Les 29, 30 juin et 1er juillet derniers, nous nous sommes rendus avec Jean-Baptiste dans le Beaujolais, à la rencontre de certains de nos domaines partenaires et de domaines à découvrir. C’est armés de nos valises, billets de train, masques et d’un appareil photo que nous nous retrouvons de bonne heure gare de Lyon, avant d’embarquer dans le train direction Mâcon. Arrivés à 9h30, ce n’est que le début d’une belle journée ensoleillée qui s’annonce : aujourd’hui, ce sont trois domaines que nous visitons.
La Madone à Fleurie
« Comment ? Tu n’as jamais fait la route des vins du Beaujolais ???! » Décidément, j’aurais peut-être dû garder cela pour moi… Sauf si j’avais su que Jean-Baptiste en profiterait pour m’emmener dans un des plus beaux points de vue du Beaujolais : c’est à la chapelle de la Madone que nous nous rendons avant même de rejoindre le premier domaine, sur les hauteurs de Fleurie. Cette chapelle a été érigée à la fin du XIXème siècle, il se dit même dans les anecdotes locales qu’elle a été construite en prière à la Vierge pour lutter contre l’oïdium qui ravageait les vignes. Quoi qu’il en soit, c’est du haut de cette colline que l’on peut observer les vignes qui se déploient à perte de vue, à commencer à nos pieds par la fameuse « vigne des fous » de Marc Delienne – nous le rencontrerons demain… soyez donc patients ! – qui a nommé ainsi une cuvée produite à partir de cette vigne vertigineuse, la plus pentue de toute l’appellation Fleurie. Oui, il faut être un fou pour la cultiver, vous connaissez décidément déjà le personnage ! L’occasion est si belle pour prendre des photos : l’on aperçoit au loin d’autres appellations bien connues, Moulin-à-Vent, Chiroubles.., Fleurie étant l’un des 10 crus du Beaujolais, placé sur le nord du vignoble.
Le château des Bachelards, « lieu de Dieu »
C’est devant une bâtisse imposante de Fleurie que nous nous retrouvons pour visiter ce premier domaine appelé le château des Bachelards. Alexandra de Vazeilles vient nous accueillir et nous fait entrer au centre du bâtiment, dans l’ancien cloître de l’abbaye. Après des présentations aussi dynamiques que la comtesse, notre présence au centre de cette ancienne abbaye est l’occasion de revenir un peu sur l’histoire de ces lieux. Bachelard signifie donc « lieu de Dieu » en langue d’Oil. Les moines bénédictins sont en effet à son origine, créant vers 1100 l’abbaye d’Arpayé, qui sera ainsi l’une des filles de Cluny. Comme à leur habitude, ils y plantent des vignes, dessinent le Clos de vignes qui est actuellement derrière la façade principale… L’abbaye est brûlée à la Révolution et est vendue comme bien national. C’est une famille de soyeux lyonnais qui acquiert alors la propriété, qu’elle gardera jusqu’en 2007, au moment où un vigneron l’achète et décide de convertir les vignes à l’agriculture biologique.
Alexandra de Vazeilles, passionnée depuis son enfance par la viticulture, s’est dotée de diplômes et cherche alors à acheter un domaine. Le vin, elle bataille pour s’y faire une place, et a donc appris chez les plus grands : au château Latour, chez Roulot ou de Montille. C’est dans le Beaujolais qu’elle tombe un peu par hasard, amoureuse du terroir et des vins de gamay qui y sont produits. 2014 est l’année où elle passe le pas et achète le château des Bachelards, avec l’ambition d’y faire de grands vins. Dès 2015, l’exploitation passe à la biodynamie.
Assez parlé, il commence à faire chaud dans cette petite cour, malgré la verdure qui rafraîchit nos pieds. Entrons dans le chai. Au moment où elle est arrivée, ce sont 12 hectares qui composent la propriété, 6 à Fleurie autour du Château – c’est le Clos -, puis à Saint-Amour, Moulin-à-Vent… La comtesse de Vazeilles décide alors d’acheter un hectare et demi de plus afin de compléter son exploitation. Les vignes sont palissées, ce qui n’est pas tellement la tradition dans le Beaujolais, l’élevage se fait durant deux ans, l’objectif étant de tailler ses vins pour la garde. C’est dans la salle de dégustation que nous arrivons alors. Après un chardonnay, Pouilly-Vinzelles 2017, nous passons à la cuvée Petite Fleur 2017, un vin assez facile à boire, qui rappelle les arômes de Fleurie. Le moulin-à-vent 2017 toujours – durée d’élevage oblige – affiche une belle souplesse, là où le saint-amour 2016 est plus dense, la vigneronne a l’habitude de le comparer à un pinot de Côte de Nuits. Venons-en au Clos, qui n’avait pas comme vocation à l’origine de faire l’objet d’une seule et même cuvée, mais qui a finalement révélé une identité bien propre, poussant la comtesse à l’élever à part. Finissons par la cuvée Pâquerette, un vin produit sans sulfite jusqu’à la mise, très floral et droit.
