Aux quatre coins de la planète, Benjamin et Ariane de Rothschild développent avec talent d’ambitieux projets viticoles. A la découverte de Macán, leur nouvelle bodegas située dans la Rioja.
C’est une histoire inédite que celle du vignoble de Macán, dans la Rioja. Inédite, enfin, pas complètement. Car la famille Rothschild entreprend avec succès, et de longue date, le développement de vignobles à travers le monde. L’activité est ancrée à Bordeaux, berceau viticole de la famille – Benjamin et Ariane de Rothschild sont actionnaires du Château Lafite –. Ariane de Rothschild a d’ailleurs énergiquement contribué au renouveau du Château Clarke, cet élégant cru médocain que nous vous avions présenté il y a quelque temps. Une propriété achetée en 1973 par le baron Edmond de Rothschild (père de Benjamin), en même temps qu’un autre vignoble situé à Moulis, le château Malmaison. Sur l’autre rive, à Puisseguin Saint-Emilion, Fabrice Bandiera veille sur les savoureux merlots du château des Laurets, acquis en 2003.
Il faut dire que dans le sang de la famille Rothschild coule un esprit entrepreneurial unique. Celle-ci insuffle et donne à ses équipes les moyens de viser l’excellence pour développer ses projets. En matière de vin, cette philosophie conduit les équipes à identifier les meilleurs terroirs et les partenaires les plus prestigieux pour édifier de nouveaux vignobles aux quatre coins du monde. Boris Bréau pilote avec talent la branche viticole du groupe Edmond de Rothschild Héritage… et passe sa vie à courir la planète et les vignobles où la famille est présente, de son camp de base bordelais à la Nouvelle Zélande, où le groupe produit le vin de Rimapere depuis 2012, dans la région de Marlborough, quand il n’est pas en Afrique du Sud dans les vignobles Rupert et Rothschild, lancés en 1997 en association avec la famille Rupert, ou en Argentine pour arpenter les vignes de Flechas de los Andes, un domaine créé en 1999 avec Laurent Dassault.
Ainsi en est-il de Macán. Un projet initié avec la complicité de LA signature culte d’Espagne, la famille Alvarez qui produit l’illustre Vega Sicilia, dans la Ribera del Duero. Approché par la famille Rothschild, Pablo Alvarez avait initialement émis quelques doutes. Sa famille préside aux destinées du domaine depuis 1982. A Vega Sicilia on n’hésite pas à élever certaines cuvées 10 ans (et cette durée était même supérieure dans le passé). Pour lui, produire un grand vin dans la Rioja va donc nécessiter du temps. Et précisément, le temps, c’est ce sur quoi la famille Rothschild ne lésine jamais lorsqu’elle entreprend un nouveau projet.
Pour mener, en partant de zéro, une telle entreprise quand on porte deux noms aussi prestigieux, il est impératif de jouer de prudence. C’est ainsi que les protagonistes vont acquérir entre 2001 et 2009, discrètement et patiemment, quelque 190 parcelles de vignes pour constituer de toutes pièces le vignoble de Macán. Celui-ci couvre aujourd’hui 97 hectares. Ignacio Calvo de Mora Brito Cunha, qui pilote le domaine, vise dorénavant à l’accroître encore, pour atteindre 115 hectares. Inutile de préciser que les dernières parcelles risquent de représenter un investissement significatif pour deux signatures si renommées…
Découvrir Macán, c’est mettre le doigt sur un projet qui porte haut les valeurs de la famille, consistant à créer les conditions pour favoriser l’audace et promouvoir ce qu’elle a baptisé l’ « intrapreneuriat », et continuer ainsi à bâtir l’avenir du groupe.
Ce joli fleuve qui coule au pied de l’hôtel et traverse la Rioja, c’est l’Ebre.
Située au nord-ouest de l’Espagne, cette belle région vallonnée est l’un des vignobles phares et des plus connus d’Espagne. Plus ancienne appellation contrôlée de la péninsule ibérique (DO, ou denominacion de origen, depuis 1925) la Rioja partage désormais avec le Priorat le statut prestigieux de DOCa, pour denominacion de origen calificada. Un degré supplémentaire dans la quête de l’excellence… et dans les impératifs qui y sont attachés en termes de zone de production, de rendements et de choix de vinification. La taille du vignoble ? 55 000 hectares, soit le double de la Bourgogne viticole (ou la moitié de Bordeaux). Le vignoble de Macán est implanté à l’ouest, dans les zones les plus qualitatives de l’appellation que sont la Rioja Alta et la Rioja Alavesa. Là, l’influence atlantique apporte de la fraîcheur et favorise une maturation plus lente, plus douce du cépage tempranillo.
