En mai 2022, un nouveau record s’établissait sur iDealwine à 33.000€ pour la vente d’une bouteille de musigny 2006 de Leroy. On peut légitimement se poser une question : comment justifier un tel niveau de prix ? Depuis plusieurs années, plusieurs facteurs se conjuguent pour influencer l’extraordinaire montée des prix des vins bourguignons. Analyse.
Les coûts de production, à savoir ceux de la viticulture et de la vinification constituent le premier facteur de calcul du prix de revient final du vin. Cultiver une parcelle en coteau demande plus de travail, et ce travail est essentiellement manuel car il est plus difficile d’utiliser des machines sur des vignes en pente. Les installations de vinification et le choix d’un élevage en pièces de chênes neuves constituent également des éléments de coûts importants, dans une période que voit le prix du bois s’envoler. Des coûts de conditionnement, transport (qui ont explosé ces dernières années – le prix d’un container ayant été multiplié par 5 au printemps 2021), distribution, vente, taxes entrent également en ligne de compte. Rien de tout cela n’est cependant spécifique à la région de Bourgogne, reconnaissons-le. D’autant que, plus le prix d’un vin est cher à la sortie du domaine, moins son coût de production influe. Il faut donc chercher ailleurs les raisons de la hausse.
La rareté
Tout d’abord, la rareté des vins de Bourgogne est bien connue. L’AOC s’étend sur seulement 30.000* hectares (contre près de 120.000 hectares à Bordeaux à titre de comparaison). La taille moyenne d’un domaine est de 6,51* hectares. La taille des parcelles cultivées par chaque domaine, et l’exigüité de certaines d’entre elles rendent plus complexe, et donc plus couteuse pour le vigneron l’élaboration des différentes cuvées. N’oublions pas que la Bourgogne ne recense pas moins de 84* appellations !
Les grands crus, largement représentatifs des vins les plus chers de Bourgogne, ne représentent qu’1%* de la production des AOC. A titre d’exemple, ce musigny de Leroy, vendu au plus haut sur iDealwine en mai dernier, était issu d’une parcelle qui couvre seulement 0.27 hectare. Autre fleuron de Bourgogne, la parcelle de Romanée-Conti s’étend sur 1.63 hectares. Les bouteilles produites sur ces parcelles revêtent donc toutes un caractère d’immense rareté. On peut presque les considérer comme uniques, de par leurs caractéristiques exceptionnelles ou leur production minuscule.
Le Baromètre iDealwine 2022, qui retrace les ventes aux enchères de 2021 enregistrées sur la plateforme d’iDealwine, traduit en chiffres cette rareté. La Bourgogne détient en effet le record du prix moyen de la bouteille (75cl) échangée sur le marché secondaire, à 242€ (contre 139€, toutes régions confondues), soit une hausse de 33% en un an seulement. De fait, si la Bourgogne ne représente que la deuxième région échangée, en volume (22% des échanges, contre 40,5% pour Bordeaux), elle détient la première place en termes de valeur adjugée (38,3%, contre 33,9% pour Bordeaux). Et c’est sans surprise au sein de cette région que se niche, année après année, la bouteille la plus chère adjugée aux enchères.
Les forces de marché
Cette rareté fait face à une demande mondiale toujours grandissante, notamment à l’étranger, où une bouteille de bourgogne sur deux est vendue (un peu moins de la moitié restant en Europe, et l’autre partant hors UE). Le montant que le client final est prêt à débourser pèse donc évidemment dans la balance. Face à une offre nécessairement limitée, et pour répondre à cette demande, les propriétaires et les maisons de négoce doivent pourtant trouver le moyen d’accroître leur production, soit par achat de raisin, soit par l’acquisition de parcelles.
Et c’est là que le bât blesse. Car il est difficile aujourd’hui d’acquérir des parcelles dans les terroirs les plus réputés. En effet, les terres disponibles à la vente sont rares, et lorsque c’est le cas, la transaction est rapide, et souvent confidentielle. L’envolée du prix de la vigne (voir notre article Combien coûte un hectare de vigne ?) complexifie les processus de succession, et la reprise d’un domaine par l’un des descendants d’une même famille. Le montant des droits dont doivent s’acquitter les héritiers peut conduire à la vente du domaine, faute d’accord entre ceux qui veulent le reprendre, et ceux qui souhaitent s’en séparer.
Ces hauts prix fonciers freinent également la plupart des vignerons dans l’achat de terre à (à la différence des maisons de négoce qui disposent, pour certaines, d’une assise financière plus solide). Les vignerons sont eux aussi incités à développer une activité de négoce pour accroître leurs ventes. Les prix du kilo de raisin sont en parallèle tirés vers le haut par les achats réalisés par le négoce, en quête de volume pour réaliser de nouvelles cuvées, ou produire en plus grandes quantités. La hausse des prix du raisin contribue de facto au renchérissement du prix des vins.
