Edouard et Sévrine Miailhe avaient décidé de célébrer les 160 ans de l’acquisition par leur famille de Château Siran à leur manière, généreuse et attentionnée. En réunissant quelques-uns de leurs amis du monde du vin autour de grands, d’immenses flacons. Une dégustation d’anthologie.
Cette soirée, Edouard Miailhe la préparait en secret depuis de longs mois. Revenu des Philippines où il résidait avec son épouse Sévrine et leur quatre enfants, Edouard avait pris la suite de ses parents en 2007 à la tête de la propriété, ouvrant une nouvelle page dans une histoire familiale longue de 160 ans. Et c’est précisément cet anniversaire qu’il voulait célébrer, celui de l’acquisition par le négociant Bordelais Leo Barbier, en 1859, de la belle propriété de Siran. La ravissante chartreuse du XVIIème siècle, rachetée à la famille de Toulouse-Lautrec, est entourée d’un superbe vignoble sur lequel Edouard veille passionnément. Après avoir entrepris de moderniser les installations, de replanter des pieds de vigne là où cela était nécessaire, sans oublier de revoir complètement la scénographie du chai des collections – passionnante plongée dans l’histoire des objets de la vigne et du vin -, Edouard Miailhe dépense sans compter son inépuisable énergie à améliorer sans cesse la qualité des vins. Aidé en cela des précieux conseils d’Hubert de Boüard, il les a portés à leur meilleur niveau, ainsi que l’attestent les fabuleux – et quasi-introuvables – 2015 de la propriété. Et comme si tout cela ne suffisait pas à cet homme enthousiaste et entreprenant, Edouard Miailhe a récemment été élu Président du syndicat des vins de Margaux. Une mission qui l’amène à parcourir l’appellation à la rencontre des quelque 65 propriétés membres du groupement. Gageons qu’il va trouver le moyen de faire bouger les lignes et faire progresser encore l’image des vins de Margaux, célébrés dans le monde entier pour leur élégance et leur finesse, deux caractéristiques que Siran incarne admirablement.
Le 17 janvier, une petite assemblée choisie – et grisée – avait donc été réunie à l’invitation d’Edouard et de Sévrine Miailhe, pour célébrer d’une façon particulière ce bel anniversaire. Autour de la table, on trouvait ainsi un courtier en vins aussi discret qu’efficace (Valentin Lillet), un négociant qui compte sur la Place de Bordeaux (Christophe Bernard, Sobovi), un talentueux conseiller (Hubert de Boüard), un immense dégustateur (Michel Bettane), un patron de maison Champenoise (Jérôme Philipon, Bollinger), un tonnelier bourguignon infiltré à Bordeaux (Jérôme François) et le plus Bordelais des distributeurs américains (Shaun Bishop).
Autour de la cheminée du salon de Château Siran, l’entrée en matière – la cuvée R.D. 1988, signée Bollinger -, en magnum, donnait immédiatement le ton : la soirée serait de haut niveau. Le programme ? Selon une idée généreuse d’Edouard, il prévoyait de savourer dix des vins de Bordeaux qui ont le plus marqués le propriétaire de Château Siran depuis qu’il en a repris les rênes. A la clé, la désignation parmi ces dix prétendants d’un roi, d’une reine et de leur valet à l’issue du vote de l’ensemble des convives. Pour cela, Edouard avait de nombreuses fois ouvert la lourde porte qui mène à la cave pour en parcourir les trésors. Son père, au plus fort de la guerre froide, avait fait construire un abri atomique dans les sous-sols de la propriété. Autant dire que les vins sont bien gardés… Edouard avait ainsi puisé certains flacons dans la réserve familiale, et, avec la complicité d’amis négociants, fait venir directement des propriétés ceux qui lui manquaient. Les vins se sont ainsi succédé par série de deux ou trois nectars, au rythme du dîner, succulent.
