Taxe trump

Rebelote. Après avoir déjà été soumis aux droits de douane sous la précédente administration Trump en 2019, les producteurs de vin et de spiritueux européens risquent de subir à nouveau en 2025 des taxes de la part des Etats-Unis pour l’importation de leurs nectars Outre-Atlantique. Mais cette fois, la situation est encore plus complexe : non seulement les pourcentages de droits de douane sont colossaux (une menace de 200% pèse depuis l’annonce de Donald Trump jeudi 13 mars dernier), mais le contexte économique est instable et l’incertitude accrue. Point sur le marché et interview de Lionel Cuenca, directeur associé d’iDealwine, en charge des marchés internationaux.

Rapport récent de la cour de récré mondiale

Pour bien comprendre, voici un petit récapitulatif des déclarations de ces derniers jours qui ont mené à la menace de Donald Trump de taxer à 200% les alcools européens. Tout bonnement et simplement une mise à bas du système de libre-échange international

  • 2019 : petit rappel dans le temps, à l’époque de sa première administration, Donald Trump avait déjà appliqué des taxes de 25 % sur les vins européens en réponse aux subventions accordées à Airbus.
  • Mercredi 12 mars 2025 : aux Etats-Unis une surtaxe de 25% entrait en vigueur sur l’acier et l’aluminium venant du monde entier, affaiblissant un secteur sidérurgique européen déjà très fragile. Début février, le Wall Street Journal avait qualifié les projets de Donald Trump de « guerre commerciale la plus bête d’Amérique ».
  • Mercredi 12 mars 2025 : la réponse européenne s’est fait entendre. L’UE annonçait des droits de douane à hauteur de 25% sur une série de produits venant des Etats-Unis (motos, bateaux, mais aussi certains produits à hauteur de 50%, comme le bourbon et le whisky). Ces taxes devraient entrer en vigueur le 1er avril et visent, en riposte, le même montant de marchandises (28 milliards de dollars) pénalisé par les États-Unis.
  • Jeudi 13 mars 2025 : La réponse de Donald Trump était publiée sur son réseau Social Truth. Le président des Etats-Unis n’y allait pas de main morte en menaçant de taxer à 200% les alcools européens et spécialement les champagnes et vins français, si l’Union Européenne maintenait ses promesses. Un tel pourcentage reviendrait tout bonnement à les bannir du territoire américain. Il a précisé lors de sa communication « l’UE est l’une des autorités les plus abusives et hostiles du monde sur les impôts et les droits de douane ».
  • Jeudi 13 mars 2025 : Quelques minutes après cette annonce, LVMH perdait près de 2% en Bourse, de même que d’autres géants du secteur (Pernod Ricard et Groupe Rémy Cointreau -4%).

Les réactions européennes et françaises ne se sont pas fait attendre.
Laurent Saint-Martin, ministre français du Commerce extérieur, s’exprimait sur X : « Nous ne céderons pas aux menaces et protégerons toujours nos filières ». Face à « la surenchère [de Donald Trump] dans la guerre commerciale qu’il a choisi de déclencher, la France reste déterminée à riposter avec la Commission européenne et [ses] partenaires ».
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne : « On a toujours dit qu’on défendrait nos intérêts, mais en même temps, je tiens à souligner qu’on est ouverts à la négociation ».

  • Jeudi 20 mars 2025 : Le porte-parole de l’exécutif européen pour le commerce, Olof Gill, annonçait que les contre-mesures de l’UE annoncées le 12 mars dernier prendront finalement effet mi-avril : « Cela laisse plus de temps pour les discussions avec l’administration américaine. […] Ce changement représente un léger ajustement du calendrier et ne diminue pas l’impact de notre réponse. »

Coup de massue pour les producteurs européens et pour la filière vin en France

Les représentants de la filière ont rapidement réagi : « On en a assez d’être sacrifié systématiquement pour des sujets sans rapport avec les nôtres » déclarait Nicolas Ozanam, directeur général de la Fédération des exportateurs de vin et spiritueux (FEVS). Les professionnels du secteur trouvaient par exemple plus cohérent de jouer sur le domaine de la tech où le rapport de force est plus puissant. Le ministère de l’agriculture, de son côté, assure que ces annonces vont servir de socle aux négociations à venir.

Rappelons déjà que le secteur des vins et spiritueux concerne 440 000 emplois directs et indirects en France. Les Etats-Unis sont le premier débouché pour les vins et spiritueux, ils représentent 25% en valeur et 18% en volumes des exportations françaises. « C’est quasiment 4 milliards d’euros rayés de la balance commerciale française pour un gain nul », précisait Gabriel Picard, président de la FEVS, dans Les Echos. En 2024, 19,5 millions de caisses de vins français (l’équivalent de 2,3 milliards d’euros) et 12,3 millions de caisses de spiritueux français (1,5 milliards d’euros) ont été envoyés aux Etats-Unis. Ces chiffres marquaient même une augmentation de 5% en une année, en raison de la reconstitution des stocks et de l’anticipation des éventuelles taxes à venir.

