
« Demain matin je n’y suis pour personne, j’ai rendez-vous au domaine de La Romanée-Conti… » Quel amateur n’a jamais rêvé de lâcher ces quelques mots au détour d’une conversation ? Car c’est un privilège de passer quelques heures au domaine de La Romanée-Conti en compagnie d’Aubert de Villaine. Angélique de Lencquesaing et Cyrille Jomand s’y sont rendus en juin 2018. Récit de la visite d’un domaine mythique.

Quand ce rêve devient réalité, et que la rencontre se profile, on est prêt à braver toutes les adversités : s’arracher de son lit au petit jour pour un départ à l’aube, choisir la route plutôt que de risquer les avatars des grèves des trains, avaler les kilomètres en déjouant les radars, la pluie et le vent… Ca y est, nous y sommes, à l’orée d’une ruelle au nom mystérieux et déjà hors du temps, de notre quotidien habituellement si dense et chargé : car nous voici à Vosne-Romanée, dans la « rue du temps perdu »… Le temps est déjà suspendu.
La grille du domaine s’ouvre, les graviers crissent doucement sous nos pas. De la cour, nous apercevons les vignes enherbées, bercées d’une brise légère et des premiers rayons du matin. Nous voici au fameux domaine de La Romanée-Conti. Quelques minutes après jaillit Aubert de Villaine, souriant et discret. Le maître des lieux nous propose d’entrer immédiatement dans le vif du sujet : c’est parti pour la dégustation des 2017, qui patientent en fûts à l’ombre de la cave. La silhouette fine et discrète du co-gérant du domaine se glisse et nous précède dans les caves. Nous y voici.
Nous voilà partis pour deux heures d’échanges et de dégustation. Alors que nous nous apprêtons à découvrir les vins du dernier millésime, les termes employés par Aubert de Villaine pour qualifier les grands pinots noirs de Bourgogne reviennent à la surface, tel un fil conducteur de ce qui nous attend : discrétion, concentration, transparence….
Dégustation des grands crus : un goût de paradis
Corton Grand Cru

Ce cru, repris en fermage par le domaine de La Romanée-Conti depuis le millésime 2009, est issu des climats Renardes, Clos du Roi et Bressandes. Les rendements sont limités à 30 hl/hectare. Impossible d’isoler chacun des terroirs en raison de la taille des parcelles, cette cuvée est un assemblage des trois climats.
Si le nez est discret, le vin déploie en bouche un fruit croquant et gourmand, doté d’une énergie palpable et d’une belle tension. Bien qu’il soit élevé à 50% dans des fûts neufs, le boisé se fait discret, au profit d’une matière gourmande et délicate.
Echézeaux Grand Cru
Ce vin précoce passe habituellement 18 mois en fûts. Cette année, la fermentation malolactique est intervenue plus tôt, la mise s’effectuera en avance sur le calendrier classique, en décembre sans doute. D’ailleurs à la dégustation le vin semble presque prêt à boire. Voilà un échézeaux qui trépigne, et semble impatient de nous démontrer ses qualités. Son nez délicatement épicé, aux arômes de réglisse, précède une bouche très longue, complexe, avec une belle finale épicée. L’équilibre est superbe.
Cet équilibre, Aubert de Villaine le préserve par un strict contrôle des rendements. Ce qui compte avant tout, c’est la qualité du matériel végétal et la maturité des raisins. Le domaine procède toujours à un ébourgeonnage sévère au printemps, mais ne recourt pas aux vendanges en vert.

Notre hôte nous rappelle que malgré les ravages du phylloxera les vignes de la romanée-conti ont été conservées, non greffée, jusqu’en 1945. Même si elles ont été arrachées cette année-là, leur empreinte perdure au travers des greffons qui ont été effectués. D’ailleurs, le domaine a constitué un « conservatoire » qui compte 36 lignées de vignes issues de cette parcelle mythique, utilisées pour replanter les vignes en fonction des besoins du domaine. La perpétuation du pinot fin ancien est la clef de production de ces grands vins, avec un souci particulier de maintenir une diversité de clones dans la vigne afin d’avoir le plus de sujets différents possible. Est-ce là l’un des secrets du domaine ?
Grands-Echézeaux Grand Cru
Le vin diffuse un nez merveilleusement floral, un parfum subtilement agrémenté de notes de sous-bois, de terre fraîche après la rosée du matin. L’attaque en bouche est vive, la texture fine, l’ensemble dégageant une belle acidité et beaucoup de fraîcheur. Le sol du grands-échézeaux est très différent de celui de l’échézeaux : argileux, profond, d’où la minéralité que l’on perçoit en fin de bouche. La finale s’allonge, agréablement relevée de notes réglissées.
Romanée Saint-Vivant Grand Cru
Le nez est retenu, profond, moins épicé. Est-ce ce jour de basse pression qui le contraint légèrement ? En bouche en tout cas il déploie un pinot très pur, puissant, marqué par les arômes de baies rouges à l’acidité gourmande (groseille, petites baies). La texture est serrée, d’une finesse extrême, telle un taffetas élégant, et s’achève sur une finale complexe, très longue.

