Alors que les dégustations primeurs 2014 se poursuivent à Bordeaux, les interrogations sont dans tous les esprits. A quel prix les vins vont-ils être commercialisés cette année ?
Chaque année, les dégustations primeurs sont organisées dans le vignoble bordelais, et le monde entier se presse dans les propriétés pour se pencher sur le berceau du millésime naissant, afin d’en dessiner les contours et les caractéristiques, et surtout d’y déceler les talents et les défauts. Tous les intervenants retiennent leur souffle jusqu’à la publication des notes de dégustation, qui vont décerner des prix d’excellence aux uns, des satisfecit, des bons points, des « peut mieux faire »… ou des bonnets d’âne aux autres. Jusqu’à il y a quelques années, les notes les plus attendues étaient celles de Robert Parker. Coup de tonnerre il y a quelques semaines, le célèbre critique américain a annoncé qu’il ne viendrait pas à bordeaux cette année goûter les vins du millésime 2014. Les notes du Wine Advocate seront tout de même publiées puisque les vins ont été dégustés par Neal Martin, un collaborateur de Parker, mais avec un impact moins fort, plus dilué par la multitude de critiques qui désormais livrent eux aussi leur verdict. Ces notes vont s’égrener tout au long du mois d’avril, et ce jusqu’au démarrage de la campagne primeurs elle-même, à savoir l’annonce du prix de vente à la sortie du château.
Bras de fer sur les prix
C’est dans cette perspective que, parallèlement aux dégustations, une négociation s’engage entre les différents intervenants de la chaîne de distribution des grands crus : propriétaires, courtiers, négociants et, au bout de la chaîne, les distributeurs. Négociation ou bras de fer ? Chaque partie affûte ses arguments. Un collectif de négociants anglais a demandé il y a quelques semaines, dans une lettre ouverte adressée à la place de Bordeaux, un retour aux tarifs primeurs de 2008, brandissant la menace de ne pas acheter de 2014 dans le cas où ils ne seraient pas entendus. La riposte du vignoble n’a pas tardé, forte d’un millésime annoncé comme plus réussi que les trois précédents. Millésime « miraculeux », « proche des 2010 », ou « des 2009 », ou « des 2000 » (au choix), « meilleur millésime des vingt dernières années »… On entend beaucoup de choses ces derniers jours. Au finish, quel sera le niveau de prix adopté par les châteaux ? L’équation est certes compliquée. L’année dernière, les volumes produits étaient microscopiques, raison pour laquelle les châteaux qui avaient dû effectuer des sélections drastiques ont maintenu leur prix, ou accepté de très légères baisses par rapport au 2012. Mis sur le marché à des prix manifestement trop élevés compte tenu de la qualité du millésime, ce millésime 2013 s’est donc mal vendu, et on trouve actuellement, et très facilement, à acheter encore ces 2013. Pour autant, les prix de 2013 peuvent-ils servir de base pour fixer le prix des 2014 ? On le comprend, dans une logique qui consiste à marquer la différence qualitative entre 2013 et 2014. Mais certainement pas si l’on entend relancer l’intérêt du marché pour les achats en primeur. Achats qui, rappelons-le, sont motivés par l’idée de réaliser une bonne affaire, en achetant en primeur un vin qui devrait s’évaluer de 15 à 20% au moment où il sera livré. Or aujourd’hui, le fait que l’on trouve à peu près tous les 2013 que l’on veut sur le marché, signifie que pour l’instant la plus-value potentielle est nulle. D’autre part, le prix des 2013 est aujourd’hui fixé à des niveaux qui permettent, pour la même somme, d’acquérir des vins déjà prêts à boire. Et ça, c’est la cote iDealwine qui le dit. Les quelques exemples qui figurent dans ce tableau démontrent qu’actuellement, un achat de 2013 en primeur ne se justifie pas, puisque l’on retrouve, au même prix, des vins d’années précédentes, pour certains déjà prêts à boire. Quel est dans ce cas l’intérêt d’immobiliser de la trésorerie ?
