A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, iDealwine a décidé de faire une sélection spéciale sur son site e-caviste, de vins produits spécifiquement par des femmes. Pour accompagner cette gamme, nous avons appelé 7 vigneronnes qui font partie de notre réseau de domaines partenaires, leur posant deux simples questions.
Qui sont-elles ? Vigneronnes, propriétaires, gérantes, maîtres de chai…
– Claire Villars Lurton (Bordeaux),
– Céline Josmeyer (Alsace),
– Anne Gros (Bourgogne – Languedoc),
– Clémentine Gruère du domaine Dubreuil-Fontaine (Bourgogne),
– Laura Catena (Argentine),
– Elisabeth et Marie-Laurence Saladin (vallée du Rhône)
Ce que nous leur avons demandé ?
– Quel a été votre parcours pour en arriver là ou elles sont aujourd’hui ?
– « Femme » et « vigneronne », ça vous inspire quoi ?
1. Claire Villars Lurton, propriétaire des châteaux Haut-Bages Libéral et Ferrière et du domaine Acaibo, également Vigneronne de l’année 2024 de La RVF
Quel a été votre parcours pour en arriver à aujourd’hui ?
« J’ai eu la malchance de perdre mes parents jeune, à 24 ans. J’étais alors en études de chimie et de physique quantique. Mon oncle Jean Merlaut a donc géré les propriétés viticoles jusqu’en 2000. Quand j’ai eu 32 ans, elles ont été partagées en famille, et je me suis retrouvée à la tête de deux Grands Crus Classés, que sont Haut-Bages Libéral et Ferrière. Mes études de biologie m’ont alors amené à m’intéresser aux pratiques viticoles et aux couverts végétaux, nous avons ainsi été parmi les premiers de Pauillac à nous lancer dans la biodynamie, accompagnés d’un petit groupe d’expérimentations, dont François Despagne. J’ai fait plein d’erreurs à ce sujet, j’ai perdu de l’argent, mais j’étais et suis toujours la seule actionnaire ce qui simplifie quand même les choses ! En 2015-2016 seulement, nous sommes parvenus à retrouver un équilibre viticole et à tirer un bon rendement de nos vignes désormais saines, aux sols ultra vivants. Aujourd’hui, la qualité des vins s’en ressent. Je suis fière d’avoir reçu le prix de la Vigneronne de l’année 2024 de La RVF, d’abord pour ma région qui n’avait pas été récompensée de ce prix depuis bien longtemps, pour les viticulteurs qui travaillent en bio ou biodynamie ensuite, et aussi pour mon équipe qui est derrière moi, croit en moi et est pleine de créativité et d’inspiration, ce qui me porte aujourd’hui. On s’amuse beaucoup, on teste des trucs rigolos et on est toujours en mouvement. »
« Femme » et « vigneronne », ça vous inspire quoi ?
« J’utilise depuis longtemps ce terme de ‘vigneronne’ qui est moins emprunté à Bordeaux, où on parle surtout des propriétaires de châteaux, et peu de ceux qui font le vin. J’aime cette terminologie. Quand j’ai commencé dans le milieu du vin, j’ai plutôt considéré que c’était une chance d’être une femme, car nous étions trop peu nombreuses et cela me distinguait donc, mais également une femme propriétaire car cela me donnait tout de suite une crédibilité. Dans mon travail, j’ai pu apporter des qualités que je qualifie de féminines : le fait de réussir à désamorcer certaines situations, d’apporter de la douceur ou encore l’esprit travailleur que je trouve typiquement féminin ».
Lire : Le château Haut-Bages Libéral : biodynamie et agroforesterie dans un cru classé 1855
2. Céline Josmeyer, dirige le domaine familial et la partie vignoble
Quel a été votre parcours pour en arriver à aujourd’hui ?
« Je n’ai pas du tout fait des études œnologiques, mais me suis lancée dans une maîtrise d’Histoire de l’Art et dans une licence des métiers du livre. En effet, je suis la dernière de trois filles, et ne me destinait donc pas à reprendre le domaine familial. Je suis heureuse d’avoir accompli des études qui m’ont littéralement passionnées et je suis finalement revenue au domaine vers 25 ans en réalisant ensuite un BPREA en viticulture, histoire de me mettre à jour en un an. Ma deuxième sœur travaillait alors au domaine côté vinification, et mon père me titillait un peu en disant qu’il avait besoin d’hommes autour de lui pour accomplir du travail dans l’exploitation. Ni une ni deux, je lui ai dit que moi, je pouvais faire ce travail « masculin » dans son esprit, j’en étais capable. Depuis, je dirige le domaine et le vignoble et Isabelle s’occupe toujours de la cave ».
« Femme » et « vigneronne », ça vous inspire quoi ?
