impact note Parker sur les prix du vin en primeur

Des chercheurs américains ont bâti un modèle mathématique capable de déterminer avec précision le prix d’un vin en fonction de la note attribuée par Robert Parker en primeur. Les vérifications empiriques de leur modèle basé sur 12 célèbres châteaux bordelais sont extrêmement proches de la réalité et valident leurs hypothèses. Une question se pose toutefois : quelle postérité de ce modèle après le départ de Robert Parker ?

Trois chercheurs américains de l’université de Syracuse (NY) ont voulu analyser, comprendre et modéliser le système bordelais des primeurs pour en évaluer les bénéfices et l’appliquer aux domaines américains. Retour sur leur raisonnement et sur quelques étapes clé du système des primeurs.

Le système des primeurs est un système qui permet aux domaines bordelais de vendre des vins qui sont encore en cours d’élevage, permettant ainsi de générer la trésorerie suffisante pour commencer un nouveau cycle de fonctionnement et de partager le risque lié à l’élevage du vin en barriques.

Une première note attribuée en primeur (barrel score)

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Une fois la vinification achevée, les experts et critiques sont invités à déguster et à évaluer le vin alors que son élevage est encore très loin d’être terminé. A partir du début des années 80, la campagne de primeurs commençait réellement pour les châteaux après le passage d’un seul homme : Robert Parker.  Le graphique ci-contre montre l’influence de sa note. Dans ce cas, l’évolution du prix de Château Lafite Rothschild 2008 en primeur après l’attribution d’un 98/100 par Robert Parker.

A noter que ce modèle mathématique, quoique publié récemment (mai 2015) a été élaboré avant l’annonce de la « retraite » de Robert Parker. Nos commentaires sur ce point figurent plus bas.

Une deuxième note pour le vin en bouteille (bottle score)

Une fois le vin terminé et mis en bouteille il est à nouveau évalué et noté par des experts. Ce second verdict intervient bien après la prise de décision par le producteur des proportions de vin commercialisé en primeur. Cependant, cette notation aura des conséquences significatives pour le domaine, puisqu’elle diffère bien souvent de la note établie en primeur.

En effet, si la note du vin mis en bouteille est supérieure à la note établie en primeur, le bénéfice pour le domaine est moindre, et l’acheteur du vin en primeur empoche la différence. C’est donc une source de profit perdue pour les domaines. Dans cette situation, plus la proportion vendue en primeur par le domaine est importante, plus la perte sera grande. D’après ce modèle, si un vin a une note relativement faible en primeur, le domaine devrait avoir le réflexe de limiter le volume vendu.

D’un autre côté, si la note du vin est excellente (proche de 100), le domaine aura intérêt à écouler des quantités beaucoup plus importantes. Le risque est alors transféré à l’acheteur : si la note de la bouteille est inférieure à celle qu’avait obtenue le vin en primeur, c’est le client qui perd au change.

Définir la proportion optimale du volume de vin à vendre en primeur est ainsi le casse-tête annuel auquel sont confrontés les producteurs. L’étude propose une solution à ce problème. Les graphiques ci-dessous illustrent la première intuition de l’étude : plus la note moyenne est élevée, plus la proportion de vin vendue en primeurs doit être importante. La corrélation est tout à fait linéaire, et l’est également pour les prix.

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Comprendre le marché

Mais le domaine ne peut pas fixer unilatéralement les proportions de vin qu’il souhaite écouler en primeur. Si la fixation du prix et des quantités ne dépendaient que du critique et des domaines le système serait très simple ! Comme nous l’avons dit plus haut, la base même du système des primeurs est celui d’un partage des risques entre le consommateur et le producteur. En effet, si le client achète en primeur, c’est qu’il a l’espoir de réaliser un profit, en partageant le risque il empoche également la prime de risque (risk premium) dont le montant varie en fonction du risque pris.

De ce fait, les intérêts des consommateurs et ceux du domaine peuvent ne pas être concourants puisque chacun essaye ainsi de maximiser son gain. Si le domaine fixe un prix trop élevé, il risque de ne pas vendre les quantités désirées en primeur. D’autre part, s’il fixe un prix trop bas il n’emporte pas la totalité de ce que les clients auraient pu payer et offre donc une partie de son profit à ses consommateurs. Finalement ici, c’est l’une des conséquences de la loi de l’offre et la demande, rien de nouveau sous le soleil.

Groupe de consommateurs homogène ou hétérogène ?

C’est ici que l’étude fait une distinction primordiale dans la prise en compte du marché. L’hétérogénéité du groupe de consommateurs est absolument primordiale à la réussite du système des primeurs. Pourquoi ?

Si le producteur vend sa production à un groupe homogène d’acheteurs il aura la même réaction de la part de tous les consommateurs. Si le prix est trop élevé il se verra forcé de le baisser pour atteindre le niveau attendu par le marché, s’il est trop bas il perdra une partie de profit.

En revanche, si le groupe de consommateur est hétérogène, certains consommateurs quitteront le marché mais ceci n’influencera en rien la capacité du domaine à vendre son vin puisque le domaine ne traitera qu’avec les individus prêts à acheter le vin au prix fixé, pour peu qu’ils soient suffisamment nombreux. Ainsi, plus le marché est hétérogène, plus la probabilité que le domaine puisse écouler son vin au prix qu’elle souhaite est grande.