Tout au long du repas, les vins étaient dégustés de façon anonyme, En voici la liste, une fois qu’elle nous a été dévoilée à l’issue du vote. Pour débuter, un œuf cocotte au foie gras était accompagné des nectars suivants :
Château Ausone 2005 – « Une main de fer dans un gant de velours«
D’ordinaire – je dis bien d’ordinaire, car ce soir-là, rien ne l’était, à vrai dire -, le premier vin d’une dégustation essuie les plâtres. Les palais ne sont pas préparés, l’esprit finement aiguisé est déterminé à traquer les éventuels défauts d’un vin. Bref, on s’apprête à jouer les difficiles. Mais là, point de tout ça. Nous commençons très fort. Ce qui étonne avec ce vin à la texture incroyablement soyeuse, c’est sa puissance, qui se révèle progressivement en bouche et croît en intensité. Les tannins parfaitement fondus sont solaires, le vin éclatant. Tout en souplesse en même temps, tellement élégant. Redoutable.
Château Trotanoy 2000 – « Le commandeur«
Le deuxième vin est plus « sérieux », un tantinet austère, voire intimidant avec sa structure imposante, son premier nez fumé. En voilà un qui ne cherche pas à charmer l’assistance. Pas de menuets ni de ronds de jambe pour emballer la cour. Et en finale, cette puissance qui s’impose, cet équilibre qui impressionne. Magistral. Assez inaccessible.
De délicates coquilles Saint-Jacques relevées d’un jambon noir de Bigorre s’avancent ensuite, nappées d’une crème d’épinard.
Château Montrose 1990 – « Le joli cœur«
Est-ce l’accompagnement fin et crémeux qui adoucit les mœurs ? Ce nectar s’annonce tout en finesse, il se laisse approcher avec beaucoup de douceur. Le vin semble avoir pleinement atteint son apogée, il attendait son heure pour révéler aux convives un ensemble merveilleusement fondu, qui garde beaucoup de fraîcheur avec sa finale mentholée.
Château Haut-Brion 1989 – « Un grand seigneur«
Là, pas d’équivoque, on a affaire à un individu de noble extraction. Le nez s’annonce en fanfare, magistral, sa complexité fabuleuse évoque immédiatement un grand terroir. En bouche, des notes finement épicées alternent avec des flaveurs délicatement torréfiées, elles se répondent, dans une symphonie gourmande et envoûtante. La finale semble ne pas vouloir en finir, la rétro-olfaction est magistrale elle aussi. La quintessence d’un cru d’exception.
Le dîner se poursuit avec de fines tranches d’un rôti de bœuf de Chalosse parfaitement fondant, accompagné d’une purée à la truffe – ou de truffes à la purée, plutôt – et de légumes croquants.
Château Mouton Rothschild 1986 – « Le premier de la classe«
Celui-ci, autant le dire tout de suite, il a tout bon d’entrée de jeu. Il réussit subtilement à conjuguer des qualités qui ne semblent pas a priori évidentes, pour venir se placer tout en légèreté sur l’échelle de la volupté, quelque part entre la puissance et l’harmonie. Son nez exubérant exprime une palette d’arômes alliant tout ce qu’un panier de fruits, noirs et d’épices peut exhaler. Il déploie en bouche une texture souple, soyeuse, dans un ensemble à la fois discret et d’une infinie élégance. Au passage il n’oublie pas de déposer sur le palais quelques notes délicieusement gourmandes. Et ce grain de tannins… on voudrait s’envelopper dedans.
Château Léoville Las Cases 1986 – « Le beau ténébreux«
Est-ce la bouteille ? La comparaison avec le vin qui précède ? Ou la redoutable diversion qu’offre la purée aux truffes ? Ce vin semble bouder. Ce soir, le flacon a décidé de se maintenir en dehors de la conversation. Résolument fermé. Derrière le nez discret, on réussit à déceler un ensemble élégant, très élégant même. Mais tellement lointain. De subtiles notes mentholées, s’exhalent à la dérobée de ce vin monolithique. Non vraiment, on n’en tirera rien ce soir de celui-là, notre conversation ne l’intéresse pas. Ça arrive, non ?