« Ça m’inspire du courage. Ce n’est pas un métier facile, il en contient d’ailleurs plusieurs en un seul : la vigne, la cave, le commerce, la gestion, la communication… En plus du fait que souvent, les femmes ont plus de choses à gérer que les hommes à côté de leur métier. Les aléas climatiques aujourd’hui nous demandent encore plus d’avoir ce courage, mais aussi une certaine abnégation, de savoir rester humbles et d’apprendre à rebondir. Ma sœur et moi, nous avons toutes les deux une patte artistique – elle voulait faire les Beaux Arts -, donc nous mettons cette sensibilité au service de nos vins. Votre question me fait penser à ce poème de René Char, ‘L’air était maternel. Les racines croissaient.’ Je crois que femmes et vignes sont faites pour s’élever l’une l’autre. »
Lire : Domaine Josmeyer : le meilleur de la grande tradition alsacienne
3. Anne Gros, vigneronne en Bourgogne et dans le Languedoc
Quel a été votre parcours pour en arriver à aujourd’hui ?
« Mon parcours est très ordinaire : fille unique, j’ai repris le domaine familial de 3 hectares en 1988. A partir du millésime 1990, nous mettions tous nos vins en bouteille au domaine pour les vendre. Aujourd’hui, ce domaine fait 8 hectares et a été complété par la reprise de certaines vignes familiales et d’achats, notamment en 1988 de 39 ares de Vosne-Romanée. J’ai commencé seule, puis avec un salarié, puis deux, puis huit aujourd’hui sur les deux domaines de Bourgogne et du Languedoc. Côté études, j’ai donc fait un BPA viti oeno, Diplôme de Technicien en Œnologie puis un Brevet Professionnel Agricole en Commerce tout en travaillant au domaine. Avec le papa de mes 3 enfants, Jean Paul Tollot, nous avons créé en 2006 notre domaine dans le Minervois, avec sortie du premier millésime en 2008. Aujourd’hui, ma fille Julie m’a rejointe en 2013, et mon fils Paul en 2018. »
« Femme » et « vigneronne », ça vous inspire quoi ?
« Je dirais que je suis aussi vigneronne que mère de famille. Par contre ‘femme’, un peu moins. Vous me verrez sans cesse avec des chaussures pleines de terre et souvent un bonnet vissé sur la tête dans la cave. »
Lire : Anne Gros et Jean-Paul Tollot | Le style bourguignon au cœur du Minervois
4. Clémentine Gruère, gère le Commercial et l’Export au domaine Dubreuil-Fontaine
Quel a été votre parcours pour en venir à aujourd’hui ?
« Après mon bac Economique et Social, j’ai fait un Master Grande Ecole (d’entrepreneuriat) à l’IESEG, en prenant soin de passer tous les stages en rapport avec le vin, à la fois le côté technique à la vigne et en cave, mais aussi l’aspect commercialisation en boutique, le marketing et l’importation du vin. J’ai fait un court passage au caveau du Château de Meursault puis suis revenue au domaine familial pour développer la partie Commerciale et l’Export. »
« Femme » et « vigneronne », ça vous inspire quoi ?
« Les femmes vigneronnes sont de plus en plus nombreuses et c’est gratifiant. Pour ma part, j’ai eu la chance d’avoir un super modèle dans mon entourage : ma maman qui nous a montré à ma sœur et moi qu’il était tout à fait possible de faire ce métier qui n’est finalement pas réservé qu’aux hommes… ». Clémentine et sa mère Christine Gruère font partie de l’association Femmes et Vins de Bourgogne.
5. Laura Catena, directrice du domaine Catena Zapata et fondatrice du Catena Institute of Wine
Quel a été votre parcours pour en venir à aujourd’hui ?
« J’ai étudié la médecine. Moi, je voulais aider les hommes et les femmes, et le vin, c’était le business de Papa, et ça n’allait aider personne, donc c’était non. Alors que mes amis médecins étaient reconnus dans leurs familles, mon père, lui, était très déçu. Ma mère m’a alors confié qu’il voulait que je travaille avec lui. Très intelligent, il m’a emmené avec lui en France pour des dégustations, prétextant que je pourrais l’aider car je parlais français, je suis alors tombée amoureuse du vin. De là à travailler dedans, le pas n’était pas encore franchi, le vin était alors pour moi une passion, et je dépendais tout mon argent pour me faire plaisir avec, et pas dans la mode ou les fringues ! Deuxième déplacement aux USA, parce que je parle aussi anglais, j’ai bien compris que là, mon père voulait vraiment que je l’aide… Et puis j’ai réalisé que le vin concernait ma famille originaire d’Italie depuis 1800, et que mon arrière-grand-père, Nicolás Catena Zapata, et mon père aujourd’hui, avaient tout fait pour donner une place à l’Argentine sur la scène mondiale. Le challenge me plaisait et à 28 ans, j’ai décidé de travailler avec lui, en restant à côté urgentiste, métier que j’ai pratiqué 28 ans durant. J’ai créé le Catena Institute, qui m’a fasciné et pour lequel mes études de biologie – matière par laquelle on commence la médecine quand on étudie à Harvard – m’ont beaucoup aidé. Quand mon père a eu 80 ans, en 2019, je me suis dédiée à 100% au domaine que je manage depuis 2012. Je me rends compte que finalement, avant je soignais les personnes, maintenant ce sont les plantes, et j’y mets autant de soin et d’implication. Je voulais reprendre des études car j’adore le côté très scolaire, mais finalement j’ai appris sur le tas – avec mon travail comme médecin urgentiste, mes enfants qui arrivaient, c’était compliqué – avec mes équipes. La partie que je trouve la plus dure est de bien déguster, ça demande beaucoup d’investissement et de temps. »
« Femme » et « vigneronne », ça vous inspire quoi ?
