Un déjeuner avec Charles Philipponnat est toujours un moment tellement français, et donc jubilatoire, en ce qu’il associe une gastronomie raffinée à une conversation pétrie d’histoire et de culture. C’est à l’Ecrin, enceinte discrètement capitonnée et étoilée de l’hôtel de Crillon que Charles Philipponnat, accompagné de son fils François, avait choisi de présenter le nouvel opus du Clos des Goisses, le 2015, joyau de la maison.
Tel un prélude aux grands airs d’opéra, le déjeuner s’ouvrait sur une dégustation de la cuvée Royale Réserve, déclinée en Brut, et dans une version non dosée. Deux expressions lumineuses du pinot noir – majoritaire dans l’assemblage dont il constitue 65% – issues d’une base 2020, un millésime intensément solaire. Le non dosé éveillait les papilles avec son nez intense et gourmand, marqué par des arômes de fruits jaunes relevés de notes exotiques. Beaucoup de structure dans cette cuvée qui s’achève sur de délicats amers. Une très belle cuvée qui imprime avec élégance le style de la maison. Mais la grande nouveauté réside dans le changement de nom qui s’annonce. Royale ? La maison Philipponnat ne revendiquant pas ce pedigree, il a été décidé de retirer ce terme, héritage d’un passé lointain qui a vu l’un des ancêtres de Charles Philipponnat acquérir, au XIXème siècle, une structure de négoce dont le nom comportait cette mention.
Royale Réserve est mort, vive la Réserve perpétuelle
Pour réaliser cette cuvée, la maison Philipponnat entretient, depuis 1946, une « réserve perpétuelle », alimentée par les récoltes, année après année. L’assemblage d’une année revient nourrir cette réserve les années suivantes. Le nouveau nom en découle. Ne vous étonnez donc pas, chers amateurs de la maison, de voir prochainement la mention Royale Réserve céder le pas à celle de « Réserve perpétuelle ».
Mais Charles Philipponnat a plus d’une référence historique dans son sac. Et si la mention royale a été gommée, le vigneron champenois a souhaité adresser un clin d’œil à une ancienne reine de France, Marie-Antoinette, qui a vécu dans les murs de l’hôtel de Crillon dans ses jeunes années, de 14 à 18 ans. C’est ainsi qu’avec la complicité du talentueux Xavier Thuizat, le somptueux blanc de noirs 2018 s’est avancé, servi dans le Pomponne, un verre sans pied, véritable appel à la gourmandise. Un 100% pinot noir issu du terroir de Mareuil sur Aÿ, où argiles et silex se complètent pour donner des vins ronds et généreux, magnifiés par le caractère solaire du 2018 venu gommer toute amertume. Un grand champagne de gastronomie. A l’Ecrin, le choix des vins précède l’élaboration du menu. Et l’entrée du chef Boris Campanella, une tartelette d’artichauts relevée d’un vieux comté, pleine de peps, se marie aussi bien avec ce blanc de noirs que le blanc de blancs 2016, splendide et pur, intensément frais, et qui se dévoile avec délicatesse.
Deux cuvées s’avancent ensuite, mises en valeur par un rouget d’Erquy parfaitement relevé par sa cuisson au barbecue. Nous avons là affaire à deux pinots noirs à 100%. La Rémissonne 2015 est un extra-brut entièrement vinifié en fûts de chêne. Les raisins sont issus d’un terroir crayeux, implanté sur une forte pente, limitrophe du Clos des Goisses, à laquelle une exposition sud-ouest confère un caractère rond et solaire. Le Léon 2015 – nommé ainsi en hommage au pape Léon XIII qui a demeuré à Aÿ – est issu d’une parcelle historique, exploitée par la famille depuis ses origines, en 1522. Sa minéralité résonne à merveille avec l’intensité du rouget, l’accord est vraiment superbe.
Deux expressions du Clos des Goisses
Est-ce le point d’orgue de ce repas ? Le Clos des Goisses s’annonce, majestueux, précédé d’un ris de veau accompagné des premiers cèpes, savoureux et rebondis. Sauf exception comme ce fut le cas en 2011, le Clos des Goisses est le fruit d’un assemblage de cépages. Outre l’exceptionnel terroir de craie sur lequel s’épanouissent les raisins destinés à cette cuvée, dans ce 2015 le pinot noir est complété par 22% de chardonnay, ce qui lui confère une remarquable longueur et délicatesse en bouche.
Magnifié par la précision des plats dégustés, le Clos des Goisses se révèle, millésime après millésime un immense champagne de gastronomie, ample et élégant. Charles Philippponnat nous a également réservé le privilège d’une découverte de la rare version L.V. (pour long vieillissement) ; le millésime 1999 a ainsi patienté près d’un quart de siècle sur lies avant d’être dégorgé, six à neuf mois avant sa commercialisation, en quantités infinitésimales bien sûr. Préservé de toute oxydation par ce long séjour en cave, il dévoile d’intenses arômes de champignon blanc, frais et délicats. Si vous lisez ce récit l’estomac vide, vous saliverez en apprenant que notre repas s’achève par une irrésistible rencontre entre la cuvée 1522, un premier cru extra-brut dans sa version rosé, associé à un brillat-savarin fondant à souhait : exceptionnel !
C’est toujours un privilège rare que de déguster les vins de cette belle maison, encore incarnée par la famille Philipponnat même si elle est désormais entrée dans le giron du groupe Boizel Chanoine Champagne. Une incarnation qui perdure, en la personne de François Philipponnat, fils de Charles, tout aussi passionné et désireux de perpétuer son style, précis, savoureux et élégant.
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