115°C, par de l’huile de colza.
Le plat
La recette de la véritable brandade de morue à la nîmoise
Pour 6 personnes
– un kilo de morue salée et séchée (d’excellente qualité)
– 60 cl d’huile d’olive
– 30 cl de lait entier
– 2 gousses d’ail
– 2 branches de thym (facultatif)
– 1 feuille de laurier (facultatif)
Mettre la morue coupée en gros tronçons dans une grande bassine d’eau pendant 48 heures, avec la peau au-dessus pour qu’elle ne retienne pas le sel au fur et à mesure qu’il fond. Eviter que le poisson repose au fond où va se déposer le sel Pour cela on le surélève un peu avec l’instrument de votre choix. L’eau doit être renouvelée plusieurs fois (au moins 8 fois en deux jours).
Faire cuire en démarrant à froid (en ajoutant éventuellement deux branches de thym et une feuille de laurier), enlever l’écume et aux premiers bouillons la retirer du feu. Laisser pocher 10 minutes.
Bien égoutter, enlever soigneusement toutes les arêtes, mais garder la peau qu’il faut va hacher qui aidera (avec la gélatine qu’elle contient) à la réussir la recette.
Mettre tous vos morceaux de morue avec la peau hachée dans une casserole et la réserver au chaud.
Dans deux autres casseroles maintenir au tiède (c’est important) le lait l’huile d’olive.
Mettre dans la casserole avec la morue environ 20 cl d’huile tiède, puis travailler énergiquement avec une cuillère en bois, de façon à bien écraser les morceaux contre les parois de la casserole. Cette première étape est importante, il faut que les morceaux soient vraiment bien broyés. On peut d’ailleurs piler la morue au mortier avant de la mettre dans la casserole, la suite sera plus facile.
Puis ajouter alternativement et très progressivement un peu de de lait et d’huile (toujours tièdes, les trois ingrédients, morue, lait et huile doivent être idéalement à la même température).
Tourner constamment la cuillère en bois (c’est pour cela qu’il est recommandé de réaliser cette recette à deux, l’un versant et l’autre tournant, en se relayant régulièrement car on fatigue vite à tourner énergiquement la cuillère !).
Important : il faut veiller à maintenir une chaleur très modérée sous la casserole sinon l’huile ne s’incorporera pas.
Quand la préparation commence à devenir crémeuse et à peu près lisse (sans le moindre morceau de poisson), la recette est quasi terminée.
Il reste à assaisonner avec un peu de poivre blanc, le jus d’un citron, une pointe de muscade râpée et de l’ail, deux ou trois gousses râpées au bout d’une fourchette.
La brandade se consomme traditionnellement tiède avec des pommes de terre vapeur ou à l’apéritif sur des croûtons de pain grillé ou avec des bâtonnets de légumes crus. On peut aussi imaginer un parmentier de brandade (une bonne couche de brandade entre deux couches de purée de pomme de terre). Enfin, une dernière suggestion qui mêle la tradition nîmoise à la tradition basque : en farcir une boîte de pimientos de piquillos (sorte de petits poivrons légèrement épicés).
Le vin
Mas Jullien blanc
IGT Pays de l’Hérault
Les blancs des appellations de l’arc méditerranéen ont longtemps eu une assez mauvaise réputation : lourds, arômes pas très nets, un peu cuits, soufre généreux, ils étaient les parents pauvres de ces régions connues avant tout pour leurs rouges. Mais depuis une bonne vingtaine d’années, les progrès technologiques (techniques de refroidissement) et l’implication de quelques grands vignerons dans la production qualitative de vins blancs ont considérablement changé les choses. Dans le Roussillon (notamment autour de Calce et des Gauby) produits de très grands blancs au caractère affirmé, tout comme la Corse, certains terroirs particuliers de Provence et, bien entendu le Languedoc. Dans cette région, le premier à avoir compris tout le potentiel d’un blanc produit ici est certainement Olivier Jullien au Mas Jullien. Par un choix de cépages original (qui lui vaut de ne pas pouvoir bénéficier d’une AOC) et un mode de culture et de vinification particulièrement exigeants, il produit année après année un des meilleurs vins blancs de tout le sud de la France, un grand blanc, tout simplement. L’encépagement comprend une large majorité de carignan blanc et de grenache blanc (le premier étant majoritaire) complétée par un peu de chenin, de viognier, de clairette du Languedoc et de roussane. Un mode de culture biodynamique (non revendiqué et non certifié) donne une belle profondeur d’acidité à ce blanc élevé en demi-muids pour que le bois ne marque pas les arômes du vin. Un blanc produit pas très loin de Nîmes donc, patrie de la brandade, et qui se marie particulièrement bien à ce plat. Sa richesse et sa complexité aromatique (surtout quand il a été gardé au moins sept ans en cave) résiste parfaitement aux saveurs marines et délicatement aillées du plat alors que sa densité de matière et son gras élégant se combinent en douceur avec le côté lacté de cette préparation nîmoise. Un de ces accords magiques entre produits de la même région, dont une part de la magie est sans doute un peu intellectuelle, mais une part seulement car si même si vous le testez à l’aveugle, vous succomberez forcément au charme de cette association.
D’autres possibilités d’accords avec un Vin de Pays des Côtes Catalanes cuvée Vieilles Vignes de chez Gauby, la cuvée D18 d’Olivier Pithon (VdP des Côtes Catalanes), Collioure blanc L’Argile du domaine de La Rectorie, Vin de France blanc du domaine Léon Barral, Côteau du Languedoc Blanc Les Coqualières du domaine d’Aulpilhac ou Corbières blanc La Bégou du domaine Maxime Magnon.
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