« Les mots qui me viennent sont : famille, nature, culture et plaisir. Je relie la femme parfois au soin, au côté « prendre soin » et c’est ce que je fais avec la vigne aujourd’hui. La vigne, comme un enfant, peut attraper des maladies, des virus, donc il faut en prendre soin comme d’un enfant. Et pour ma part, le vin est pour moi un plaisir tout à fait féminin. Je gère beaucoup de choses dans ma vie, ma famille, l’exploitation, l’Institute, et quand je veux prendre mon moment à moi, qui me relaxe, qui me permet de me recentrer et donc de mieux incarner la femme que je suis, je me sers un petit verre de vin.
Je travaille également avec ma sœur au domaine, et c’est tout à fait agréable cette collaboration féminine. Elle est plus perfectionniste que moi, assez critique dans le sens qu’elle interroge les choses, nous adorons travailler ensemble et elle me pousse avec beaucoup d’amour. »
Lire : Bodega Catena Zapata | Rencontre avec Laura Catena
6 et 7. Elisabeth et Marie-Laurence Saladin, vigneronnes au domaine familial en Ardèche
Quel a été votre parcours pour en arriver à aujourd’hui ?
« Avec Elisabeth, ma sœur, notre parcours s’est joué sur un concours de circonstances et sur un coup de foudre sensoriel.
Aux vendanges 2003, notre père Louis a eu un souci de santé, une greffe d’une artère à la jambe (en raison de nos terroirs de galets roulés) qui l’empêchait de vendanger, de monter aux échelles, de vinifier. En l’espace d’une vendange, nous nous sommes toutes les deux retrouvées à remplacer ses jambes, ses yeux et son nez ! Il nous guidait depuis son fauteuil et du haut de ses 72 ans. Nous qui étions des filles à qui on disait : « laisse, ce n’est pas pour toi » ou « tu vas te faire mal », cette expérience a été une formidable plongée dans la lignée viticole de notre famille (les archives remontent à 1422 avec un acte d’achat de vignes à Saint-Marcel d’Ardèche en Côtes du Rhône), dans le savoir-faire et la viticulture familiale, en bio depuis ses débuts en vignes comme en cave.
Le coup de foudre a été sensoriel pour nous deux : au travers des parfums, des couleurs, de l’ambiance de la cave, des vignes… la magie des vendanges a opéré ! C’était une formidable occasion d’être à la fois guidées par notre père et en même temps aux manettes. Nous en rêvions la nuit.
Elisabeth était alors étudiante en école de commerce de la Catho à Lyon, l’ESDES. Et moi, étudiante à l’école d’ingénieur à l’ISARA-Lyon. En juillet 2004, le lendemain de ma soutenance de thèse, effectuée chez Bernadette, Marcel et Philippe Guigal, des vignerons-négociants exceptionnels, je suis revenue au domaine. En 2005, Elisabeth m’a rejointe après son mémoire de fin d’études chez InterRhône, l’interprofession jeune et dynamique des Côtes du Rhône. »
« Femme » et « vigneronne », ça vous inspire quoi ?
« Ça nous fait penser à nos tantes, nos grand-mères et arrières grand-mères, nos collègues, nos amies, nos voisines, les Femmes Vignes Rhône au niveau régional et les Femmes de Vin au niveau national : aussi bien les « héritières » comme nous, que les nouvelles arrivantes. Des femmes engagées, actives, passionnées, courageuses. Des femmes sur qui on peut compter.
Ça nous inspire également une vision de cheffe d’entreprise et une vision d’un métier d’avenir pour les nouvelles générations de femmes : un métier mêlant la nature, l’environnement, la créativité, les parfums…. Un engagement à court et à long terme, tant au niveau local que sociétal. Un métier où les femmes peuvent allier pleinement -et joyeusement- leur vie de femme et de mère de la manière qu’elles le souhaitent. Et ça, ça nous parait une sacrée avancée ! »