Grand cru en Primeur 2013 | Primeur 2013 Prix de vente TTC* |
Equivalent en vin livrable | Cote iDealwine |
Château Margaux 2013 | 300 € | Château Margaux 2006 | 304 € |
Château Mouton Rothschild 2013 | 300 € | Château Mouton Rothschild 1996 | 300 € |
Château Angélus 2013 | 227 € | Château Angélus 2003 | 223 € |
Château Palmer 2013 | 210 € | Château Palmer 2005 | 210 € |
Château L’Évangile 2013 | 138 € | Château L’Évangile 1998 | 132 € |
Carruades de Lafite 2013 | 124 € | Carruades de Lafite 2006 | 125 € |
Cos d’Estournel 2013 | 108 € | Cos d’Estournel 1996 | 112 € |
Château Léoville Las Cases 2013 | 107 € | Château Léoville Las Cases 1998 | 108 € |
Château Ducru Beaucaillou 2013 | 93 € | Château Ducru Beaucaillou 2008 | 94 € |
Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 2013 |
82 € | Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 2008 |
84 € |
Château Montrose 2013 | 77 € | Château Montrose 2001 | 72 € |
Château Troplong Mondot 2013 | 76 € | Château Troplong Mondot 2008 | 76 € |
Château Pichon Longueville Baron 2013 | 72 € | Château Pichon Longueville Baron 2006 | 74 € |
Pour autant la demande exprimée par les anglo-saxons, à savoir un retour aux tarifs de 2008 est-elle recevable, souhaitable, réaliste ? Souhaitable, c’est sûr, pour l’amateur en tout cas ! La campagne de ce millésime commercialisé quelques mois après l’explosion de la bulle des sub-primes a offert aux amateurs de belles plus-values, notamment sur les vins qui ont ensuite percé sur les marchés asiatiques. Si on prend l’exemple du Château Léoville Poyferré 2008, vendu 36€ TTC en primeur, la plus-value s’élève à 35%, pour un vin actuellement coté 58€ sur iDealwine. Même situation pour le château Angélus 2008 : commercialisé 84€ TTC, il a réservé à ses heureux acquéreurs une hausse de prix de 121%, puisque le vin s’échange actuellement 179€ dans les ventes aux enchères de grands vins.
Cette demande de baisse des cours est-elle recevable ? Avec les très grands millésimes 2009 et 2010, les prix de vente en primeur avaient littéralement explosé. Les années qui ont suivi, 2011, 2012 et 2013 n’ont pas été marqués par un retour à des niveaux de cours proches de ceux de 2008 et c’est sans doute cela qui amène aujourd’hui les négociants anglais à exiger de façon très ferme une demande de baisse des prix, demande qui avait d’ailleurs déjà été exprimée depuis plusieurs années. Pour autant, on voit mal comment les propriétaires accepteraient de baisser leurs prix sur les 2014, un millésime meilleur que les trois précédents : une telle décision aurait certes le mérite d’assainir le marché et de relancer les ventes de vins de Bordeaux, notamment auprès de tous les amateurs qui ont renoncé à acheter en primeur. Mais, dans le même temps, elle rendrait instantanément invendables les stocks de 2013 – et aussi ceux de 2012 ou de 2011 – encore présents dans les chais des négociants.
Cette demande de baisse des prix est-elle réaliste ? C’est donc plutôt l’idée inverse, celle d’une hausse des prix qui s’installe progressivement, confortée par les bonnes notes de dégustation qui devraient être publiées dans les jours qui viennent. Pour autant, le marché espère une hausse modérée des cours. Une hausse qui d’ailleurs pourrait être acceptée par certains acheteurs, puisqu’absorbée par les effets de change : sur les marchés situés hors de la zone euro, les acheteurs bénéficieront en effet d’un euro dévalué (argument qui, rappelons-le, n’avait pas incité les domaines à modérer leur hausse de prix ces dernières années, quand l’euro était plus fort). Si les châteaux adoptent une position modérée dans la fixation de leurs prix avec une hausse limitée à 5-10%, voire, pour certains, une stagnation des prix, le signal aura pour effet de susciter à nouveau l’envie d’acheter en primeurs. Et, ce faisant, de relancer l’intérêt mondial pour les vins de Bordeaux, intérêt mis à mal ces dernières années par la succession de millésimes décevants, tant sur le plan de la qualité que de celui des prix.
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Quelques photos des dégustations primeurs 2014 à Bordeaux, à retrouver sur notre page Facebook iDealwine