A l’occasion de la vente des vins des hospices de Beaune – qui se déroule le troisième dimanche de novembre – le domaine des Hospices offre aux enchères la production issue de ses vignes – environ 60 hectares, comptant nombre de grands crus et premiers. Au fil des ans, des records de prix, et de recette finale ont régulièrement été battus. N’oublions pas, toutefois, la dimension caritative de la vente, puisqu’in fine le produit de la vente est reversé aux Hospices pour la plus grande part, alimentant ainsi le budget de fonctionnement de l’hôpital de Beaune. Par ailleurs, plusieurs œuvres caritatives choisies chaque année, se voient attribuer le bénéfice de la fameuse pièce des Présidents. La générosité des acheteurs entre donc également en jeu. La forte médiatisation dont bénéficie la vente depuis près de 20 ans a contribué à attirer un cercle croissant d’enchérisseurs, braquant les projecteurs sur la Bourgogne dans son ensemble.
Les maisons de négoce ne sont plus désormais les seuls enchérisseurs dans ces ventes. Pour autant, elles demeurent les principaux acquéreurs, à l’instar de la maison Albert Bichot, premier acheteur. Face à l’engouement mondial dont bénéficie la vente, lorsqu’un négociant achète une pièce à un prix élevé, il est susceptible de faire croître également le prix moyen de vente au sein de l’appellation concernée. Car dès le lendemain de la vente, les tractations entre négociants et producteurs de raisins reprennent, avec en point de repère les prix atteints lors de la vente des vins. Cette vente participe donc elle aussi à l’augmentation des prix des vins de Bourgogne.
Les facteurs climatiques
Ces dernières années, les conditions difficiles liées au réchauffement climatique sont légion. Les vignerons doivent faire face à des aléas tels que le gel printanier tardif ou la sécheresse.
Le gel, surtout survenu assez tard au printemps, peut réduire drastiquement les rendements d’une récolte. Précisons que les gels printaniers ont toujours existé, mais le réchauffement climatique accélère la maturation de la vigne, et le débourrement (apparition des bourgeons) est donc plus précoce. Lorsqu’un gel survient, et que la vigne a débourré, les jeunes bourgeons, particulièrement fragiles, sont les premières victimes des basses températures.
Plus tard en saison, la sécheresse peut provoquer une situation de stress hydrique pour la vigne. Celle-ci, pour se prémunir des excès de température, interrompt sa croissance végétative et « sacrifie » son fruit, les rendements s’en trouvent affectés.
Un vigneron doit donc souvent vendre au travers d’une seule et même bouteille, la bouteille du millésime d’avant qu’il n’a peut-être pas pu produire, ainsi que la bouteille d’un millésime futur qui pourrait être compromis.
Comme l’indique Angélique de Lencquesaing (co-fondatrice d’iDealwine) dans le Baromètre des enchères de vin 2022 : « A tous ceux qui se désolent de ne plus pouvoir espérer déguster un jour des grands crus bourguignons à des prix abordables, nous répondons que ce constat doit sonner comme une invitation à poursuivre la découverte, la quête de domaines et de régions viticoles encore méconnues et sous-valorisées ». Chez iDealwine, nous nous efforçons tous les jours d’aller chiner de petits domaines, des étoiles montantes, pour vous les proposer en achat direct. Pas moins de 850 domaines sont nos partenaires à ce jour. Promis, le choix est vaste, et les talents multiples ! Les pinots noirs de Côte de Nuits sont devenus inabordables ? Même constat pour les chardonnays de la côte de Beaune ? Foncez vers la Côte Chalonnaise ou le Mâconnais, et lancez les filets un peu plus loin, vers l’Alsace, le Jura, ou plus loin encore… les belles découvertes sont nombreuses.
Sans compter que parfois, il est bon de se laisser séduire et emporter par le vin de ses rêves, un flacon insensé, inabordable, à déguster avec de proches amis amateurs ou dans une occasion mémorable.
Un point est certain : les vignerons de Bourgogne signent des vins extraordinaires, et le verdict du marché, par ses prix parfois inexpliqués, doit être interprété comme un hommage à leur talent, et une forme de consécration.
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*Sources : Les chiffres clés de la bourgogne viticole (CIVB, avril 2021)
Baromètre iDealwine des ventes aux enchères de vin – Edition 2022
Belle analyse, mais quelle sont les conséquences ?
La première c’est que les grands vins de Bourgogne ne sont plus bus.
La seconde c’est que le consommateur français ne suit plus et ne connais la Bourgogne qu’à travers les appellations régionales.
La troisième, innatedue et intéressante, c’est la place prise par les crus du Beaujolais au profits des communales de Bourgogne.
Je suis caviste donc eminament concerné par le sujet d’autant plus que c’est ma région préférée depuis 30 ans et malgré ses écarts cette région viticole reste la plus passionnante du monde et tant qu’à avoir une locomotive autant qu’elle soit française.
Cette rareté des vins de Bourgogne nous oblige nous les professionnels à nous réinventer. On s’intéresse aux pinots d’Alsace, aux trousseau du Jura, aux nebbiolos du Piémont…
Bref, même si les vins de Bourgogne deviennent iconiques, ils tirent la viticulture mondiale vers le haut. N’est-ce pas le plus important ?