Incursion dans les vignes de Macán. L’équipe est en pleines vendanges. L’équipe récolte manuellement les baies de tempranillo issues de vignes dont l’âge moyen est supérieur 40 ans. Le terroir essentiellement argilo calcaire (90%), est complété par des parcelles d’un sol argilo ferreux (10%).
Si les premiers essais ont été menés en 2006, 2009 est véritablement le premier millésime produit à Macán. Parallèlement à la constitution du vignoble, il fallait construire aussi les installations techniques, la « bodegas » destinée à accueillir la vendange et mener à bien les vinifications. La première pierre est posée en 2015, et la bodegas sera inaugurée en 2017 en présence du roi d’Espagne Juan Carlos et de sa fille Elena. Ignacio Calvo de Mora Brito Cunha, présent aux côtés de la famille Rothschild pour accueilli la famille royale nous a confié combien le roi avait apprécié, et prolongé sa visite. En Espagne, on est fier de ses vins, on l’assume, et on le défend.
Le tempranillo, c’est le cépage star de la Rioja, dont il représente une part écrasante du vignoble car elle avoisine les 80%. Comme son nom l’indique (pour ceux qui ont fait allemand, « temprano », ça veut dire tôt) ce cépage est précoce, et il est apprécié pour sa capacité à d’adaptation au sol dont il est issu. Docile, en quelque sorte, et délicat en plus : certains amateurs vous diront qu’il s’agit là du pinot noir de l’Espagne. Mais attention, le tempranillo nécessite un soin méticuleux : d’apparence robuste avec sa peau épaisse, il est en fait sensible au vent et au mildiou. Il est par ailleurs impératif de le récolter pile au bon moment pour préserver son acidité. Les équipes de Vega Sicilia connaissent bien le tempranillo : ce cépage est également historiquement présent dans la Ribera del Duero.
En Espagne, les installations viticoles s’appellent des bodegas. Ici, l’imposant bâtiment conçu par l’architecte espagnol Enrique Johansson compte trois parties, chacune évoquant l’un des éléments qui concourent à l’élaboration de vin : la terre, l’eau, le soleil. En arrière-plan, la chaîne des Pyrénées offre un panorama majestueux sur les vignes. [visuel entrée du bâtiment avec les noms des deux familles]
L’ambition est clairement affichée dès l’entrée du bâtiment, monumentale : tout est réuni pour produire un grand, un très grand vin. Les installations devraient permettre d’atteindre l’objectif de production de 350 000 bouteilles. On n’en est pas encore là, les premiers millésimes ont donné 4 à 5000 bouteilles de chacun des deux vins. Dévastateur, le gel de 2017 a détruit 70% de la récolte…
Durant les vendanges les raisins sont immédiatement traités avec le plus grand soin : les baies de la cueillette du jour passent une nuit au frais avant d’être manipulées. Rien n’est laissé au hasard. Après un passage sur la table de tri, les cuvaisons durent entre 10 et 15 jours selon les millésimes, soit beaucoup moins qu’à Bordeaux à titre d’exemple (3-4 semaines). Les extractions sont douces et les remontages limités autant que possible.
La bodegas produit deux cuvées de styles différents. La première, Macán Clasico (« second vin » de Macán) est vinifiée en cuves inox avant d’être élevée 12 à 14 mois mois en barriques à 70% neuves. Une subtilité qui mérite d’être soulignée : les barriques neuves sont françaises et celles qui ont déjà accueilli une vendanges sont en chêne américain (connu pour les notes vanillées qu’elles apportent au vin), proviennent… de Vega Sicilia. Un vin tout en finesse, destiné à être apprécié dans sa jeunesse.
Le grand vin de Macán dispose, lui, d’un potentiel de garde supérieur. Vinifié en en cuves bois et inox, il vieillit ensuite en barriques et en foudres de 4000 litres durant 15 à 18 mois, à 70% neuves. Notons que les vins sont assemblés en décembre de l’année suivant la récolte. Ils patientent encore en bouteilles deux à trois ans avant d’être proposés sur le marché. Lors de notre visite chacun des foudres, était minutieusement astiqué et pomponné en vue d’accueillir la vendange 2019. Ce que vous voyez là, c’est la photo prise à l’intérieur de l’un des foudres.
