Viticulture monastique et viticulture princière iDealwine

Labor et fides ! Le sécateur et la foi. C’est qu’on savait boire dans ce temps-là. Le vin était un signe extérieur de richesse très prisé, ne pas en offrir à ses hôtes était déchoir. Poursuivons notre épopée à travers l’excellente somme de Roger Dion, aux citations latines non traduites. Ce mois-ci, la viticulture vue par les moines et les seigneurs du Moyen-Age.

La prière mais également l’accueil des pèlerins constituaient les deux piliers de la vie monastique. A ce titre, les moines devaient avoir du vin, et du bon ! Car peu importe l’isolement de l’abbaye – comme celle de Conques – pourvue que ses reliques fussent de grande notoriété, cela attirait les foules, assoiffées.

Les dignitaires de haut rang – laïcs et religieux – sont accueillis dans les abbayes, dans une cella hospitum (tandis que la plèbe est à l’asile). Pouvoir offrir de bons vins est indispensable à la vie du monastère car la renommée qui en découle permet d’attirer de précieux subsides de la part des puissants… L’investissement consenti pour l’hospitalité, très lourd, est de toute façon rentabilisé ! Ainsi les moines n’hésitent pas à s’échiner à la vigne, et tant pis si le raisin ne murît qu’une année sur cinq.

La présence d’un vignoble – ou la possibilité d’en créer un – est en effet un critère décisif lors de l’établissement d’un monastère. Le vin est indispensable à l’Eucharistie certes, mais surtout à la vie quotidienne des moines ; l’ouvrage de Jean Verdon, Boire au Moyen-Age, précise que les moines, à l’époque carolingienne – réputée plutôt laxiste sur ce point, avant la réforme grégorienne – ont une ration quotidienne qui peut aller jusqu’à trois litres de vin en temps de fête ! On y apprend aussi qu’avant d’être une station de métro, Saint-Germain-des-Prés et Saint-Denis sont de sacrées places to be en matière d’ivrognerie, et qu’au IXè siècle, la vie monastique n’était pas forcément monacale si vous voyez ce que je veux dire…* Bien sûr ce vin-là était aussi moins alcoolisé que le nôtre et le chauffage central n’existait pas.

Le vin peut également être un sacré allié dans le règlement des affaires temporelles ; c’est pourquoi il ne fallait pas leur en compter lorsqu’on leur faisait don d’un terrain pour y bâtir un monastère : il fallait avant tout qu’on puisse y planter de la vigne tout autour. Même si le climat n’était pas du tout favorable.

Cet intérêt pour la vigne explique la façon dont les moines du Moyen-Age sont parvenus à étendre la viticulture au-delà de ses limites géographiques et climatiques. Entretenir un vignoble, dan les régions de Normandie ou des Flandres, est une gageure ! Les abbayes de Jumièges et de Saint-Wandrille produisent ainsi de « joyeux falerniens ». Mais tous ces efforts sont très utiles et les moines développent des techniques de culture très efficaces. Bien après la dispersion des moines, la viticulture a perduré sur leurs terres, preuve qu’ils avaient mis au point un savoir-faire universel – preuve aussi qu’il n’y a pas que le sol qui fait le bon vin, ni le climat, mais que la main de l’homme est fondamentale. Ce fut le cas pour les vins de Saint-Pourçay, très prisés au 15e siècle lorsqu’ils étaient produits par les moines de l’abbaye.