Le dîner se poursuit avec une sélection de fromages délicatement affinés : saint-nectaire, vieux gouda et brie, truffé encore une fois. Décidément, aucune volupté ne nous sera refusée.
Château Palmer 1983 – « La sylphide »
Quelle élégance ! Voilà une bouteille délicieusement féminine. Elle nous sort le grand jeu, dans un registre délicat. Il était temps de l’ouvrir, le vin a atteint son parfait apogée. Rien d’imposant, de flamboyant, mais juste une extrême délicatesse, un nectar délicieux qui déploie malicieusement une jolie acidité, et tapisse le palais en ne laissant que l’effluve et l’empreinte d’une texture délicate et soyeuse, un voile d’organza de soie.
Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1982 – « Le Roi Soleil »
C’est bien simple, ce vin réunit toutes les qualités que l’on attend d’un grand Bordeaux. Il les magnifie, même. Un nez somptueux nous propulse immédiatement dans l’expression d’un moment d’intense plénitude. En bouche, cette impression s’amplifie et se prolonge, l’ensemble est pleinement mature et pourtant encore plein de fraîcheur. Une grande figure, tranquillement, sereinement parvenu à l’âge de la maturité, éblouissante de charisme, solaire. Le vin laisse en bouche une empreinte puissante, élégante, inoubliable. Il porte en lui la signature d’une illustre extraction.
Château Siran 1955 – « Le loup de mer«
Là, on remonte délicatement le temps. Le vin au profil étiré, délicat, exprime en bouche d’étonnantes notes iodées. On prend le large, doucement, on respire les embruns, le vin nous accompagne en douceur, avec sa trame élégante, fine. L’instant est fragile et suspendu, il faut saisir ce vin avant qu’il ne s’échappe et s’évapore, ne laissant plus qu’un souvenir fugace et délicieux.
Avec le dessert, une salade d’agrumes… Le clou de la soirée nous vient du grand seigneur de Sauternes, dans le millésime 1967. Edouard a bien choisi son année de naissance, vous ne trouvez pas ?
Château d’Yquem 1967 – « Merlin l’enchanteur«
Le choix du dessert, une nage d’orange et de pomelos, est admirable. Les fruits avaient été finement épluchés, évidemment. Dans nos verres on retrouve en écho l’écorce des agrumes, qui livrent une amertume subtile, rafraîchissante. Pour la gourmandise, le vin nous offre ensuite un délicat assemblage de flaveurs alliant caramel blond et épices. La finale s’allonge, on voudrait la retenir, comme cette soirée en tous points parfaite…
Le verdict ? Très moderne, au fond. Car ce soir le roi se révèle être… une reine ;). C’est en effet pichon-comtesse 1982 qui a séduit l’assemblée. On reste en famille avec ce vin qui fait honneur à une grande dame du vin, May-Eliane de Lencquesaing… tante d’Edouard. Le trio qui se détache compte également château-mouton-rothschild 1986 et de château-ausone 2005. Un choix cornélien bien sûr, quand il s’agit de trancher parmi de tels trésors. Chacun d’eux vient confirmer l’adage selon lequel dans leur maturité, les grands crus de Bordeaux demeurent inégalés. Merci à Edouard, Sévrine et à leur famille pour tant de générosité et de délicatesse.
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Super review. Mais la conclusion est quelque peu équivoque, non ? Si Pichon-Comtesse a fait l’unanimité, bien que le millésime ait été exceptionnel (82), est-ce toujours bien rationnel de mettre les premiers grands crus tant à l’avant sur la scène internationale ? HBrion ne figure même pas dans la conclusion. 😉