
Dans l’univers du vin, le terme « grand cru » évoque l’excellence. Il désigne un vin issu d’un terroir d’exception, reconnu pour produire des raisins d’une qualité supérieure, et dont les caractéristiques uniques sont souvent protégées par des classements officiels. Mais comment ces grands crus ont-ils été sélectionnés ? On fait le tour des régions viticoles françaises.
Chaque région viticole ayant une classification de certains crus, définit le « grand cru » selon deux approches distinctes. L’une, plutôt bordelaise, classe les châteaux par leur renommée, leur histoire et leurs prix. L’autre est bourguignonne avec un classement par zone géographique comme les lieux-dits (ou climats).
Une approche bordelaise du « grand cru »
À Bordeaux, plusieurs classements structurent le monde du vin depuis 1855 qui récompensent le travail des propriétés pour produire des vins d’une qualité exceptionnelle avec un terroir unique :
- Classement de 1855 : demandé par Napoléon III pour l’Exposition universelle de Paris, il repose sur la renommée du château, le prestige architectural et la valeur marchande des vins. Il ne concerne que la rive gauche (Médoc, Sauternes, Graves), et distingue notamment les célèbres Premiers Crus (comme Margaux, Lafite Rothschild, Haut-Brion, Latour et Mouton Rothschild) jusqu’aux cinquième crus.
- Classement de Saint-Émilion : lancé en 1955 et révisé tous les 10 ans, c’est un classement évolutif de la rive droite. Le dernier classement de 2022 compte 85 Grands Crus classés, avec Château Figeac et Château Pavie en Premiers Grands Crus Classés A.
Ces trois autres classements existent à Bordeaux mais ne se distinguent pas par la mention « grand cru ». Seules les mentions « crus » ou « crus classés » apparaissent.
- Classement des Graves : créé en 1953, il recense 16 grands crus classés dans une région non reconnue en 1855 (à l’exception de Haut-Brion).
- Classement des Crus Bourgeois : officialisé en 2000 avec une mise à jour tous les cinq ans, il distingue trois niveaux (Cru Bourgeois, Supérieur et Exceptionnel) pour les vins du Médoc. Par exemple en 2020, ce sont les années 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022 qui ont été classées.
- Classement des Crus Artisans : plus confidentiel, il récompense depuis 1989 de petits producteurs du Médoc, souvent issus de familles d’artisans. Ce sont 36 propriétés classées pour 5 ans.
Le Sud et ses côtes de provence
La Provence a également ses propre « grands crus », avec des crus classés qui après quelques péripéties a classé 23 exploitations en 1955 avec l’accord de l’INAO, la même année que le classement des grands crus de Saint-Emilion. Les exploitations classées sont aujourd’hui au nombre de 18 avec par exemple le Clos Cibonne, le Château de Selle (Domaines Ott), le Domaine de Rimauresq.
Une approche bourguignonne du « grand cru »
La bourgogne et ses climats
Contrairement à Bordeaux, où les classements s’attachent aux propriétés, la Bourgogne privilégie le terroir : ce sont les parcelles elles-mêmes, appelées climats, qui sont classées. Le classement des vins de Bourgogne remonte officiellement à 1936, avec la création des premières appellations d’origine contrôlée (AOC). Sous l’égide de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), plusieurs parcelles exceptionnelles reçoivent alors le statut de grand cru, la plus haute distinction. Les qualités uniques de sol, d’exposition et de climat des parcelles permettent de produire des vins d’une complexité, d’une finesse et d’un potentiel de garde remarquables.
Les grands crus représentent moins de 2 % de toute la production bourguignonne, mais concentrent une grande part du prestige mondial de la région. Chaque Grand Cru porte uniquement le nom de son climat, sans mention de village. Ce sont donc 33 grands crus, qui sont répartis majoritairement sur la Côte de Nuits (réputée pour ses rouges puissants et élégants) et la Côte de Beaune (célèbre pour ses blancs d’exception).
Quelques exemples parmi les plus célèbres :
- Romanée-Conti : probablement le vin le plus prestigieux au monde, produit par le Domaine de la Romanée-Conti.
- Chambertin : le vin préféré de Napoléon, reconnu pour sa puissance.
- Montrachet : considéré comme le sommet des vins blancs secs et puissants du monde.
- Corton : seul Grand Cru de la Côte de Beaune produisant du vin rouge et blanc.
- Chablis grand cru : sa particularité est qu’il n’existe qu’un seul grand cru à Chablis mais que la mention de ses sept climats (Vaudésir, Blanchot, Bougros, Valmur, les Clos, Grenouilles, Preuses) peut l’accompagner sur l’étiquette.