Viticulture princière

L’art de recevoir et surtout d’offrir un vin de qualité n’est pas seulement l’affaire des moines : les grands et les princes doivent aussi honorer leurs hôtes de bons breuvages. Nombres de récits et de témoignages circulent sur des miracles produits dans les cas de rupture de stocks : ne lui restant que de la bière et de l’eau miellée, le Comte de Rennes, Juhel Berenger, est ainsi pris au dépourvu quand débarquent chez lui tous les grands de sa province. Il se met à prier et le miracle se produit : il trouve un tonneau rempli de vin. Saint-Rémi aussi intercéda auprès de sa cousine Celsa et changea l’eau en vin (une vieille formule qu’il fallait réussir à retrouver, chapeau !). Du coup Saint Airy, évêque du diocèse de Verdun, fit de même : le roi Childebert fut carrément scotché et lui fit don de domaines viticoles. (ils savaient vivre en ce temps-là)

Comme les dignitaires ecclésiastiques, les souverains médiévaux furent de grands viticulteurs. Les rois plantèrent des vignes à côté de tous leurs châteaux et maisons royales. Comme Baudouin V, Comte de Flandre, chargé de la tutelle de Philippe Ier, qui planté pour le futur roi de France une vigne en Orléanais. Ainsi on trouvait des vignes à Lille, Valenciennes et dans toute la Picardie. Les Plantagenêt plantèrent la vigne en Angleterre, en dépit du climat ; les ducs de Normandie la cultivèrent à Caen. Les rois de Navarre dans la province de Pau avec le vignoble de Jurançon dans la première partie du 16e siècle.

Les « petits châtelains » aussi cultivaient la vigne et assuraient aux paysans le service banal du pressoir (un beau pressoir coûtait cher, aussi en ce temps-là) ainsi que les débouchés commerciaux grâce à leur réseau. Contre ces services, le Seigneur local bénéficiait du droit de banvin : le privilège d’être le seul vendeur de vin dans son fief pendant un temps donné. D’un point de vue ornemental, le vignoble était toujours mis en valeur, bien en vue du haut des remparts de la ville ou des murs du château. Mais vers 1670-1680, la Cour impose un nouveau goût et le côté paysannerie champêtre n’a plus la cote. On préfère la chasse à la vigne, le loisir aux bêtes travaux des champs.

Les châteaux de Saint-Germain-en-Laye et de Versailles illustrent le mieux ce retournement : à la naissance de Louis XIV, Saint-Germain-en-Laye mettait en avant son vignoble et sa forêt ; à la mort du roi, à Versailles, les vignes avaient disparu et n’étaient plus appelées à orner le paysage. Qui s’élève dans l’échelle sociale doit désormais veiller à ce que parcs et chasses reflètent son prestige. Les « récoltes des princes du sang » sont désormais les faisans, les lièvres et les sangliers.

* Jean Verdon, Boire au Moyen-Age. Editions Perrin. Page 186. L’ouvrage se lit aisément, aussi digeste qu’un bon verre de brouilly.

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Cet article a 2 commentaires

  1. Philippe MARGOT

    Au sujet de la viticulture monastique, je souhaite vous faire part d’une petite étude sur l’expression « boire à tire-larigot » :
    Expression familière pour boire beaucoup, sans arrêt, en grande quantité et même excessivement. On lui prête trois origines :

    1) Religieuse, selon un texte du XIIIe siècle, l’archevêque de Rouens, Odon Rigault, fit don à la ville d’une cloche de grandeur démesurée, à laquelle la reconnaissance des habitants ou la vanité du donateur imposa le nom de la Rigaud ou Rigaude à cette cloche de la cathédrale Notre-Dame de Rouens.
    En raison de ses dix tonnes, elle était extrêmement difficile à mettre en branle et à faire sonner.
    Ses sonneurs étant très vite assoiffés par l’effort intense à fournir sur les cordes, ils devaient vite boire ‘à tire la Rigaud’, qui se serait ensuite transformé en tire-larigot.

    2) Musicale, de la flûte, le larigot, sorte de fifre à bec rustique, dont le flûtiste tire des sons, sans paraître respirer. À l’auberge, pour prouver qu’on était vraiment un homme, il fallait se montrer capable de descendre une bouteille entière au goulot, sans reprendre son souffle, comme le joueur de larigot. L’expression vient-elle du fait que les flûtistes avaient, depuis très longtemps, la réputation d’être de grands absorbeurs de liquides variés ?
    Vient-elle d’un amalgame avec l’ancienne expression « flûter pour le bourgeois » qui voulait dire « boire comme un trou » ?