Richebourg Grand Cru
Le vin déploie un nez magnifique, doté d’un bouquet d’épices complexes. Le nez est puissant, mais relevé de notes herbacées qui lui confèrent une belle fraîcheur. En bouche c’est un vin sérieux qui s’annonce. Il se déploie lentement, reste sur la réserve, plus que la romanée-saint-vivant. Hasard du calendrier lunaire, impact des différences de pression, ce vin habituellement plus expressif reste discret. Pas mutique, non, mais simplement discret. Pour autant la structure est admirablement charpentée, augurant d’un vin à la remarquable longévité.
La Tâche Grand Cru
La visite et la dégustation se poursuivent et la tension monte, allant crescendo dans l’élégance des vins. Au nez, on a affaire à un grand seigneur. Plus sévère au premier abord, moins chaleureux, « pieds froids » selon les mots de Jean Troigros. Il en impose un peu, nous montre que là, on n’a pas affaire à n’importe qui. Pourtant, on sent bien au nez de belles notes gourmandes d’un fruit parfaitement mûr, très juste. Mais il intimide, je vous assure. La complexité particulière du grand cru la Tâche viendrait de l’hétérogénéité de ce climat qui s’étend du haut au bas des grands crus du domaine. On ne va pas se jeter dessus, on est prié de conserver nos bonnes manières. En bouche, l’attaque est fine, serrée. Là encore on sent l’étoffe noble, de belle extraction. D’ailleurs l’énergie est puissante, la tension remarquable. On se redresse, on se tient droit. La persistance est immense. On ne l’oubliera pas de sitôt, promis.
Romanée-Conti Grand Cru

Les vins de la Romanée-Conti en vente
Alors là, quand s’avante la romanée-conti, on atteint le Graal. Connaissez-vous le labyrinthe situé à l’entrée de la cathédrale de Chartres ? Un parcours introspectif qui nous invite à la méditation, au cheminement, avant d’entrevoir la lumière. D’une certaine manière, la dégustation des différents terroirs exploités par le domaine de la Romanée-Conti nous y prépare de la même manière. Lentement, le puzzle se met en place. Les caractéristiques des différents vins goûtés précédemment se signalent, délicatement, telle une note qui transparait dans une partition musicale, venant agrémenter, sans la rompre, l’harmonie de l’ensemble final. Le fruit intense va croissant en bouche, le vin déploie une matière sphérique d’une finesse inégalée et la texture soyeuse tapisse délicatement le palais, alliant dans un équilibre parfait finesse et énergie. La finale, là encore, déploie un bouquet épicé ou domine la réglisse et les épices délicatement poivrées.
Aubert de Villaine nous autorise à nous interdire de recracher le vin… ça tombe bien, nous ne l’avions pas prévu. 🙂


La dégustation des 2017 s’achève ainsi en point d’orgue, avec cette romanée-conti qui nous permet de cerner l’alchimie subtile qui s’opère lorsque l’on aborde les différents terroirs de la côte de Nuits (le Corton formant évidemment un vin très à part dans cet ensemble). Aubert de Villaine n’entend toutefois pas en rester là. Aux amateurs de millésimes matures et anciens que nous sommes, il fait le cadeau de nous conduire dans un coin retiré de la cave, un espace émouvant où le domaine conserve ses anciens, très anciens millésimes. Témoignages ultimes d’une période révolue, ces vins pré-phylloxériques s’alignent, discrètement, dans la pénombre de la cave. Sur une ardoise, le décompte nous indique que certaines années ne sont plus représentées que par une, deux bouteilles… Ces vins si précieux, si rares, le maître des lieux les connait-il ? Il nous indique avoir un jour eu l’occasion d’en goûter certains, lors d’une dégustation organisée par un collectionneur. « Ces vins ont perdu leur matière, leur chair, il ne leur reste plus que… l’esprit. J’espère qu’un jour mes vins produiront le même effet à ceux qui les dégusteront. » Troublante analogie avec l’humain, et à son âme dont l’empreinte marque et perdure au-delà de l’existence terrestre…
Aubert de Villaine ouvre encore deux flacons passionnants : pour replacer notre dégustation dans la perspective d’un millésime en « 7 », nous goûtons le grand cru La Tâche, dans le millésime 1997. Le nez présente de belles notes empyreumatiques. Voilà un vin ferme, légèrement austère, décidément sérieux, élégantissime. Puis, un grands-échézeaux 1958 conclut ce moment. Un vin soyeux, à la texture dentelée, doté d’une énergie fine et d’un fruit encore présent, délicatement enrobé de notes tertiaires alliant sous-bois, lichen et champignons. De la soie !
Discrétion, concentration, transparence… Suprême élégance et générosité du maître de maison, nous emportons ce précieux flacon, il viendra agrémenter le déjeuner qui suivra… et nous fera manquer notre train de retour à Paris. Mais que pèsent les contingences du temps lorsque l’on vient de vivre un moment … parfaitement hors du temps ?
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Bravo pour ce passionnant compte rendu. C’est comme si, on y était !
Je fais parfois le rêve que je rends visite à ce domaine mythique.
Vous ne pouvez pas savoir comme je vous envie …!
Magnifique récit qui nous plonge dans cette visite. Passionnant.