Ceux qui suivent attentivement le marché des enchères de vin l’ont remarqué : sur certaines signatures iconiques, les prix se sont stabilisés, voire ont enregistré une légère baisse par rapport à leur pic en 2022. Mais qu’en est-il réellement pour l’ensemble du marché ? Faisons le point avec Lionel Cuenca, Directeur Général Délégué d’iDealwine et spécialiste du marché.
Lionel, vous qui scrutez les enchères et le cours des grands vins de près, que pouvez-vous nous dire de l’état et la dynamique du marché en ce début d’année 2023 ?
Le marché reste actif, mais il se trouve dans une situation de continuité avec celle que nous avons vécue au cours du dernier trimestre 2022. La fin d’année avait en effet marqué le pas après une flambée des prix observée durant les trois premiers trimestres de l’année ; nous avons noté un ralentissement de la hausse des cours à partir du mois d’octobre, ces derniers se stabilisant au plus haut niveau ou enregistrant de légères baisse par rapport à leur pic en cours d’année 2022. Notons toutefois que ces prix se sont stabilisé des niveaux supérieurs à ceux du début d’année 2022.
Cette accalmie est corrélée au ralentissement de la croissance nationale qui est apparue au dernier trimestre de l’année également.
Cela signifie-t-il que c’est le bon moment pour acheter des grands vins, dans une optique de consommation comme une optique patrimoniale ?
Oui absolument, c’est une période intéressante pour acheter du vin, puisque sur un certain nombre de signatures prisées, les prix se sont calmés ou ont légèrement reculé. Bien sûr les opportunités d’achats ne sont pas les mêmes sur tous les vins ni même toutes les régions. Bordeaux par exemple me semble être actuellement l’un des vignobles les plus attractifs à l’achat. En effet, les hausses de prix y ont été beaucoup plus modérées qu’en Bourgogne au cours de l’année 2022 et aujourd’hui, on peut s’offrir les bordeaux les plus réputés et les plus chers – Petrus par exemple, mais aussi les 1er GCC 1855 – dans un beau millésime mature pour le même prix qu’un simple « bourgogne aligoté » du domaine d’Auvenay dans un millésime récent…
Quels indicateurs clés vous permettent d’analyser cette tendance nouvelle du marché ?
Pour observer et analyser cette accalmie du marché, nous nous basons principalement sur la Cote iDealwine© des grands vins. Cette dernière s’ajuste au rythme des adjudications et depuis quelques mois, elle stagne ou enregistre de légères baisses (toujours inférieures à la hausse du 1er semestre 2022, je le rappelle). Nous scrutons également le taux de surenchère (variation entre le prix d’adjudication et la mise à prix). Celui-ci est également en baisse sur un certain nombre de vins : les prix s’envolement moins par rapport à leur prix de départ. Enfin, nous regardons également le nombre d’enchères par lot, qui nous indique combien de personnes se disputent un même vin.
Il s’agit justement d’une astuce intéressante pour les acheteurs en quête de bonnes affaires : filtrer les catalogues d’enchères en ne retenant que les lots sans enchères quelques heures ou jours avant la fin d’une vente. Dans la même idée, les vins mis en vente sans prix de réserve – c’est-à-dire mis à prix à 1€ – sont toujours intéressants à suivre et permettent parfois d’acquérir des vins à des prix très attractifs. Troisième astuce : se concentrer sur des vins dont les états sont jugés mauvais à cause des signes d’humidité ou d’étiquettes abîmées. En effet, pour un achat de vin uniquement dans une optique de dégustation, et non dans une perspective patrimoniale, l’état de l’étiquette n’a généralement pas grande importance et les tâches et autres signes d’humidité qui peuvent apparaître sur l’étiquette sont au contraire autant de gages d’une bonne conservation du vin. Comme une décote est systématiquement appliquée sur les vins dont les étiquettes ne sont pas parfaites, ils sont proposés à des prix plus attractifs.
Enfin, nous regardons également les indices iDealwine, qui enregistrent une très légère baisse.
Selon vous, à quoi est dû ce retournement du marché ?