    Ou bien, a t-elle des sous-entendus paillards, très répandus à l’époque, où on imagine bien ce que pouvait désigner ‘tirer sur une flûte’ (d’ailleurs, la ‘turlute’ est une abréviation de ‘turlututu’ qui était aussi une flûte) ?
    À moins qu’on ait simplement comparé à une flûte la bouteille de laquelle le soiffard tire le liquide en quantité ?
    Cette absence de certitude sur l’usage de ce mot ne permet pas non plus d’expliquer pourquoi c’est le larigot qui a été privilégié dans l’expression qui aurait aussi bien pu être à tire-flûte ou bien à tire-pipeau, par exemple.

    3) Militaire, de Clovis qui, après sa victoire sur Alaric Goth, aurait clamé : « Je bois à toi, Alaric Goth ! »

    Plusieurs expressions sont inspirées de la musique : ”Siffler pinte sur chopine”, comme les sonneurs de trompe, de biniou, bombardes et autres flûtes qui avaient une solide réputation de soiffards ; on disait d’ailleurs ”boire comme un sonneur”.

    Bien cordialement,
    Philippe Margot
    Auteur des citations que vous publiez, prélevées sur le site ww.och.free.fr

  2. Philippe MARGOT

    Au sujet de la viticulture monastique, je souhaite vous faire part d’une petite étude sur l’expression « boire à tire-larigot » :
    Expression familière pour boire beaucoup, sans arrêt, en grande quantité et même excessivement. On lui prête trois origines :

    1) Religieuse, selon un texte du XIIIe siècle, l’archevêque de Rouens, Odon Rigault, fit don à la ville d’une cloche de grandeur démesurée, à laquelle la reconnaissance des habitants ou la vanité du donateur imposa le nom de la Rigaud ou Rigaude à cette cloche de la cathédrale Notre-Dame de Rouens.
    En raison de ses dix tonnes, elle était extrêmement difficile à mettre en branle et à faire sonner.
    Ses sonneurs étant très vite assoiffés par l’effort intense à fournir sur les cordes, ils devaient vite boire ‘à tire la Rigaud’, qui se serait ensuite transformé en tire-larigot.

    2) Musicale, de la flûte, le larigot, sorte de fifre à bec rustique, dont le flûtiste tire des sons, sans paraître respirer. À l’auberge, pour prouver qu’on était vraiment un homme, il fallait se montrer capable de descendre une bouteille entière au goulot, sans reprendre son souffle, comme le joueur de larigot. L’expression vient-elle du fait que les flûtistes avaient, depuis très longtemps, la réputation d’être de grands absorbeurs de liquides variés ?
    Vient-elle d’un amalgame avec l’ancienne expression « flûter pour le bourgeois » qui voulait dire « boire comme un trou » ?

    Ou bien, a t-elle des sous-entendus paillards, très répandus à l’époque, où on imagine bien ce que pouvait désigner ‘tirer sur une flûte’ (d’ailleurs, la ‘turlute’ est une abréviation de ‘turlututu’ qui était aussi une flûte) ?
    À moins qu’on ait simplement comparé à une flûte la bouteille de laquelle le soiffard tire le liquide en quantité ?
    Cette absence de certitude sur l’usage de ce mot ne permet pas non plus d’expliquer pourquoi c’est le larigot qui a été privilégié dans l’expression qui aurait aussi bien pu être à tire-flûte ou bien à tire-pipeau, par exemple.

    3) Militaire, de Clovis qui, après sa victoire sur Alaric Goth, aurait clamé : « Je bois à toi, Alaric Goth ! »

    Plusieurs expressions sont inspirées de la musique : ”Siffler pinte sur chopine”, comme les sonneurs de trompe, de biniou, bombardes et autres flûtes qui avaient une solide réputation de soiffards ; on disait d’ailleurs ”boire comme un sonneur”.

    Bien cordialement,
    Philippe Margot
    Auteur des citations que vous publiez, prélevées sur le site ww.och.free.fr

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