Depuis le millésime 2016, vous n’êtes pas sans savoir que les vignobles français sont quasiment tous les ans confrontés à des épisodes de gelées de printemps, qui sévissent en avril et mai, période à laquelle la végétation apparaît et la température peut encore être négative. Face à celles-ci, quelles sont les solutions des vignerons pour lutter contre ce fléau climatique qui ravage leur récolte ?
Le gel de printemps, quelques explications
Après l’hiver, quand les températures remontent, les jeunes pousses sortent des ceps qui étaient en dormance tout l’hiver. Lorsque les températures sont proches de 0°, les cellules présentes dans les organes verts éclatent et provoquent ainsi la mort des bourgeons et de la récolte du pied.
Lire : Quels travaux dans la vigne au printemps ?
Il faut distinguer deux types de gel :
- Le gel radiatif : la nuit, le sol se refroidit et le matin, le ciel est clair, sans vent, et ainsi la température l’air en altitude est plus élevée qu’au sol. Cette situation est à l’origine des « gelées blanches« , appelées ainsi car les bourgeons sont alors recouverts d’une fine couche de glace.
- Le gel advectif : cette fois-ci, il y a du vent et une grande masse d’air froid polaire (-5 à -10° la nuit) qui se propage dans les vignes, la température est alors la même partout. On parle alors de « gelées noires« , car rapidement les bourgeons des vignes noircissent.
Un aléa qui devient de plus en plus récurrent, le cas de Chablis
Remontons un peu en arrière, si le changement climatique a sans doute à voir avec la régularité de cet aléa dans nos vignobles, certaines régions y font face depuis de nombreuses années. C’est par exemple le cas de Chablis, l’un des appellations les plus septentrionales de France. A ce titre, c’est bien l’une des plus exposées au problème du gel au printemps et d’ailleurs aussi de la grêle entre mai et septembre. Les premiers systèmes de protection, bricolés ou plus techniques, ont été mis en place dans les années soixante ce qui a permis le développement du vignoble chablisien. En effet, avant cela, il n’était pas rare qu’une récolte soit détruite tous les deux ou trois ans.
Quelques méthodes de lutte contre le gel
1. La paille brulée
Parmi les premières initiatives que nous avons vues apparaître dans les vignobles, le fait de brûler de la paille ou du foin. Cette technique qui nécessite une mobilisation de plusieurs vignerons d’un même village, consiste à créer un voile opaque de fumée qui limite le réchauffement qui a lieu trop rapidement au lever du soleil, et l’impact de son rayon, en favorisant un réchauffement du sol. Points positifs : elle n’est pas onéreuse, elle est collective et fédératrice, elle est assez aisée à mettre en place. Points négatifs : elle ne serait pas efficace pour tout type de gel, la fumée gêne les riverains et elle met des particules polluantes en suspension dans l’air.
2. Les chaufferettes, bougies ou braseros
C’est une des techniques les plus répandues dans les vignobles, vous n’avez pas pu passer à côté des photos. L’idée est de réchauffer l’air ambiant, et permettent de gagner en moyenne 3 degrés au niveau des pieds de vignes. Les effets négatifs : ils nécessitent beaucoup de main d’œuvre, sont très coûteuses, et ont également des conséquences écologiques néfastes. Depuis peu, des chaufferettes à granulés à bois sont utilisées, moins polluantes (que le fuel par exemple) et plus efficaces, mais également plus couteuses.
3. Les tours anti-gel fixes
Elles sont installées dans les vignes de manière pérenne, et ont un rayon d’action de 5 hectares environ (elles sont donc souvent partagées entre vignerons). L’objectif : uniformiser les températures entre l’air chaud qui est en altitude et l’air froid au niveau du sol et des pieds de vignes. Elles sont efficaces jusqu’à -4° environ. Le souci est qu’elles polluent également, et sont inefficaces contre les gelées noires.