Gonzalo Iturriga, c’est le talentueux vinificateur de Vega Sicilia, désormais en charge également des vins de Macán. Souriant et heureux comme un enfant à qui on a donné les moyens de réaliser son rêve. Le sien consistait à vinifier un jour les plus grands vins d’Espagne. Preuve que le talent n’attend pas les décennies pour s’exprimer.
La cave de Macán est encore un peu vide. Normal, elle va se remplir peu à peu des flacons que les deux familles souhaitent conserver : environ 700 bouteilles par millésime, pour l’instant, ainsi que des grands formats. A titre d’exemple Vega Sicilia en conserve 4000 bouteilles chaque année, et jusqu’à 8000 dans les grands millésimes.
Le nom évoque les Macanes, habitants du village de San Vincente de la Sonsierra, où est implanté l’essentiel des vignes.
Pour mettre nos palais en condition avant la dégustation, les équipes de Macán avaient sacrifié à l’irrésistible coutume locale : quelques tranches du fameux jamon ibericooooo. Un délice.
Macán Clasico 2016
2016 a été un millésime de bel équilibre dans la Rioja, productif. Il a permis une récolte très saine car les conditions climatiques ont ouvert une large fenêtre de vendange.
A la dégustation, le nez floral se fait discret, préservant une élégante réserve.
En bouche il déploie immédiatement une sensation de maturité juste, tout en fraîcheur, et son beau bouquet de fruits noirs s’agrémente de touches épicées en finale.
Le vin offre une belle structure tannique, des tannins élégants, veloutés, qui commencent à se fondre. L’ensemble est gourmand.
Macán 2015
2015 dans la Rioja ? Un millésime chaud et puissant, bodybuildé ! Qu’il a fallu ramasser très vite pour éviter les sur-maturités.
La vinification a d’ailleurs été adaptée aux caractéristiques spécifiques de cette année chaude : une vinification plus souple, des extractions moins marquées et l’emploi modéré de barriques neuves.
Le vin présente un nez légèrement fumé. En bouche l’attaque est impressionnante : une matière puissante tapisse immédiatement le palais. La texture est magnifique, veloutée, très, très longue, avec une densité de tannins imposante. Le potentiel de garde est immense, on n’est là qu’au tout début de l’histoire ! Jusqu’au bout l’équilibre est parfaitement maîtrisé entre équilibre et tension. Très belle finale complexe, associant notes de cuir et de tabac dans un ensemble dense et fruité.
Certes, nous ne sommes pas en Seine et Marne, mais bien en Espagne. Au sein de l’équipe Edmond de Rothschild Heritage on ne laisse rien au hasard. L’occasion est trop belle de goûter les merveilles de la ferme familiale : brie nature ou aux brisures de truffe, terrines de cerf et de sanglier, huile d’olive (venue d’Afrique du sud), miel… Irrésistible.
Cette immersion dans la galaxie Rothschild nous offre un tour du monde des vins produits par la famille. Nous avions déjà eu l’occasion de goûter certains des vins lors d’une soirée mémorable, organisée durant l’édition 2019 de Vinexpo. Cette fois-ci, le millésime 2005 du château des Laurets offre une belle interprétation du merlot dans une année solaire. Rimapere 2018 livre quant à lui une expression étincelante et pleine de fraîcheur du sauvignon blanc de Nouvelle-Zélande. Le Château Clarke 2012, encore gorgé de fruit mais déjà suave et délicieux pour qui apprécie les vins dans leurs jeunes années, promet de belles années de garde. En rouge toujours nous avons goûté le Grand Malbec argentin produit dans la vallée de l’Uco, à 120 km au sud de Mendoza. Un malbec dense et profond, marqué par les arômes de prune et de cacao. Baroness Nadine 2016, le vin blanc produit en Afrique du Sud, à Stellenbosch, par l’association des familles Rupert et Rothschild est un chardonnay plein de surprise, car issu d’un terroir puissant (granit et argiles rouges). Exubérant et plein de gourmandise, presque exotique. Découvrir la galaxie Rothschild est décidément l’occasion d’un voyage élégant.
En plus des vins de Château Clarke disponibles depuis quelques temps sur iDealwine, vous pouvez maintenant découvrir les vins de Macán… Qui valent amplement le détour ;).
