Si vous vous intéressez à l’histoire du vin, le nom « phylloxéra » ne vous est probablement pas étranger. Derrière ce nom à l’étymologie inquiétante (« maladie qui dessèche les feuilles ») se cache l’un des plus grands fléaux ayant frappé le monde viticole dans son histoire. Bien qu’aujourd’hui il ne représente plus qu’une menace secondaire pour nos vignes, il est responsable d’une crise dramatique et d’une métamorphose profonde de la presque totalité des vignobles du monde. Retour sur cette période qui est une étape essentielle dans la compréhension du fonctionnement de la viticulture moderne.
Notre histoire remonte à la deuxième partie du 19ème siècle, en France. Des pépiniéristes, expérimentateurs mais peu prudents, décident d’implanter des vignes américaines sur le terroir français en quête de vins nouveaux. Loin d’imaginer les conséquences désastreuses de leur acte, ils constatent la multiplication de vignes malades et de souches mortes sur le territoire étudié. C’est une véritable épidémie qui se déclare alors dans les vignobles du Gard et des Bouches du Rhône, et qui s’étend à toute vitesse dans d’autres régions, causant d’irrémédiables dégâts pour les cultures touchées.
Des experts sont dépêchés sur place afin de conduire des nombreuses observations, et de comprendre l’origine du fléau qui fait des ravages dans les parcelles. Le 15 juillet 1868, après avoir arraché un cep encore vivant pour en observer les racines, les scientifiques percent le mystère de la maladie. Responsables de ce carnage, des milliers de pucerons sont découverts sur les racines du cep, horde de petits vampires jaunes se nourrissant sans pitié de l’énergie vitale de la vigne. La France fait la connaissance du phylloxéra.
Le phylloxéra en détail (mais pas trop non plus…)
Avant de poursuivre notre récit, accordons-nous une parenthèse zoologique pour mieux comprendre le fonctionnement de ce si petit insecte dont la taille ne laisse pas présager de son potentiel destructeur.
Dans sa plus simple définition, le phylloxéra est un puceron originaire des États-Unis, déjà identifié dans les années 1850, qui se nourrit de la vigne. Il en existe deux types :
- Le phylloxera gallicole : il s’attaque aux feuilles, causant galle et jaunissement de cette dernière. Il ne pose pas de danger immédiat pour la plante.
- Le phylloxera radicicole : lui s’attaque, en revanche, aux racines. Il agit par piqûre et suce la sève de la racine avec un appétit insatiable. La racine, en plus d’être épuisée, s’infecte, et des tubérosités accompagnées de nécroses se forment. Le pied de vigne meurt dans les 3 ans qui suivent l’apparition du puceron.
L’autre facteur ayant largement contribué à l’aggravation de l’épidémie, c’est le mode de prolifération de l’insecte. Sans rentrer dans les détails peu séduisants, le phylloxéra radicicole se reproduit extrêmement rapidement et de manière exponentielle (des milliers voire des millions d’individus par mois), et peut muer en fin de cycle biologique en une forme ailée qui, portée par le vent, peut atteindre avec aisance de nouveaux territoires à investir.
Une lutte pour la survie
En 30 ans, c’est une partie colossale du vignoble européen qui est touchée. Les chiffres sont dramatiques. En 1875, 85 millions d’hectolitres de vins étaient produits par le vignoble français. 5 ans plus tard, la production chute à 25 millions d’hectolitres. La physionomie même du vignoble est chamboulée : entre 1875 et 1900, on enregistre une perte de plus de la moitié des hectares vinicoles français, soit 1,8 million d’hectares plantés en vigne. Effrayantes, ces données sont néanmoins déterminantes pour comprendre comment le phylloxéra a brutalement jeté les bases de la viticulture moderne.
Une question, cependant, reste en suspens : par quel moyen les vignerons se sont-ils débarrassés de cette peste ? Plusieurs méthodes sont employées, avec plus ou moins d’efficacité.
- Le recours aux produits chimiques, une solution désespérée car très coûteuse et extrêmement nocive pour les plantes. Il n’est pas rare que les ceps traités par les produits sulfurés en meurent.
- Une autre solution, par submersion des pieds de vigne, se révèle plus efficace et moins onéreuse pour se débarrasser du phylloxéra et des œufs. Cependant, elle n’est applicable qu’à certains profils géologiques de vignoble, et un système d’irrigation ambitieux est requis pour sa mise en place.
- L’ultime solution nous vient de la terre d’origine du puceron. Après avoir fait le constat de la résistance des vignes américaines face à la présence de l’insecte ravageur dans les territoires envahis, les conclusions sont claires : ces dernières possèdent une résistance naturelle à la présence du phylloxéra.
Greffe et renouveau du vignoble
La décision la plus logique serait donc de remplacer toutes les vignes par des plants américains ? Impossible. Nous le savons aujourd’hui, les vignes américaines sont réputées pour donner au vin un goût peu agréable, dit « foxé » (du mot américain pour renard, assez évocateur…). Inconcevable, donc, de remplacer nos ceps européens adorés, bien que mis à mal par la crise traversée, par ces vignes transatlantiques. C’est la greffe qui s’est imposée comme LA solution adéquate, permettant de garder le meilleur des deux plantes. Le greffon, cep de vigne européen, conserve ses caractéristiques organoleptiques ; quant au porte-greffe, pied de vigne américain, il permet de lutter contre la présence du phylloxéra dans son sol.
L’efficacité de cette méthode est telle que la plupart des vignes plantées aujourd’hui autour du globe suivent de ce modèle hybride pour échapper à la maladie. Quelques rares terroirs font exception, épargnés par l’épidémie comme au Chili par exemple, ou sur certaines parcelles dont les sols sablonneux ont empêché l’accès aux racines.
Les conséquences économiques du phylloxéra pour la filière viticole française ont été désastreuses. Mais ce sont les vignerons qui ont eu le dernier mot. Force de détermination et d’adaptation, ceux qui ont réussi à se relever après cette crise historique ont été les fers de lance de la viticulture florissante que le monde connaît aujourd’hui. L’arrachage massif de vignes a donné la possibilité de mieux replanter les ceps, bien alignés, afin de faciliter le travail de la terre et d’organiser plus efficacement la répartition sur les parcelles. De plus, la forte baisse de production de vin a été à l’origine de l’utilisation de certaines techniques frauduleuses pour diluer le vin et gonfler la production. En réponse à ces pratiques, et pour assurer la qualité et la provenance du vin, a été créée l’une des plus grandes avancées modernes de la filière viticole… l’AOC !
Lire notre article : Tout savoir sur le système des AOC du vin
Si l’introduction du phylloxéra sur les terres françaises s’est succédé d’un carnage sans précédent, il est indéniable que cette petite bête vorace a joué un élément moteur dans la transition entre un modèle qui mettait en valeur la quantité du vin, à un modèle consacré à sa qualité. Nous n’irons pas jusqu’à dire merci à ces ravageurs, mais cette histoire délivre un beau message d’espoir : toute catastrophe porte en elle les germes d’un monde meilleur, que la coopération avec nos semblables permet d’atteindre.
Lire notre article : Reconnaître et traiter les principales maladies de la vigne
Ma vigne présente les symptômes du phylloxéra je suis à hendaye.es feuilles sont touchées. Que dois-je faire ?
Bonjour,
Le souci du phylloxéra a été « réglé » en France en recourant à des porte-greffes américains, résistants à la maladie.
Vous pouvez également lire cet article pour en savoir plus : https://www.idealwine.net/reconnaitre-et-traiter-les-principales-maladies-de-la-vigne/
Très bonne journée,