L’équilibre gustatif d’un vin dépend principalement du niveau d’acidité, de la structure tannique, mais également de sa douceur, son goût suave. Il est généralement question de « sucrosité », un néologisme pour décrire cette impression sucrée … sans sucre. Mais d’où vient cette douceur que l’on peut retrouver dans les grands vins blancs secs, puisqu’elle ne provient pas de sucres résiduels comme c’est le cas dans les vins liquoreux ?
Axel Marchal – docteur à l’université d’œnologie de Bordeaux – a soutenu il y a quelques années une thèse intitulée Recherche sur les bases moléculaires de la saveur sucrée des vins secs. Le fruit d’un travail mené sous la direction de l’éminent professeur Denis Dubourdieu. Ses conclusions nous éclairent sur notre perception de cette fameuse saveur sucrée.
Parmi les sensations provoquées par la dégustation d’un vin blanc, celle de douceur, de sucrosité, est primordiale pour son équilibre. Elle est d’autant plus importante qu’elle répond à une attirance, un goût prononcé inné pour le sucré, et que les dégustateurs identifient nécessairement lors des dégustations, en raison, notamment, de notre alimentation.
Contrairement aux vins liquoreux dont le caractère sucré est bien réel, puisqu’il est directement lié à la présence de sucre résiduels (glucose et fructose) provenant des raisins et non transformés par les levures – la fermentation étant stoppée lorsqu’est atteint le titre alcoométrique souhaité – dans le cas des vins blancs secs, le sucre réel est présent en quantités très inférieures à son seuil de perception (généralement inférieur à 1g/L, alors que le seuil de perception dans les vins se situe autour de 4-5 g/L). Autrement dit, la sucrosité ressentie des vins blancs secs, ne provient pas de sucres réels. Mais cette sucrosité est bien ressentie de manière unanime par les dégustateurs, et elle est même particulièrement appréciée. En effet, en étudiant le vocabulaire des commentaires de dégustation du célèbre dégustateur Robert Parker, et en comparant l’occurrence de mots relevant du champ lexical de la douceur avec les notes du dégustateur, on remarque une corrélation nette avec la qualité perçue des vins : les vins où l’occurrence des mots exprimant la douceur est la plus élevée dans les commentaires de dégustation de Parker, sont aussi ceux qu’il note le mieux. Et il n’est pas le seul à apprécier cette douceur dans les vins, blancs comme rouges.
La sucrosité des vins est donc un phénomène essentiel de la dégustation, nettement perceptible et pourtant elle reste encore largement méconnue, notamment dans ses origines moléculaires. Il est prouvé que certains arômes du vin peuvent être associés à une ou plusieurs molécules. C’est justement ce travail d’identification des déterminants moléculaires de la saveur sucrée des vins blancs secs qu’a mené Axel Marchal.
L’étude se fonde à la fois sur des techniques analytiques et sensorielles, ce qui semble assez logique compte tenu de la nature du sujet. Elle se concentre notamment sur le rôle de l’éthanol et du glycérol dans la saveur sucrée des blancs secs, ainsi que celui des levures et de l’élevage sous bois.
L’éthanol et le glycérol, longtemps perçus comme responsables de la sucrosité, à tort
L’éthanol et le glycérol sont les composés majoritaires des vins blancs secs (outre l’eau bien sûr) ; ils se forment au moment de la fermentation alcoolique. L’éthanol (alcool) est présent dans les vins blancs secs dans des teneurs comprises entre 12 et 14° et le glycérol est un composé naturel du vin présent à hauteur de 3 à 10 ml par litre, qui lui apporte son gras, son caractère coulant.
Il est fréquemment avancé que ces deux composés jouent un rôle important dans la sucrosité des vins, mais les études sur le sujet sont contradictoires et ne démontrent pas clairement ce lien. Axel Marchal a lui-même mené une expérience d’analyse sensorielle sur un panel de dégustateurs aguerris et a conclu que l’ajout d’éthanol et de glycérol n’engendre aucune modification significative de la perception de sucrosité d’un vin.
Ces deux éléments n’ont finalement pas – ou très peu-, d’effet sur la sucrosité des vins. De même, aucun édulcorant n’est connu dans les vins. Il existe donc forcément d’autres composés chimiques augmentant la saveur sucrée, et on sait que les praticiens observent une augmentation de la saveur sucrée après la macération post-fermentaire des vins rouges (prolongation de la cuvaison après la fermentation alcoolique, qui maintient le vin au contact du moût et des levures), mais également après un élevage sous bois de chêne.
