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Les Vieilles Vignes Françaises de Bollinger © Bollinger

Vous entendez parfois des vignerons (ou vous lisez dans la presse) faire des allusions à des vins issus de “vignes franches de pied”. Des mots un peu savants qui désignent en fait des vignes particulières qui sont, théoriquement, le gage d’une certaine qualité dans le vin qu’elles produisent. Petit voyage dans les coulisses de la viticulture.

La saga des vignes franches de pied

Pour comprendre cette expression il faut faire un petit retour en arrière et se souvenir que dans la seconde moitié du XIXème siècle, le phylloxéra, un minuscule puceron américain introduit accidentellement en Europe, décima le vignoble français (à ce sujet, lire notre article  » La crise du phylloxéra : destruction et renouveau« ). Il s’attaquait aux racines en y creusant une multitude de petites galeries et tous les ceps finissaient par mourir. Une véritable catastrophe économique et humaine dont on a presque du mal aujourd’hui à en concevoir l’ampleur (2,5 millions d’hectares détruits en 30 ans…). La seule solution qui s’imposa, faute de traitement physique ou chimique efficace, est venue de l’observation de plusieurs spécialistes français et américains qui avaient constaté la résistance des ceps de vigne provenant d’outre-Atlantique. Ils décidèrent donc de greffer les cépages des différentes régions viticoles françaises sur des porte-greffes américains dont les racines étaient insensibles aux attaques du parasite dévastateur. Une décision efficace, mais dont on ne mesurait pas alors complètement les conséquences sur le goût du vin. Même sans être un spécialiste, on pressent bien que le porte-greffe peut jouer le rôle d’une sorte de “filtre” qui ne sera pas totalement neutre entre le sol et le raisin alors qu’il y avait autrefois un lien direct.

vignes-franc-de-piedMais comme dans les aventures d’Astérix, si presque toute la Gaule a été colonisée par les porte-greffe américains, une petite bande d’irréductibles ceps gaulois fait encore de la résistance !

Les très vieilles vignes, préphylloxériques

Il y a tout d’abord quelques très vieux ceps disséminés dans certaines parcelles ou même quelques petites parcelles de très vieilles vignes préphylloxériques. Des vignes qui ont donc près de 150 ans, s’approchant même parfois des 200 ans. On pense en particulier à Bollinger, en Champagne, qui produit une cuvée Vieilles Vignes Françaises à partir d’un vignoble de pinots noirs francs de pied épargné par le phylloxéra. Dans le sud-ouest, la vigne du piémont pyrénéen près de Sarragachies dans le Gers (ou « vigne de la Ferme Pédebernade »), est l’une des plus anciennes vignes de France (la plantation des ceps remonterait aux environs de l’année 1820, soit à près de 200 ans). Située au cœur de l’appellation Côtes-de-Saint-Mont, elle possède des cépages non greffés ayant résisté au phylloxéra. Cette vigne a même été inscrite au titre des monuments historiques en 2012 ! En Camargue, où de nombreuses surfaces sont composées de sables d’origine marine et éolienne, le phylloxéra n’attaque pas les ceps de vigne, et, profitant de cette situation exceptionnelle, le Domaine de Vassal, à Marseillan, abrite le Conservatoire mondial des ressources génétiques de la vigne de l’INRA. Une collection unique au monde de 2 250 cépages qui joue un rôle essentiel dans le maintien du patrimoine génétique viticole international.

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Les vignes replantées en franc-de-pied 

Mais tout cela, c’est l’exception. Ce que l’on trouve plus souvent, ce sont des vignes plantées depuis 20 ou 30 ans par des vignerons intrigués par ce que pouvait donner de tels cépages “francs de pied”, une expression qui veut dire qu’ils n’ont pas été greffés sur un porte-greffe américain et qu’ils sont donc conformes à ce qu’étaient ces mêmes cépages avant le phylloxéra. Ces vignerons choisissent (quand ils en ont…) des parcelles très sableuses, car ce type de sol empêche assez efficacement le fameux puceron de s’attaquer aux racines. Plusieurs vignerons de la Loire, en particulier le pionnier Henry Marionnet, se sont engagés dans cette démarche, avec plus ou moins de réussite. Si le Domaine de La Charmoise (Marionnet) propose chaque année des cuvées de gamay, malbec, chenin et sauvignon grâce à ses grandes surfaces de terroirs très sablonneux, d’autres comme les domaines Charles Joguet ou Bernard Baudry à Chinon, le Domaine des Roches Neuves à Saumur-Champigny, le Domaine Breton à Bourgueil ou le Domaine François Chidaine à Montlouis, ont connu des difficultés, leurs vignes franches de pieds étant parfois atteintes par le phylloxéra alors qu’elles dépassaient à peine une dizaine d’années. Plusieurs vignerons, dans d’autres régions de France tentent également la même expérience, malgré les risques et les difficultés. Il faut d’ailleurs noter au passage que quelques vignobles étrangers n’ont jamais été atteints par le tristement célèbre parasite et possèdent ainsi un patrimoine quasi complet de vignes franches de pied ; c’est le cas, par exemple, de l’île de Santorin en Grèce (célèbre pour ses magnifiques vins blancs), l’île de Chypre et, en Amérique du Sud, du Chili.

Les vins francs de pied : meilleurs ou différents ?

Il est relativement rare d’avoir l’occasion de comparer des vins issus de vignes greffées et de vignes non greffées (ou franches de pied). D’abord parce qu’il n’y en a que quelques hectares en France. Ensuite il faudrait idéalement que les vins soient issus de parcelles identiques. Enfin, à l’exception des vins (encore plus rares…) issus de vraies vignes préphylloxériques, les vins francs de pied sont produits par des vignes en général très jeunes (autour de 10/20 ans) et pouvant souffrir de la comparaison avec les vins d’un même domaine provenant de vignes à maturité (plus de 30 ans au moins). Mais grâce en particulier à de nombreux vignerons de la Loire, on peut se faire une bonne idée du goût de ces vins. Et plusieurs dégustations ont mis en en évidence leurs particularités.