Domaine Louis-Claude Desvignes, un duo complice
Ce qui est bien dans le Beaujolais, c’est qu’il ne suffit que de quelques minutes de voiture – toutes vitres ouvertes, la chaleur est de la partie – pour passer d’un domaine à un autre, d’une appellation à l’autre. C’est donc après un délicieux repas chez la comtesse que nous prenons la route direction de Villié-Morgon, jusqu’à manœuvrer subtilement d’une ruelle étroite jusque dans la cour d’une demeure du XVIIIe siècle. Les frères et sœurs sortent alors de la cave, et nous accueillent enjoués, Louis-Benoît avec sa casquette anglaise vissée sur la tête, et Claude-Emmanuelle avec son joli sourire. Les rires résonnent au bout de quelques minutes déjà, c’est sûr, nous allons passer un bon moment ! « Bon, par cette chaleur on descend tout de suite à la cave ? ». Claude-Emmanuelle et Louis-Benoît sont les enfants de l’emblématique Louis-Claude Desvignes – les prénoms composés sont de mise dans la famille -. L’histoire commence dès 1633 alors qu’un aïeux travaille comme marchand de vin et qu’en 1712, un autre se lance dans l’exploitation de vignes. Ce sont désormais les frères et sœurs qui ont repris, sous l’œil encore bien avisé de leur père. C’est elle qui revient en premier, en 2001, avant que son frère ne la rejoigne en 2004. Ce joli duo est bel et bien complémentaire au travail – Claude-Emmanuelle gérant les aspects administratifs tandis que son frère passe plus de temps dans les vignes – comme dans leurs personnalités.
Il fait frais dans la cave voûtée du XVIIème siècle, où les vins étaient élevés auparavant. La dégustation commence alors, au rythme des frères et sœurs enjoués, c’est désormais sous la voûte que les rires retentissent. Nous assistons à un véritable match de ping-pong, deux vignerons passionnés par leur terroir qui cherchent à nous faire découvrir leurs vins, mais aussi à se surprendre l’un l’autre, c’est presque un jeu. Nous commençons par déguster le nouveau millésime 2019, la cuvée la Voûte Saint Vincent, une magnifique entrée de gamme que l’on prendra plaisir à déguster jeune. Le morgon Corcelette qui est issu du négoce est élaboré sur des vignes à 470 mètres d’altitude, un vin gourmand. Nous continuons avec la cuvée parcellaire Montpelain, des fruits noirs, de la groseille au nez. Direction Côte du Py, une cuvée élaborée à partir de vieilles vignes, Javernières qui provient des mêmes climats, mais au sud de la colline, un vin soyeux. Finissons cette dégustation du millésime 2019 avec les Impénitents, une cuvée emblématique qui n’a pas encore été mise en bouteille mais qui promet une très belle expression et une belle chair. A peine je relève la tête de mon verre, Louis-Benoît est déjà parti au fond de la cave pour nous dégoter des millésimes plus anciens, sous l’œil amusé de sa sœur. Incroyable de comprendre à quel point ces cuvées évoluent avec le temps – contrairement à ce que beaucoup pensent et disent des vins du Beaujolais – c’est un festival : le délicieux Impénitents 2013 s’ouvre sur des effluves mentholés d’eucalyptus, le 2010 révèle des notes plus nobles d’épices et de cacao. Terminons ce moment inoubliable par un javernières 1999, je garde encore le cacao en mémoire.
« Dans cette cave, on n’élève plus le vin depuis les travaux, mais on reçoit et on fait de grandes réceptions ». Le domaine Desvignes est de ceux qui participent à redorer le blason du Beaujolais. C’est sur un ton enjoué que Claude-Emmanuelle explique « il suffit de peu ! Nous sommes persuadés que le Beaujolais recèle de magnifiques terroirs, que nous pouvons en faire de grands vins. Alors avec d’autres vignerons, nous faisons de notre mieux pour produire les plus beaux vins, et pour les partager simplement à travers des événements comme Bien boire en Beaujolais ». Et ça marche puisque le domaine constate bel et bien un engouement et un regain d’intérêt pour les vins du Beaujolais et de Morgon en particulier. « Les vins du Beaujolais correspondent bien à la demande et au goût actuels, avec des vins plus digestes, moins alcoolisés et surtout très polyvalents : à table, mais aussi parce qu’on peut les boire rapidement, comme les conserver quelques années en cave. »
Suite du programme : petite balade dans les vignes. Après un petit tour dans la cuverie où nous avons eu la chance d’apercevoir le grand Louis-Claude, c’est à l’arrière de notre voiture que le frère et la sœur pour nous mener voir la vigne de Javernières, en bas de la Côte du Py. L’instant de quelques minutes, nous étions comme investis dans l’aventure familiale, embarqués dans la camionnette pour les vignes « tourne là », « gare toi ici ». La vue est belle sur la Côte du Py, nous marchons dans les rangs de vigne pour comprendre l’évolution du sol entre le haut et le bas de ces parcelles réputées. Nous nous quittons avec de beaux souvenirs en tête, un domaine bel et bien incontournable dans le Beaujolais, qui a été également repéré par les plus grands critiques.