Le rôle des levures et plus particulièrement de la protéine Hsp12
Les vignerons observent une augmentation de la sucrosité des vins après les macérations post-fermentaire des vins rouges, un gain de saveur qui est donc concomitant de l’autolyse des levures (destruction des levures et diffusion de leur contenu dans le vin). Cela suggère donc que ces dernières libèrent des composés qui augmentent la sucrosité. Cette observation sur les vins rouges peut également être étendue aux vins blancs qui sont mis en contact avec les lies.
A la fin du processus fermentaire, le vin est mis en contact avec les lies (composés essentiellement de levures et des pellicules et pépins de raisins), et durant cette période, sous l’effet d’enzymes endogènes, les levures se dégradent et s’autodétruisent, c’est ce que l’on appelle l’autolyse des levures. Dans le cas des vins blancs, cette opération se produit durant l’élevage sur lies. Le contact avec les lies engendre de nombreuses modifications physico-chimiques et organoleptiques (qui agissent sur nos récepteurs sensoriels) du vin, telles qu’une modification des arômes boisés et surtout, un gain de sucrosité. En effet, Axel Marchal a démontré que la sucrosité perçue par les dégustateurs augmente avec la quantité de levures présentes au cours de l’autolyse. Il semblerait que cela soit plus particulièrement le fait d’une certaine protéine présente dans les levures (la protéine Hsp12 pour être précis), dont la présence augmente la sucrosité d’un vin (probablement en libérant des composés durant l’autolyse). Il s’agit d’ailleurs de la première expérience prouvant un lien entre une protéine de la levure et un goût du vin. L’expression de cette protéine est notamment conditionnée par la température, le stress oxydatif ou la concentration en éthanol et en glycérol.
Le rôle édulcorant de l’élevage en bois de chêne
De même, les praticiens observent que l’élaboration des vins en barriques de chêne (vinification et/ou élevage) modifie également de manière notable les propriétés sensorielles du vin, particulièrement dans le sens d’un gain de saveurs et notamment une augmentation de la sucrosité. Axel Marchal a mené l’expérience sur un panel de dégustateurs en différenciant les contenants (cuves inox, barriques neuves, barriques usagées) et a conclu que la sucrosité des vins augmentait avec le contact au bois, puisqu’elle est ressentie comme plus intense dans les barriques qu’en cuve et qu’elle tend à décroître avec l’âge du contenant (la sucrosité est plus intense avec un élevage en barriques neuves). Ces modifications de saveurs tiennent en partie à des phénomènes d’oxydoréduction (le bois étant relativement perméable à l’oxygène), mais également à l’extraction de composés spécifiques qui viennent modifier les propriétés gustatives du vin. Ce sont ces composés du bois, volatils ou non-volatils qu’a cherché à isoler l’étude.
Ce travail de recherche a prouvé que le gain de sucrosité ne résultait pas d’un biais cognitif conduisant à l’association d’arômes habituellement retrouvés dans des mets sucrés avec la construction d’une représentation sucrée. Autrement dit, l’augmentation de la sucrosité du vin élevé sous bois est bien réellement perçue et non pas seulement imaginée (par association d’odeurs et de goûts, comme le fait d’associer une odeur de vanille à un goût sucré, du fait de les voir habituellement associés). La sucrosité provenant d’élevage n’est donc pas le fait de composés volatils du bois (des odeurs), mais bien de molécules non-volatiles.
L’étude a permis d’isoler ces composés du bois responsables du gain de sucrosité, il s’agit de nouvelles molécules découvertes. Les plus savants d’entre vous apprécieront de savoir qu’elles sont baptisées quercotriterpénosides I et III ;-). La présence de ces molécules à saveur sucrée dans les vins blancs secs augmente avec la durée de l’élevage, et diminue avec l’ancienneté de la barrique (les barriques neuves en contiennent plus). Ce phénomène est particulièrement observable avec les eaux de vie qui subissent de longs élevages et dont la sucrosité augmente.
L’auteur conclue sa thèse en proposant de prochaines pistes d’études pour approfondir ce vaste sujet. Il suggère notamment d’étudier le rôle des terroirs et des cépages qui serait également important pour expliquer les différences de sucrosité perçue de blancs secs, à technique de vinification et d’élevage identiques. Le mystère des grands vins et des grands terroirs n’est pas encore percé …
Voilà, maintenant que les bases moléculaires de la sucrosité des vins blancs secs n’ont plus de secrets pour vous (ou du moins, elles en ont moins qu’auparavant), vous pouvez désormais placer dans une conversation, « La sucrosité d’un vin blanc sec provient en partie de la protéine Hsp12 présentes dans les levures, mais également des molécules quercotriterpénosides I et III présents dans le bois de chêne. » ! Vous devriez faire votre petit effet ! 😉
Voir la vidéo de présentation de la Thèse d’Axel Marchal
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