4. L’aspersion
Il s’agit de pulvérisations d’eau : au moment des gelées, de l’eau est pulvérisée sur la vigne, de manière continue. Des cocons de glace se forment autour des jeunes feuilles et des bourgeons, les protégeant ainsi du froid, car la transformation de l’eau en glace produit de l’énergie, et ainsi de la chaleur, donc à l’intérieur de la proche de glace, la température ne descend pas sous 0°. Cette technique, très utilisée à Chablis, permet d’agir jusqu’à -6/-7°, sur tous les types de gel, mais nécessite un cours d’eau à proximité et est très coûteuse (ce sont souvent les plus belles parcelles qui en sont équipées). Cette technique serait une des plus efficace.
5. Les éoliennes mobiles
C’est la même technique de brasseurs d’air que les tours anti-gel, efficace sur un rayon de 3 hectares de vignes et à -3°. L’avantage de cette éolienne est qu’elle est moins couteuse et pollue moins le paysage que les tours fixes. Elles sont malheureusement inefficaces dès que le vent atteint 8km/h, et contre les gelées noires.
6. Les hélicoptères
Quand ils volent à basse altitude (sous 20m), les hélicoptères brassent également l’air chaud et l’air froid au niveau des ceps. C’est une technique non seulement dangereuse (car elle a lieu tôt le matin, avec peu de visibilité), polluante et couteuse. Ils peuvent faire gagner jusqu’à 3 ou 4,5°. Ils sont assez efficaces car peuvent couvrir 25ha de vignes. L’un d’eux avait survolé les vignes du Clos de Vougeot en 2021.
7. Les bâches/la couverture des vignes
L’idée est l’effet d’une serre : la bâche vient capturer l’air au niveau des pieds de vignes, empêcher son évaporation et créé ainsi un climat plus chaud qu’à l’extérieur de la bâche. Plusieurs techniques existent : voiles d’hivernage, de tunnels mono-rangs ou d’agrivoltaïsme. Les voiles d’hivernage ont été interdites sur toutes les AOC depuis 2003, car elles « modifiaient les caractéristiques du milieu ». Elles protègent pourtant bien des gelées blanches.
9. Les canons/convecteurs à air chaud
L’idée est de diffuser de l’air chaud parmi les rangs de vignes. Les canons à air chaud, convecteurs à air chaud, Frost Buster ou Frost Guard tournent au gaz ou au fuel et permettent de réchauffer et d’assécher l’air, donc de protéger les vignes contre tous types de gel jusqu’à -3°, sur la moitié d’un hectare (sauf en cas de vent où ils sont impactés). Cette technique est également coûteuse, et très polluante.
10. Le fil chauffant
Il fait partie des dernières technologies de lutte contre le gel : ce fil porteur installé le long des fils de chaque rang de vigne fonctionne comme une résistance électrique et chauffe ce fil. Cette technique est très pratique pour les pieds taillés en Guyot car la baguette est liée près du câble. Cette méthode nécessite une alimentation électrique puissante.
Ainsi, chaque système présente des avantages et des inconvénients en terme d’efficacité, de coût et de la main d’œuvre nécessaire pour mettre en place le système, le faire fonctionner, et l’entretenir. une affaire à suivre car d’autres technologies sont en développement…
Lire : Réchauffement climatique : le vignoble français est-il menacé de disparition ?
Merci pour cet article très exhaustif;
je me permets toutefois de signaler une inexactitude quant aux inconvénients de la méthode du fil électrique chauffant: la remarque sur les émissions carbone induites par la consommation électrique est valable dans beaucoup de pays mais pas en France dont la production est décarbonée à 97%. Sans compter que l’électricité est abondante la nuit et donc peu coûteuse. La difficulté, c’est le raccordement électrique à la parcelle du fait de ses possibles enclavement et éloignement du poste source.
J’ai étudié cette solution à la demande d’un vigneron réputé du pays nantais d’où ma connaissance du sujet.
Bonjour Monsieur,
Merci pour cette précision et cette information très intéressante. Nous avons rectifié cette mention.
Un sujet tristement passionnant…
Bien à vous,