Le marché global des ventes de vin butte pâtit actuellement de plusieurs obstacles : déconsommation, aléas climatiques, baisse de consommation du cognac en Chine (campagne anti-dumping, cognac banni de tous les aéroports et duty free du pays), baisse des exportations de champagne en 2024 en volume… Avec ces taxes additionnelles à l’entrée sur le territoire américain, il devrait rencontrer de nouvelles difficultés : baisse des exportations vers ce marché stratégique (voire exportations nulles), recherche de nouveaux débouchés pour exporter, hausse des prix pour les consommateurs français…

Interview marché de Lionel Cuenca, directeur associé d’iDealwine, en charge des marchés internationaux

Lionel Cuenca iDealwine

« En 2023, entre l’Europe (hors France), l’Asie et les Etats-Unis, ces derniers ont été la zone géographique où iDealwine a connu sa plus forte croissance, même si sa part de marché reste assez faible, à 6% du chiffre d’affaires. Face à cela, nous avons décidé de nous tourner encore davantage vers ce marché aux marges de progression fortes pour lequel nous avons beaucoup d’ambition : s’y implanter serait un moyen pour nous de mieux servir nos clients, de les accompagner, de faire une meilleure promotion de nos services, d’améliorer notre logistique… à l’image de tout ce que nous faisons aujourd’hui en Asie avec nos bureaux de Singapour et d’Hong-Kong.

L’annonce de cette menace de taxe mettrait bien-sûr un coup de frein à notre dynamique commerciale. Nous ne sommes pas ceux qui pâtissons directement de ces droits de douane car notre marché y est encore très limité, nous pensons plutôt aux vignerons et acteurs du vin pour qui les Etats-Unis représentent une part importante des exportations, mais aussi aux clients et consommateurs qui absorberont directement les pourcentages qui seront décidés. A noter qu’en 2019, les taxes de la première administration Trump avaient freiné nos ventes BtoB, mais les clients BtoC étaient toujours au rendez-vous… 25% de taxes n’avaient pas fait disparaitre les clients… Après nous parlons cette fois de 200% de taxes, une véritable épée de Damoclès qui pend au-dessus de nos têtes et serait économiquement intenable pour nos clients, d’autant qu’elles impacteraient encore davantage les grands vins (par rapport aux prix de certains vins d’entrée de gamme dérisoires).

Chez iDealwine, nous parions que ces 200% ne seront pas mis en place longtemps, qu’ils constituent une base de négociation et que le pourcentage redescendra par la suite. A suivre à partir du 2 avril… quand les taxes européennes sur le bourbon et le whisky entreront en vigueur, si elles ne sont pas annulées entre temps».

L’impact pour les consommateurs américains

Nathalie Spielman, Enseignante-chercheuse de NEOMA spécialiste du marché des vins & spiritueux précisait : « Ces nouvelles taxes ne nuisent pas seulement aux producteurs français, mais affectent également les consommateurs américains et l’ensemble de la chaîne de distribution. C’est une situation perdant-perdant pour les deux marchés ». Les consommateurs devraient en effet voir les prix des vins augmenter en plus du choix de leurs achats de vin se réduire. « Une opportunité pour la concurrence internationale ? Bien que l’Australie et d’autres pays producteurs puissent tenter de combler le vide laissé par les vins européens, l’expérience montre que les droits de douane américains s’appliquent souvent de manière universelle (comme pour l’acier et l’aluminium), limitant les alternatives pour les consommateurs », soulignait Nathalie Spielman.

L’association professionnelle américaine Distilled Spirits Council of the United States, s’opposait, elle aussi, aux droits de douane. « Nous exhortons les États-Unis et l’UE à s’abstenir d’imposer ces droits de douane et à engager des négociations pour résoudre les problèmes commerciaux sous-jacents concernant l’acier et l’aluminium ».

Quid pour les clients iDealwine ?

Comme vous, nous sommes navrés de ces annonces qui vous impactent autant que nous. Nous vous tiendrons informés au plus vite par mail de cette situation pour vos prochaines commandes, en E-caviste ou aux enchères. Notre service client se tient également disponible pour répondre à vos questions.
Bonne nouvelle : Roman Weil, qui a rejoint notre groupe en septembre 2024, va ouvrir dans quelques semaines notre bureau sur le sol américain. Il sera donc au plus près de chacun d’entre vous à l’avenir.

