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Quand on évoque la Corse, le vin n’est pas la première chose qui nous vient à l’esprit. Pourtant, entre les plages de rêves et les montagnes abruptes de l’île de Beauté, se trouvent quelques-unes des exploitations viticoles les plus qualitatives de la Méditerranée. Parmi eux, le domaine Comte Abbatucci, pionnier de la réintroduction des cépages autochtones corses, qui nous propose une gamme époustouflante de vins. Découverte d’une signature absolument unique.

Bianco gentile, carcajalo bianco, aleatico ou encore riminese. Ces noms ne vous disent peut-être rien, mais ce sont quelques-uns des cépages autochtones du vignoble corse. Ils constituent à la fois la richesse du patrimoine viticole corse, mais aussi des curiosités pour les amateurs du continent. Certains désirant en apprendre davantage, d’autres préférant se tenir à l’écart d’une région qui leur est étrangère. Pourtant, la Corse n’est pas le vignoble le plus difficile à appréhender, et c’est peut-être l’un des plus dynamiques. Si vous cherchez un ambassadeur pour partir à la découverte de cette région, Jean-Charles Abbatucci est sans aucun doute l’un des meilleurs. Nous avons pu le rencontrer, dans son élément, au domaine en octobre 2025. Récit.

La sauvegarde des cépages endémiques

La famille Abbatucci a marqué l’histoire de France en comptant une multitude de grands hommes : un général de la révolution, un diplomate ou encore un ministre sous le règne de Napoléon III. Les cuvées du domaine leur rendent aujourd’hui hommage. C’est à la fin du XIXème siècle que la famille commence à cultiver la vigne. Nous nous trouvons au sud de l’Ile, dans la vallée du Taravo, à quelques kilomètres de Propriano (à mi-distance entre Ajaccio et Bonifacio) à environ 100 mètres au-dessus du niveau de la mer. Mais la réputation du domaine ne dépasse pas à l’époque les frontières de l’Ile. L’influence océanique est manifeste sur les vins du domaine. Ceux-ci associent à la fois à la fraicheur une maturité parfaite.

Dans les années 60, Antoine Abbatucci s’impose comme l’une des figures majeures du vignoble en prenant la tête de la Chambre d’Agriculture de la Corse. Il s’alarme de la disparition des cépages locaux, dans l’indifférence générale. A l’époque, le cinsault, grenache et la syrah son considérés comme des cépages « améliorateurs », c’est dire la confiance qu’il y avait dans les cépages locaux…

Antoine décide alors de voyager dans l’île pour partir à la rencontre des différents agriculteurs. Il récupère chez certains d’entre eux des restes de vignes sauvages abandonnées au fond de propriétés. Ces vignes, il les replante sur un seul et même coteau d’arène granitique pour créer son conservatoire des cépages endémiques. Sur un hectare, vient de naître une véritable collection ampélographique : nielluccio, carcajolo noir, aleatico, morescola, morescono, montanaccia, sciacarello, alicante bouschet, brustiano, genovese, paga debiti, vermentino, biancu gentile, rossola bianca, rossola brandinca, barbarossa, carcajolo blanc, rimisese, biancone. En tout, 1 rang de chacun des 19 cépages ! Cette collection est étudiée scrupuleusement entre 1965 et 1975. Tous les cépages ne donnent certes pas les mêmes résultats, mais certains se révèlent prodigieux. Sans lui, la Corse aurait pu dire adieu définitivement à cette richesse inouïe.

L’envol du domaine et la sortie des appellations

En 1992, Jean-Charles prend la suite de son père (décédé en 1976) au domaine. Conscient du trésor sur lequel il est assis, il entend faire encore progresser les vins du domaine. Celui-ci est converti à la biodynamie en 2000. Un grand travail de sélection massale et sur les porte-greffes les plus adaptés au sol et au climat est engagé.  Les vins gagnent en définition, en précision et en équilibre pour se hisser au sommet de la production corse.

Se pose alors la question inévitable des cépages. Jean-Charles représente même la Corse à l’INAO au début des années 2000. Il se bat pour l’introduction des cépages oubliés. « Je ne suis pas contre l’idée des appellations, nous dit-il, mais nous sommes à une époque où l’agriculture disparait et nous devons supporter les traditions qui font ce que nous sommes aujourd’hui ». L’INAO reconnaît l’utilisation de cépages pour l’AOC Corse mais le biancu genile, cordivarta, genovese pour les blancs et l’altéatico, carcajo nero et minustello pour les rouges ne doivent dépasser les 10% chacun dans l’assemblage final.

Au contraire, il est mentionné que le vermentinu (ou vermentino qui correspond au rolle de Provence et fait partie de la famille des malvoisies) doit dépasser les 75% pour les blancs, et que les rouges doivent comporter 50% de sciaccarellu (qu’on appelle le pinot noir méditerranéen, pour sa finesse et son aspect peu teinturier) et le nielluccio (qui correspond au sangiovese italien mais qui donne en Corse des résultats tout à fait à part).

En réponse à cette réglementation, Jean-Charles Abbatucci lance la cuvée Collection – en vin de France – composée de ses cépages corses. Puis il y a quelques années, il fait le choix de sortir toutes ses cuvées de l’appellation. Une décision forte, à l’image de l’histoire du domaine. Au vu du caractère incroyable des vins, il est certain que l’INAO a davantage perdu en voyant Abbatucci se retirer que l’inverse.

