Les AOC ont 80 ans… Au fait, c’est quoi une AOC ?

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Le 15 mai prochain, les plus anciennes AOC fêteront leur 80ème bougie. L’occasion de refaire un point sur ce système qui a protégé la renommée des vins français… mais qui subit aujourd’hui de nombreuses critiques.

« Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromage ? » s’interrogeait le général de Gaulle. Il aurait aussi bien pu parler de vin : on trouve en France plus de 300 appellations viticoles, dont une centaine rien qu’en Bourgogne ! On parle ici d’Appellation d’Origine Contrôlée (*), ce label censé garantir l’origine et la qualité d’un vin, qui existe par ailleurs pour d’autres produits alimentaires comme les fromages. Les AOC représentent aujourd’hui 60% des surfaces viticoles en France, et en valeur cela donne 80% du chiffre d’affaires de la filière. Mais de quoi s’agit-il exactement ?

La création des AOC survient dans les années 1930, dans un contexte où la viticulture manque cruellement de régulation. Aucun cadre n’existe alors pour protéger les vignerons des usurpations, et condamner les pratiques déloyales. C’est Joseph Capus, qui prend en main le problème. Marseillais alors sénateur de la Gironde, cet ancien ministre de l’Agriculture est un expert reconnu des maladies et traitements de la vigne. Le 30 juillet 1935, il institue par décret-loi le Comité national des appellations d’origine des vins et eaux-de-vie, qui deviendra le fameux INAO en 1947. Sa mission sera de gérer la reconnaissance et la défense des AOC, dans un esprit néo-corporatiste d’imbrication du public et du privé : l’INAO dépend de l’Etat mais est composé majoritairement de professionnels du vin, et les syndicats d’appellation ont une mission d’intérêt général, mais se financent via les cotisations privées des producteurs. Le 15 mai 1936 naissent donc les premières AOC de France : Arbois, Cassis, Châteauneuf-du-Pape, Monbazillac et Tavel.

Le contenu d’une AOC, c’est un ensemble de règles de production, énumérées dans un cahier des charges reconnu par décret. Une fois celui-ci approuvé (et la plupart l’ont été il y a plusieurs décennies), cela suppose également un contrôle analytique et organoleptique. L’ODG (organisme de défense et de gestion) d’une appellation se charge de contrôler la bonne application des règles, et d’autoriser ou non un vigneron à devenir un ayant-droit de l’appellation. On est donc très loin du fonctionnement d’une marque privée, puisqu’une AOC est un patrimoine collectif, elle n’appartient pas à un vigneron plus qu’à un autre.

Le cahier des charges d’une AOC, en réalité, cherche à en défendre son « terroir », c’est-à-dire l’alchimie entre le savoir-faire des hommes (l’élément culturel) et leur environnement (sols, climat, autrement dit l’élément naturel). La raison d’être des AOC, c’est d’empêcher que le marché du vin ne (re)devienne régi par la loi de la jungle. Cela peut passer par des règles de base, comme l’obligation de vinifier des raisins issus de l’appellation Champagne… pour faire du champagne (n’en déplaise aux producteurs de « californian champagne »…). Mais cela peut aller beaucoup plus loin, en imposant des règles très précises de limitation des rendements, d’autorisation de certains cépages, voire de pratiques œnologiques. Le but final est de défendre la typicité d’un vin, de garantir au consommateur qu’entre un chinon et un bandol, la différence sera un peu plus marquée… qu’entre un Coca-Cola et un Pepsi.

En dépit de notre penchant bien français à voir le verre à moitié vide, il faut avant tout reconnaître les bénéfices de ce système. Les appellations d’origine ont consolidé le prestige des vins français à travers les décennies, d’en France comme à l’international, leur permettant notamment de se protéger des usurpations et de défendre un certain savoir-faire. La conception française des AOC a d’ailleurs inspiré la législation européenne, qui a harmonisé les indications géographiques sur le continent en créant la distinction AOP/IGP, équivalent des anciens « AOC » et « vins de pays » français. En dehors de l’Europe, même certains pays du Nouveau Monde semblent revenir vers ce modèle, et on voit apparaître des prémices d’AOC (certes moins contraignantes) en Californie ou en Afrique du Sud par exemple.

Mais là où le bât blesse, c’est que ces signes de qualité sont aussi accusés… de ne plus garantir la qualité. La faute à leur généralisation, pour certains : dans le Bordelais, les viticulteurs déclaraient 69 000 hectares classés en AOC en 1975, 100 000 en 1990, et 117 000 en 2000 (source : DGDDI). Sans parler des vignobles comme le Languedoc-Roussillon, où les nouvelles appellations se sont multipliées dans les années 1980. Le « tout-AOC » a de plus été alimenté par des commissions d’agrément parfois laxistes. Il est en effet délicat pour un jury (et c’est humain…) de déclasser un vigneron voisin, quand on sait qu’un vin hors AOC sera difficilement valorisable si la renommée du producteur n’est pas déjà établie. La conséquence globale, c’est qu’une proportion importante des producteurs en AOC… ne mériterait peut-être pas cette dernière. La question des produits chimiques est notamment brûlante : certains organismes de défense sont accusés de n’imposer aucune norme ou presque, sur l’utilisation de pesticides, la chaptalisation, l’ajout de levures, de soufre, etc. Un silence coupable pour un système censé défendre l’origine et surtout, la qualité.

L’autre dérive du système, c’est la standardisation qu’elle génère. Sous couvert de défendre une typicité, il arrive que des vignerons talentueux mais souhaitant s’écarter quelque peu du cahier des charges, se retrouvent à devoir commercialiser leurs flacons hors-appellation, en « Vin de France ». Ce qui est arrivé à Jacky Blot (Domaine de la Taille aux Loups) et à François Chidaine au sein de l’appellation Vouvray en a tristement témoigné il y a quelques mois.

C’est donc de manière générale, l’immobilisme de ce système qui est pointé du doigt. L’amendement d’un cahier des charges est un long parcours du combattant, puisqu’une AOC peut regrouper un nombre colossal de vignerons (l’appellation La Romanée ne mesure que 85 ares, mais celle des Côtes-du-Rhône dépasse les 70 000 hectares !). Néanmoins, des exemples démontrent que l’on peut faire évoluer une appellation. Celle de Cairanne vient d’accéder au statut de cru du Rhône, moyennant une modification drastique de son cahier des charges : vendanges manuelles obligatoires, interdiction du désherbage total, doses de sulfites limitées, etc. Preuve que, de part et d’autres, les bonnes volontés s’unissent pour faire évoluer un système fondamentalement vertueux, mais qui doit aujourd’hui s’attaquer à ses propres dérives.

* L’AOC est devenue AOP (appellation d’origine protégée) en 2009 suite à une réforme d’harmonisation communautaire, et l’ancien « vin de pays » a été renommé IGP (indication géographique protégée).

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