Les conclusions de l’étude

En utilisant les raisonnements ci-dessus, les chercheurs ont pu construire un modèle mathématique très performant, bien que peu élégant, et d’une précision remarquable. Ils ont ainsi pu atteindre les conclusions suivantes :

  • La note en primeur joue un rôle significatif dans la décision des quantités mises sur le marché d’une part, et du prix de mise sur le marché d’autre part. En effet, l’étude prouve que la note donnée en primeur (celle de Robert Parker) compte pour elle à seule pour 96% du prix d’un vin en primeur.
  • La présence du système des primeurs a augmenté en moyenne de 10,10% (entre 5,71% et 22,70%) le taux de profit des vignerons bordelais concernés par l’étude. Cela fait longtemps que les vignerons bordelais avaient compris qu’ils avaient intérêt à utiliser ce système…
  • En appliquant ce modèle économétrique aux données collectées sur 12 châteaux bordelais, les chercheurs ont pu calculer les prix des vins vendus en primeur avec une marge d’erreur inférieure à 1%. (6 châteaux de la rive gauche : Cos d’Estournel, Ducru Beaucaillou, Duhart Milon, Léoville Poyferré, La Mission Haut Brion et Pichon Lalande. 6 châteaux de la rive droite : Angélus, Pavie, Cheval Blanc, Clos Fourtet, L’Evangile, Troplong Mondot).
  • D’après les données collectées, le modèle a estimé que le niveau optimal de vente en primeur est en moyenne de 27,65% de la production pour les châteaux étudiés.

Ainsi, avec différentes données dont la note attribuée par le célèbre critique, le modèle peut prédire avec une très haute précision le prix optimal de vente d’un vin en primeur pour un domaine.

L’étude s’interroge par la suite sur l’application d’un tel système ailleurs aux Etats-Unis et plus particulièrement dans l’état de New York. Les chercheurs parviennent à conclure que ce système serait également bénéfique pour ces domaines pourvu que la demande soit assez hétérogène. Autrement dit les producteurs devraient accepter de perdre un peu pendant quelques années afin de construire et de comprendre le marché. Puis le système des primeurs deviendrait très profitable.

Les limites de l’étude

Tout d’abord, l’étude nous laisse tributaire du choix des châteaux étudiés. L’équipe de chercheurs a isolé 12 domaines, qui ne sont en aucun cas représentatifs à eux seuls du système des primeurs. Selon les choix effectués l’étude semble plutôt porter sur les domaines dont les vins sont notés plus de 92/100 Parker. Autrement dit l’étude pourrait être rendue entièrement caduque. Ce n’est pas une très grande nouvelle que les châteaux bien notés par Parker en acceptent l’influence ! Il serait en effet plus difficile d’établir cette même corrélation sur des châteaux obtenant des notes moindres, et refusant l’influence souvent jugée dictatoriale – à tort ou à raison – du célèbre critique.

D’autre part, le modèle estime qu’une fois la note de la bouteille est donnée, le vin est définitivement figé. En termes économiques cela signifie que le profit à attendre d’un achat de vin une fois qu’il est mis en bouteille est nul. Chez iDealwine nous savons bien à quel point ceci biaise le raisonnement ! Plus encore, Robert Parker lui-même peut revoir ses notes presque 10 ans après comme il l’a fait récemment pour le millésime 2005. Ceci interroge donc sur « l’échéance d’un vin ». Celle qu’ont choisie les chercheurs est la mise en bouteille, ce qui n’est pas unanimement accepté. Château Latour a par exemple récemment décidé d’adopter un modèle à la champenoise et de garder ses vins jusqu’à ce qu’ils soient prêts à boire.

Enfin, nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer, celui que l’on a souvent désigné comme le meilleur critique de vin du monde, part à la retraite et passe le flambeau. Certains s’en inquiètent, d’autres s’en réjouissent. Pour ce qui est de l’influence de son départ sur la validité de cette étude, rien de moins sûr. D’abord parce que les vins qu’il a notés le sont à vie et seront conservés bien longtemps. Un 2010 noté 100/100 par Robert Parker sera encore désigné comme tel en 2020 lorsqu’il commencera à être prêt à boire et ce pendant des dizaines d’années encore. Ses notes auront peut-être même encore de l’influence après sa mort ! Ensuite parce que les notes continueront de tomber tous les ans et qu’il est dans l’intérêt des domaines, et des consommateurs d’en prendre compte, Parker ou pas. Enfin, parce que Robert Parker a influencé les goûts d’une génération entière de dégustateurs et de vinificateurs qui ne changeront pas tous du jour au lendemain.

Ou regardez en vidéo le chercheur à l’origine de l’étude vous l’expliquer.

Recherchez le prix d’un vin

A lire également dans le Blog iDealwine :

Bordeaux 2005 : Robert Parker multiplie les 100/100

Cette publication a un commentaire

  1. Franck

    Très bon résumé, merci!

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