Les fondamentaux du domaine : la Nature et l’Histoire

Dans les vignes, Jean-Charles nous rappelle les deux fondamentaux de son domaine :

  • La Nature : « Quand on fait un pas vers la Nature, la nature en fait dix vers vous », pour ce faire il y fait de nombreux tests.
  • L’Histoire :  » Je me réfère à ce que faisaient les anciens avant le XXe siècle, car on fait du vin en Corse depuis 3000 ans ! », pour cette raison, il échange régulièrement avec un historien spécialisé dans l’histoire agricole.

Par exemple, comme on le faisait à l’époque, Jean-Charles cultive en haute densité (sans irrigation). Il abandonne le palissage et fait des plantations en gobelet. Cela permet une meilleure protection des grappes contre le soleil (les feuilles retombant par-dessus). Par ailleurs, pour le vigneron : « le palissage attache la vigne, le gobelet la libère ».

Dans les vignes, Jean-Charles fait des labours à cheval sur le rang (laissant un peu enherbé entre les rangs). Il fait des tests (qui s’avèrent très concluants) de plantations avec des échalas de 3m afin que la vigne monte (pour rappel la vigne est une liane). Alors que certains domaines se protègent des sangliers, lui les apprécie car ils remuent la terre (moins de parasites) et la tenue haute de la vigne les empêche de manger les raisins. Le vigneron qui ne manque jamais d’idées, utilise aussi des figuiers de barbaries. D’une part, c’est un pare-feu naturel. D’autre part, il s’en sert comme paillage naturel, à mettre dans les vignes (car contenant beaucoup d’eau) puis à retirer après afin d’éviter que cela repousse entre les rangs.

Ce qui frappe, lorsqu’on se promène dans les vignes, c’est la nature luxuriante qui entoure les 21 hectares du domaine. Myrte, lavande, fenouil… tout le végétal du maquis, que l’on retrouve également à la dégustation des vins du domaine. Jean-Charles fait également des essais avec des traitements à l’eau de mer. Cela consiste à mélanger de l’eau de mer avec de l’eau de source et des plantes. Ce mélange est ensuite aspergé sur les vignes à hauteur de 50 litres par hectare. Les vins que nous avons goûtés et qui sont issus de parcelles ayant été traitées à l’eau de mer, présentent un surplus de salinité et de notes iodées à la dégustation. Magique !

Les vendanges sont manuelles, en caisses de 10kg. Les raisins qui arrivent sont directement refroidis en chambre froide avant d’être pressés le lendemain. En cave, la vinification est peu interventionniste : levures indigènes, travail par gravité, peu de soufre.

chai abbatucci

Enfin, si vous avez la chance de vous rendre dans la vallée de Taravo, vous pourrez peut-être croiser les brebis à viande de Jean-Charles, qu’il vend uniquement à la chef triplement étoilée Anne-Sophie Pic. Ou alors vous tomberez nez à nez avec une vache-tigre de l’élevage de son frère. Une variété qui n’existe évidemment qu’en Corse !

L’avis des critiques

La Revue du Vin de France 3*

Jean-Charles Abbatucci, fils d’Antoine, fondateur du domaine et d’un conservatoire de cépages autochtones, a placé ce domaine de 21 hectares à un niveau supérieur (sélections massales, biodynamie, porte-greffes adaptés au sol et au climat…). L’INAO ne tolérant qu’un maximum de 10 % de cépages anciens dans les vins, l’ensemble de la production est en Vin de France.

Guide Vert 2026

Bettane + Desseauve 4*

Dans ce haut lieu historique du vignoble d’Ajaccio, Jean-Charles Abbatucci pratique avec une générosité contagieuse une viticulture irréprochable. La collection unique de vieux cépages blancs locaux a fait prendre conscience de l’obligation morale et culturelle de diversifier l’encépagement de toute la Corse.

Les vins du domaine Abbatucci en vente

Faustine et Jean-Charles Abbatucci
Faustine et Jean-Charles Abbatucci au salon Biodyvin Paris

Les vins du domaine Abbatucci

L’effervescent

Vin de France Empire Extra-Brut

Le rosé

Vin de France Faustine vieilles vignes

Les blancs

Vin de France Alte Rosso

Vin de France Général de la Révolution

Vin de France Diplomate d’Empire

Vin de France Chiesa du Mare 2024 : un biancu gentile n’ayant connu ni cuivre (lors de sa culture), ni soufre lors de la vinification. Il dévoile des notes de mirabelle, yuzu, iodées, faisant saliver et frappant par sa concentration et longueur en bouche.

Les rouges

Vin de France Faustine Vieilles Vignes 2024 : une superbe cuvée, délicate, fine, aux notes de fruits rouges et de garrigue. Ca pinote légèrement !

Vin de France Monte Bianco 2024 : une bombe de fruits rouges, sauvages, avec des notes végétales nobles de myrte, l’impression d’une promenade dans le maquis. Les tannins sont d’une grande finesse, asséchants. A l’aveugle, on ne sent pas du tout l’alcool affiché, on penserait à un vin titrant à 13,5 degrés.

Vin de France Monte Mare 2024 : un 100% sciaccarellu, avec une trame de fruits rouges et noirs, un végétal noble et une salinité folle.

Vin de France Ministre Impérial 2024 : un vin avec une trame de fruits noirs et une complexité folle. Jean-Charles nous souflle : « On a tous les parfums de la Corse ! »

Vin de France Valle di Mare

Comte Abbatucci 2

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