Yann Bertrand, entre jeunesse et philosophie
Croyiez-moi… si vous souhaitez retrouver Yann Bertrand chez lui, le mieux est de l’appeler ! Non seulement le domaine n’est pas spécialement facile à trouver sur un GPS, mais en plus vous aurez la joie d’avoir un Yann enjoué au téléphone qui vous indique la route en s’exclamant à voix haute « là, tu me vois ? Je te fais coucou à travers les vignes ! ». Descendus de la voiture, le vigneron nous met tout de suite à l’aise, pas question de se vouvoyer longtemps. C’est en direction des vignes que le jeune trentenaire nous mène alors, les cheveux à la « Grease » au vent. L’histoire du domaine ? Dans les années 1950, le grand père de Yann s’installe à Charentay pour devenir viticulteur. Au moment où Guy et Annick, les parents de Yann reviennent sur l’exploitation, ils saisissent l’opportunité de reprendre le domaine du Château de Grand-Pré a Fleurie, des travaux leur permettent ainsi de rénover la cuverie et les bâtiments pour qu’ils soient davantage opérationnels. Face à certaines difficultés, ses parents pensent à vendre le domaine, c’est alors que Yann se passionne pour ce métier avec l’ambition d’y appliquer sa philosophie. 2016 marque son premier millésime seul sur le domaine, où il est l’unique maître à bord : ses parents sont toujours présents sur place mais n’ont jamais été un frein à ses idées, aux évolutions du domaine. Les 7,5 hectares de vignes sont d’un seul tenant autour de l’exploitation, les sols sont composés à 96% de sable. Yann ne cesse d’y passer ses journées pour comprendre la plante et la terre, et en tirer le meilleur. C’est un véritable goût de l’aventure qui anime ce jeune vigneron, qui multiplie les expérimentations dans ses vignes afin de comprendre par lui-même l’apport de la biodynamie, l’intérêt de telle ou telle tisane.
Ni une, ni deux, un groupe d’amis de Yann nous rejoint, c’est avec le groupe de joyeux lurons que l’on s’attable autour de la grande table de bois du caveau de dégustation, tous attentifs à ce que raconte Yann sur les cuvées qu’il va nous proposer. La discussion est naturelle et joviale, toutes les questions sont bonnes à poser, la simplicité de notre hôte est plaisante. L’occasion est parfaite pour déguster les cuvées 2019 et poser toutes nos questions sur les conditions de ce millésime. Sur chacune des bouteilles, Yann tient à écrire que ce vin est le fruit de travail de « Guy, Annick et Yann », conscient de ce qu’il a reçu de ses parents, la passion de la vigne et le goût du travail. Commençons par une entrée de gamme délicieuse, « Oh ! », en appellation beaujolais, un vin facile à boire et délicieusement gourmand. Le fleurie Coup d’folie est produit sur les jeunes vignes du domaine, élevé dans des anciens fûts de syrah, chardonnay, au bon plaisir du vigneron. L’on y retrouve un fruit assez vert. Vidons d’ailleurs nos verres pour déguster le juliénas que Yann élabore à partir de raisins en négoce depuis les grêles de 2015. C’est toujours le même vigneron – un ami – qui lui travaille cette même parcelle selon ses conseils, cette cuvée promet donc une belle régularité. Yann tient à ce lien qu’il a avec ce viticulteur, « pas question d’acheter des raisins sans en connaître la provenance », il lui arrive même de préparer le purin d’orties que le vigneron va étaler dans cette parcelle. Cette cuvée présente un nez de spéculoos, de biscuits. Place au saint-amour, qu’il travaille aussi en négoce avec un jeune vigneron en bio, un vin frais. Le morgon Dynamite est précis et présente un magnifique fruité. L’on passe alors au 2018 avec le fleurie Coup de Foudre, que Yann aime à garder un an avant de les vendre : cette cuvée n’en est que plus intéressante. La cuvée Emile est produite à partir des vignes de 70 à 100 ans d’âge, c’est un vin plus puissant. Nous avons eu ainsi la chance de déguster certaines cuvées de 2017, qui a grêlé à 80%, ou de remonter à 2015, un délice !
Avant la tombée de la nuit, nous quittons le groupe de jeunes passionnés, pour aller dîner à Fleurie. La route des vignes sillonne devant nous, le temps est clair… demain il fera beau !
Cette première journée dans le Beaujolais a été plus que passionnante, les 2019 révèlent dès à présent une belle gourmandise, mais promettent également de se révéler dans le temps. Vivement demain pour en avoir le cœur net… et le nez comblé !
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