Ceux qui ont eu accès à ces dégustations sont assez formels : les vins francs de pieds sont vraiment différents, en particulier par leurs sensations tactiles en bouche, et la plupart des dégustateurs les trouvent meilleurs.

Dans la plupart des commentaires on retrouve des mots comme « soyeux de texture », « harmonie », fraîcheur », « grand équilibre » et les dégustateurs mentionnent souvent un contact très direct avec le vin, une sorte d’évidence qui donne irrésistiblement envie de le boire : « il coule tout seul. » La plupart décrivent des arômes plus fins, plus « en dentelle », délicats, jamais trop exubérants. Globalement on a une impression que les raisins sont plus mûrs, pas plus puissants, mais d’une maturité plus profonde, plus totale. Et cela quel que soit le cépage.

Les vignerons insistent sur le rôle “filtre” que joue le porte-greffe, en particulier par la cicatrice que laisse inévitablement la greffe elle-même sur la plante. Et ils notent au passage, que la plupart des greffes modernes, mécanisées, ont largement contribué à augmenter cet effet filtre en provoquant des “soudures” de mauvaise qualité.

La vigne greffée est également dépendante des apports que veut bien puiser le porte-greffe dans le sol. Et ce dernier est par nature programmé à ne choisir ces éléments qu’en fonction de sa propre physiologie, et non pas selon les besoins de la vigne greffée. Ce qui n’est évidemment pas le cas pour une vigne non greffée…

Ce mariage forcé impacte forcément l’équilibre physico-chimique et donc la qualité, la vigueur et la longévité de la vigne greffée. Dans certains cas cela peut très bien fonctionner, mais parfois les choses se passeront moins bien, comme dans tout mariage…

Une forme de poésie nostalgique fait dire parfois à certains que ces vins ont le goût des vins d’autrefois. C’est une jolie pensée, mais totalement invérifiable puisque ces gens-là n’ont évidemment jamais pu déguster des vins d’avant 1850 ! Il est même presque certain qu’ils n’ont rien à voir, les pratiques à la vigne, en vendange ou en cave (même sans aller dans la technologie) ayant considérablement changé et sans doute amélioré la qualité moyenne des vins. Ce qui est certain par contre, c’est que ces vins issus de vignes franches sont nettement différents de leurs demi-frères issus de vignes greffées (à cépage, vigneron et terroir égal) et que pour de nombreux dégustateurs, ils procurent probablement un peu plus de plaisir.

À vous de profiter de notre vente actuelle de vins de la vallée de la Loire pour vous faire votre propre opinion !

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Cet article a 6 commentaires

  1. Guy DUPLAND

    Dans mon enfance près de Moulins(03), je suis né en 1948, j’ai souvent entendu mon père et grand-père parler de vins « directs »( C’est du direct !), qui, selon les descriptions qu’ils en faisaient étaient redoutables à la dégustation.
    Ils les qualifiaient de « raides ».
    Pouvez-vous me dire de quoi il s’agit.
    Merci pour votre réponse

    1. iDealwine

      Bonjour Mr Dupland,

      Merci pour cette jolie évocation de vos souvenirs d’enfance !

      Malheureusement, nous n’avons pas la réponse à votre question sur la notion de « vin direct ». Nous n’avons jamais entendu ce terme… Ou alors pour parler d’un vin déviant qui va « direct à l’évier ! ».

      Un vin raide nous évoque (pour les vins rouges) une combinaison acidité/tannins agressive, comme on peut en rencontrer sur des vins élaborés à partir de raisins pas suffisamment mûrs. Cela arrive (ou arrivait, avant le réchauffement climatique) assez souvent avec le cabernet-sauvignon des bordeaux ou le cabernet franc dans la Loire… Peut-être était-ce à quoi votre père et grand-père faisaient référence ?

      Excellente journée !

      L’équipe marketing d’iDealwine

      1. VineExplanation

        Il y a fort à parier que le terme « direct » vient de hybrides producteur direct caractérisés par un goût foxé (raide?). Bien qu’interdit dans les années 30, il en existait encore une décennie plus tard (plus de 30% de la superficie viticole dans les années 50). Leur caractéristique était de produire massivement et de résister aux maladies principales de la vigne sans traitement (mildiou, oïdium et… phylloxera). Au-delà d’une notion de terroir bafouée (tous les vins issus de ces HPD se ressemblaient), leur teneur en méthanol était toxique.

  2. Nadine Guirao

    A mon avis les vins directs sont des vins issus de vignes franches c est à dire non greffées sur un porte greffe, comme autrefois avant le phyloxera.

  3. David Cobbold

    Il me semble que la parcelle de Bollinger, situé dans un clos à Aÿ, doit être régulièrement remplacé car l’aphide est toujours présent dans son sol. Il est donc inexacte de la décrire comme « pré-phylloxérique », bien qu’il soit franc de pied.
    Une autre région significative qui n’a pas encore été atteint par le phylloxera et qui mérite une mention est la Barossa Valley en South Australia. On y trouve donc les plus anciens pieds de syrah/shiraz et de cabernet sauvignon encore en production. Certains pieds à Barossa ont plus de 150 ans. Ses vins sont souvent exceptionnels/

    1. iDealwine

      Merci beaucoup pour vos précisions, l’intérêt que vous portez à notre article compte beaucoup. Belle journée.

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