Chaque Grand Cru est subdivisé en différentes propriétés (domaines), ce qui explique la diversité des styles au sein d’une même appellation. Contrairement à Bordeaux, la Bourgogne n’a pas de révision périodique de son classement. Le statut de Grand Cru est donc figé, hérité de l’histoire, du savoir-faire et de l’intuition des moines cisterciens et bénédictins, premiers grands aménageurs du vignoble bourguignon.
La champagne et ses grands crus
En champagne, il existe un classement dans l’approche plutôt bourguignonne avec un classement par commune viticole, et non par parcelle ou par domaine. Le vignoble champenois s’étend sur plus de 34 000 hectares, répartis dans 319 villages appelés crus. Chaque village est ainsi identifié en tant qu’entité viticole, avec ses propres caractéristiques de terroir, de microclimat et de cépages.
Au début du XXe siècle, afin de réguler les prix d’achats des raisins entre maisons de Champagne et vignerons, une hiérarchie qualitative des crus a été mise en place. Elle a été arrêtée en 2004. Appelée échelle des crus, elle classait chaque village selon un pourcentage de qualité allant de 80 à 100 %. Ce classement influençait directement le prix payé au kilo de raisin.
De cette échelle sont nées deux distinctions prestigieuses encore utilisées aujourd’hui : les villages classés à 100 % sont appelés « grands crus », et ceux entre 90 % et 99 % « premiers crus ». On compte aujourd’hui 17 villages classés grand cru, comme Ambonnay, Aÿ ou Le Mesnil-sur-Oger, et 42 villages classés premier cru, tels que Chouilly ou Cumières.
La mention « Grand Cru » ou « Premier Cru » sur une bouteille de champagne n’est pas seulement honorifique. Elle est strictement encadrée : un champagne ne peut porter cette mention que si 100 % des raisins utilisés proviennent de villages classés dans cette catégorie. Il ne s’agit donc pas d’un simple gage de qualité, mais d’un véritable indicateur d’origine. Cependant, de plus en plus de vignerons indépendants mettent aujourd’hui en avant l’expression de parcelles uniques ou de lieux-dits, parfois en complément de la mention « Grand Cru », ce qui rapproche la Champagne de la notion bourguignonne de terroir.
L’Alsace et ses 51 terroirs
En Alsace, l’appellation grand cru est attribuée à certains lieux-dits particulièrement qualitatifs, sous réserve de respecter des règles strictes concernant les cépages autorisés et les rendements. En effet, seuls les cépages nobles (riesling, muscat, pinot gris et gewurztraminer) sont autorisés en vendanges manuelles avec un rendement fixé à 55 hl/ha. Ce sont 51 grands crus qui mettent en valeur un terroir, un climat et une exposition. Parmi les plus connus, on peut citer : Furstentem (sol calcaire), Kastelberg (sol schisteux), Moenchberg (sol de marnes et calcaires), Rangen (volcanique), Schoenenbourg (sols de marnes et de silices), Steingrübler (sol de marnes et de calcaires). Il y a également trois grands crus pour les pinots noir classés récemment en 2022 et en 2024 : Kirchberg à Barr, Hengst à Wintzenheim et Vorbourg à Rouffach et Westhalten.
La Loire et ses liquoreux
C’est en Anjou plus exactement à Rochefort-sur-Loire que la Vallée de la Loire met en valeur deux appellations certifiées en cru. Reconnue appellation d’origine contrôlée (AOC) depuis 1936, Quarts-de-Chaume a franchi une nouvelle étape historique en 2011 lorsque le comité national de l’INAO lui a officiellement accordé le statut de grand cru, une distinction qui consacre la qualité unique de ce terroir. En effet, cette appellation s’étend sur 30 hectares de vignes, consacrés à l’élaboration du vin liquoreux le plus emblématique de l’Anjou. C’est le seul grand cru de Loire à ce jour. Ce vin d’exception est issu exclusivement du cépage chenin blanc, récolté en surmaturité et concentré grâce à la présence de la pourriture noble (Botrytis cinerea), selon un processus comparable à celui utilisé à Sauternes. L’appellation voisine Coteaux-du-Layon Chaume bénéficie elle de la mention Premier Cru. Elle porte l’intitulé officiel : Coteaux-du-Layon 1er Cru Chaume. Elle aussi est reconnue pour ses vins liquoreux.
Les grands crus à l’étranger
Dans d’autres régions viticoles outre hexagone, le terme « grand cru » n’est pas utilisé mais l’équivalence est plutôt dans les appellations avec des critères très précis comme Denominazione di Origine Controllata e Garantita (DOCG) en Italie, Verband Deutscher Prädikatsweingüter (VDP) en Allemagne et Gran Reserva en Espagne.
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