Cette situation du marché des grands vins est liée à la conjoncture économique mondiale, à un contexte géopolitique d’instabilité en Europe (guerre en Ukraine) et à l’inflation générale.
Cette situation doit en revanche être relativisée pour certaines zones : la faiblesse de l’euro par rapport au dollar a ainsi favorisé les achats américains. Ces derniers ont ainsi augmenté de 140% en 2022 dans les enchères iDealwine. Dans une moindre mesure, cela a aussi été le cas avec la Chine et les achats en provenance d’Asie ont progressé de 100% sur la même période. 2022 est ainsi la première année où la part des achats effectués par des amateurs étrangers a dépassé celle des achats réalisés par les Français.
Pouvez-vous nous citer des vins particulièrement touchés par cette stabilisation des prix ?
C’est du cas par cas et cela concerne généralement les vins qui ont enregistré les plus fortes hausses de prix en 2022 – pour beaucoup des bourgognes, mais pas seulement -, qui sont donc partiellement corrigées par cette légère baisse depuis quelques mois. Les vins du château Rayas, dans la vallée du Rhône, sont dans cette situation : leur cote avait littéralement explosé en 2021, passant par exemple pour le châteauneuf 2007 de 725€ en 2020 à 1 296€ en 2021, avant de se stabiliser jusqu’à aujourd’hui à 1 178€. Mais attention ! La baisse de cours récente cache ainsi en réalité une augmentation de tout de même 62,5% en deux ans. Les domaines Leroy, d’Auvenay, Georges Roumier et bien d’autres sont dans le même cas.
A l’inverse, quel type de vins ne sont pas touchés par cette « respiration » du marché ?
Logiquement les vins dont les cours ont moins progressé au cours des derniers mois sont moins touchés par ce ralentissement des cours. C’est également le cas de certains vins rares, qui ont le vent en poupe, comme certaines signatures nature : les vins d’Overnoy, des Jardins Esmeraldins ou Selosse ne connaissent pas la crise. La course ascendante des prix des étoiles montantes qui éclosent tous les jours dans l’univers des vins, n’est ainsi pas freinée.
Enfin, les spiritueux, qui sont vendus aux enchères essentiellement sur la plateforme FineSpiritsAuction, sont toujours en phase haussière et très dynamique, tout en offrant encore de nombreuses opportunités d’achats intéressantes.
Si cette conjoncture est favorable aux acheteurs, cela signifie-t-il que ce n’est pas le bon moment pour vendre ?
Non, les choses sont plus complexes que cela. Le marché est plus sélectif, c’est certain, mais il n’a pas été déserté pour autant, loin s’en faut. Ce n’est pas tout le marché qui est concerné par le ralentissement de la croissance. Et dans tous les cas, encore une fois, les niveaux de prix restent extrêmement élevés y compris pour les vins qui ont connu une légère baisse ces derniers mois.
Pensez-vous que cette conjoncture est durable ?
Les perspectives sont plutôt stables pour les prochains mois et il n’est pas dit que les cours des vins reprennent leur course folle du début 2022… En revanche, cela n’a jamais été la catastrophe, nous sommes dans une phase d’attentisme et je ne pense pas qu’il y aura une telle phase de hausse qu’en 2022, mais pas de baisse globale pour 2023 non plus.
Le fait est qu’on ne sait pas si le pic d’inflation est devant ou derrière nous et ce genre de contexte créé de la prudence et de l’attentisme, ce qui risque de durer tant qu’on n’aura pas plus de visibilité sur l’inflation et la résolution du conflit ukrainien.
En revanche, l’attractivité de la devise euro est un critère avantageux pour notre plateforme qui bénéficie d’une couverture mondiale, avec 60 pays acheteurs sur iDealwine. Quand un pays ou une zone marque quelques signes d’essoufflement, d’autres se passionnent pour nos enchères. Nos spécialistes, qui suivent le marché au jour le jour, se tiennent à la disposition des amateurs pour les conseiller, et les accompagner dans la démarche – toujours délicate – de revente d’une partie de leur cave. Il ne faut pas hésiter à les consulter.