Et pourtant… Une histoire d’amour entre les vins français et les Américains qui avait si bien commencé

L’idylle entre les Américains et les vins français date de plusieurs siècles, et ne souffrirait pas de s’éteindre à cause de tels agissements…

Remontons au XVIème siècle, alors que les huguenots français ont cultivé les premières vignes sur le sol américain, précisément en Caroline du Sud. La preuve en est : la plupart des cépages qui sont aujourd’hui travaillés dans tous les vignobles américains sont bien… français. Ils sont aujourd’hui mondialement renommés : merlot, pinot noir, cabernet sauvignon, chardonnay, sauvignon blanc… A noter également que les techniques de production des vignobles américains ont été naturellement grandement inspirées de celles utilisées en France.

Que dire des présidents américains absolument passionnés des vins français ? Thomas Jefferson en est bien-sûr le premier ambassadeur. Il avait une préférence pour les bourgognes, bordeaux, champagnes et vins du Rhône, et en commandait régulièrement pour ses dîners officiels à la Maison Blanche. Anecdote : il a distingué 4 domaines « de 1ère qualité » que sont les Châteaux Haut-Brion, Lafite-Rothschild, Margaux et Latour. A la veille de la Révolution Française, ce visionnaire avait en quelque sorte anticipé le classement de 1855. Citons aussi le Château d’Yquem qu’il appréciait tout particulièrement. D’autres présidents étaient particulièrement férus de champagne français, citons James Madison, John Tyler, James K. Polk et Ulysses S. Grant.

Un évènement plus triste, mais qui en dit long de cet amour : lors de la crise du phylloxéra, l’on réalise que les variétés américaines sont plus résistantes au sournois insecte, elles sont donc importées en France et greffées sur les variétés européennes de vitis vinifera. Pour remercier les Etats-Unis d’avoir contribué à la sauvegarde du vignoble français, ces derniers sont invités à présenter leurs vins à l’Exposition Universelle de Paris en 1889. Lors du concours, et c’est une grande première, vingt prix ont été décernés à des vins américains.

Encore aujourd’hui, l’engouement des Américains pour les vins français est bien présent. Après Bordeaux ou la Bourgogne, c’est le charme de la Provence qui opère sur les Américains : certains achètent des domaines (Brad Pitt et Angelina Jolie, Post Malone), d’autres en font des décors de films (Ridley Scott)…

Si seulement ces deux amoureux pouvaient consulter un conseiller conjugal pour apaiser leurs tensions et repartir comme au premier jour…

Cet article a 4 commentaires

  1. zaz

    « Selon « Les échos », le vin Européen est aujourd’hui taxé pour la majeure partie à 0,8%. Pour le vin français cela correspond à une dizaine de centimes par litre rapporte la FEVS.  »

    Si les taxes augmentent de 200% cela représente, simple calcul aritméthique, 0,10 x 3 = 30 centimes par litre ! pas de quoi crier « Au loup » !

    1. iDealwine

      Bonjour,
      Les droits de taxe douaniers sont définis ad valorem : c’est à dire sur la valeur marchande d’un produit. Ainsi, si une taxe de 200% est appliquée sur une bouteille dont le prix final est de 50€, alors son prix une fois la frontière franchie serait de 150€. Les vignerons, économistes et acteurs de la filières des vins et spiritueux expliquent qu’une taxe fixée à 200% revient tout simplement à stopper les échanges commerciaux : puisque cette hausse dissuaderait tout consommateur de payer une bouteille à un tel prix.
      Comme nous l’évoquons dans l’article, le manque à gagner serait de l’ordre d’environ 4 milliards d’euros pour la France. Cependant, iDealwine reste confiant : comme l’explique Lionel Cuenca, directeur associé d’iDealwine en charge des marchés internationaux, cette annonce constitue certainement une base de négociation entre les Etats-Unis et l’Europe.

      Merci de votre intérêt pour notre journal,
      Cordialement,
      La rédaction

  2. zaz

    Donc, « Les échos » se tromperaient, ainsi que le représentant de la FEVS !
    En fait il s’agit de sémantique, dire que les droits augmentent de 200% est une sottise (!), il faut dire et écrire que ces droits passent à 200% alors qu’ils n’étaient que de 0,8%, là on (je) comprends.
    Votre calcul est bon sur une bouteille à 50 euros :
    50 x 0,008 = 0,40 centilmes x 250 (200/0,8) = 100 euros de droits de douane ; CQFD

    1. iDealwine

      Bonjour,
      Merci pour vos précisions. Dans notre article, nous entendions effectivement une application des tarifs douaniers à hauteur de 200%, et non pas une hausse.
      Cordialement,
      La rédaction

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