Complantation cépages vignes

La complantation dans les vignes se traduit par deux pratiques aux objectifs distincts. Elle consiste, tout d’abord, en la replantation de jeunes pieds de vignes dans une stratégie de renouvellement du vignoble, dans le cas où certains pieds meurent, nécessitant d’être remplacés. La pratique qui nous intéresse aujourd’hui est celle de la complantation dont l’objectif est notamment de révéler l’harmonie que les cépages plantés ensemble peuvent apporter, au travers d’une expression plus marquée du terroir. Portée par quelques domaines iconiques tels que Marcel Deiss (Alsace), Beaurenard (Châteauneuf-du-Pape), Laroque d’Antan (Cahors) ou Niepoort (Portugal), la pratique intrigue. Décryptage.

La complantation de cépages : un art ancien, replaçant le terroir au premier plan

« La complantation est l’art de mélanger les cépages dans un terroir. Elle est la plus ancienne forme de viticulture connue avant l’apparition des clones et l’appauvrissement de la biodiversité. Elle permet d’assurer une régularité des récoltes par la mise en place d’un écosystème complexe et naturaliste. » Jean-Michel Deiss

Nous pouvons imaginer le terroir comme un ensemble, un tout, au sein duquel évolue harmonieusement différents individus. Ils échangent, s’expriment et surtout s’adaptent. Nous perdons alors le profil variétal du raisin au profit de celui de son terroir. Le lieu se manifeste et offre une compréhension nouvelle sur l’expression des vins. Le cépage n’est plus l’élément essentiel, c’est une révolution !

L’autre avantage de la complantation concerne les maladies qui font rage dans nos vignobles. Parmi eux, le mildiou et l’oïdium qui se retrouvent alors confrontés à des difficultés majeures pour évoluer. Il n’y a plus un seul et même type d’individu (clone) mais deux, cinq, voire soixante ! C’est le cas notamment au domaine Marcel Deiss qui mêle sur certaines parcelles au Schoenenbourg les 13 cépages traditionnels alsaciens, ainsi que les 47 anciens cépages présents historiquement. Grâce à cette technique, les dégâts liés aux maladies fongiques sont fortement limités, permettant de réduire considérablement les interventions dans les vignes.

Toujours dans cette idée d’harmonie, il existe un autre intérêt à la complantation : la communication entre les plantes ! La vigne est un être vivant, elle communique ainsi avec ses semblables via des exsudats racinaires ou des sécrétions d’hormones. Ce sont des produits de la rhizodéposition. Grâce à cela, lorsqu’une plante est attaquée par une maladie (fongique par exemple), ses pairs autour d’elle sécrètent naturellement des éléments qui lui permettent de lutter contre cette maladie. Cette harmonie et cette communication interviennent également avec les différents éléments environnants, amenant à une réelle symbiose du lieu.

Les origines de la complantation : la méthode culturale majoritaire historiquement

Pratique historique, la complantation de cépages dans les vignes date du temps où les vignerons étaient des paysans, et non pas encore des « viticulteurs ». A l’époque, en Europe, les maladies « modernes » (mildiou et oidium essentiellement) n’existaient pas encore (car importés des Etats-Unis ultérieurement) et la variation des récoltes dépendait principalement des coulures. La solution était donc de planter différentes variétés de raisins sur des mêmes parcelles, afin de limiter les pertes. Selon les conditions météorologiques, certains cépages étaient touchés tandis que les autres ne l’étaient pas, permettant ainsi des rendements corrects. Aucun vigneron ne se serait donc risqué à une production issue à 100% d’un seul cépage ! Ainsi, avant la mise en place des appellations et autres textes juridiques protégeant les vignobles, il est question de vins de lieu, de terroir, faute de pouvoir mentionner les nombreux cépages qui cohabitent sur les parcelles.

La complantation a quasiment disparu à cause du phylloxéra (fin XIXème). Lors de la replantation des vignobles, la recherche sur les cépages et les progrès scientifiques ont poussé les vignerons à implanter des vignes issues de clones. Les cahiers des charges des appellations s’adaptent alors à ces situations, autorisant d’uniques cépages dans certaines régions, ou bien de nombreux cépages dans d’autres (comme c’est le cas à Châteauneuf-du-Pape avec ses fameux 13 cépages). En outre, l’essor des engrais industriels (produits d’abord dans d’anciennes usines de poudre à canon) augmente considérablement la vigueur de la vigne et donc ses rendements. Seulement, une vigueur trop importante cause de grandes différences de maturité entre les cépages. Pour ces raisons, les vignerons ont progressivement abandonné cette méthode… jusqu’à récemment, où des figures courageuses et ambitieuses se sont lancées dans la complantation de leurs parcelles.

Les domaines emblématiques de la complantation de cépages

En Alsace, région viticole bien connue pour faire avant tout la part belle aux variétés, au détriment du terroir (pratique unique en France, quoiqu’assez répandu dans les pays du Nouveau Monde), certains vignerons complantent leurs parcelles. Le nom de famille Deiss est assez connu dans la région, non seulement pour ses grands vins, mais également pour ses pratiques viticulturales, à l’image des domaines Marcel Deiss (porté par Jean-Michel Deiss) et du vignoble du Rêveur (porté par son fils, Mathieu Deiss).

En Bourgogne, la réputée Fanny Sabre vinifie sa cuvée anatole (IGP Sainte-Marie-La-Blanche) avec des raisins de chardonnay, aligoté, melon de bourgogne, pinot gris et auxerrois complantés. Le domaine de la Sœur Cadette, représentant de la sous-région bourguignonne du Vézelay, vinifie notamment son bourgogne-ermitage avec du césar (15%) et du pinot noir (85%) complantés.

Plus au Sud, dans la vallée du Rhône méridionale, le domaine de Beaurenard assemble pour sa cuvée de châteauneuf-du-pape les raisins de ses parcelles complantées des 13 cépages autorisés dans l’appellation. Non loin de là, Gourt de Mautens fait également des essais de complantation. Son vigneron, Jérôme Bressy, « apprécie la richesse et les nuances engendrées ».

A quelques kilomètres à l’Ouest, dans la région de Cahors, le domaine Laroque d’Antan est un véritable ovni. En blanc, les cépages sauvignon-blanc, sauvignon gris, mauzac rose, mauzac vert et verdanelle cohabitent et forment la cuvée Néphèle. En rouge, la cuvée Nigrine est composée bien entendu de malbec, mais également de cabernet-franc, de prunelard et de négrette.

Enfin, à l’étranger, dans le nord du Portugal, le domaine Niepoort, bien connu pour ses portos, révèle également de grands vins dans les régions du Douro, de Dao et de Vinho Verde. Là, ce sont les nombreux cépages locaux (tinta amarela, touriga franca, rufete, rinta roriz, tinto cão, baga, jaen, bical, encruzado, malvasia… ) qui s’expriment au travers de vins blancs et rouges extrêmement fins.

In fine, la complantation dans les vignes est une pratique ancienne. En perdant le profil variétal du cépage, le vin exprime davantage le terroir. Les cépages complantés communiquent entre eux, créant une réelle harmonie, et luttant également mieux contre les maladies. Ayant quasiment disparu à cause du phylloxera, de la recherche sur les clones et les engrais industriels, la pratique vit un renouveau depuis quelques années. La complantation reviendra-t-elle un jour comme la méthode culturale majoritaire, comme ce l’était autrefois ?

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