Viticulture durable : faut-il enherber ou travailler ses sols ? iDealwine

Lorsqu’on se promène dans les vignes – si l’envie vous prend – le paysage environnant n’est jamais le même. Cela fait le charme de ces visites de nos régions viticoles françaises. Au sein même d’appellations, de parcelles à parcelles, la vigne est cultivée différemment, en fonction du travail du vigneron. Une question revient souvent, lorsqu’on évoque la viticulture durable avec nos vignerons : faut-il enherber ses rangs de vignes ou travailler le sol ? Explications, au travers de l’expérience de quatre domaines aux approches différentes : Clotilde Davenne à Chablis, Clotilde Legrand à Saumur et les domaines de la Famille Amoreau (Château Le Puy et Closerie Saint Roc à Bordeaux).

Pourquoi travailler le sol ?

Clotilde Davenne est vigneronne à Chablis depuis 1992, lorsqu’elle y plante ses premiers chardonnays. Depuis, le domaine compte près de 30 hectares, répartis sur les villages de Saint-Bris, Chablis et Irancy. Avec une multitude de parcelles, de cépages (chose rare en Bourgogne avec du pinot noir, césar, chardonnay, bourgogne aligoté, sauvignon blanc), et d’âges différents ; Clotilde compose, afin de réaliser les plus belles expressions des terroirs de calcaires kimméridgien. Nous avons eu la chance de discuter avec elle, notamment de ses pratiques viticoles.

Elle a fait le choix de travailler ses sols. En effet d’une manière générale, ses parcelles sont pentues jusqu’à 50% ! Labourer son sol répond donc ici à une première problématique technique : son tracteur risquerait de glisser si le sol était couvert d’herbe.

Deuxièmement, Clotilde ne souhaite pas avoir une trop forte concurrence entre l’herbe et sa vigne (notamment les jeunes plants, dont les racines sont moins profondes) : « il faut maîtriser l’herbe entre avril et juin ». L’herbe puise en effet de l’eau qui n’atteint donc pas les racines de la vigne et complique son développement.

Clotilde se pose la question de l’enherbement pour quelques-unes de ses vignes, situées dans des plaines. « Chaque année, on se pose des questions » – vous vous en doutez – le métier de vigneron est sans cesse renouvelé, questionné.

Enfin, le labour peut être utile afin d’aérer le sol, ainsi que pour améliorer son efficacité via des engrais organiques par exemple.

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Enherber ses vignes : LA solution ?

Il y a quelques décennies, lorsqu’une parcelle était enherbée, on considérait que « le vigneron ne s’occupait pas de sa vigne ». Lorsque la famille de Clotilde Legrand, vigneronne à Saumur, décide de laisser pousser l’herbe dans ses parcelles il y a 35 ans, c’est une petite révolution locale.

Convaincue des bienfaits de l’enherbement, Clotilde nous explique sa démarche. L’un de ses premiers objectifs est de limiter les rendements. Il pleut beaucoup dans la Vallée de la Loire, et « l’excédent d’eau va nourrir l’herbe, au lieu de trop gonfler les baies de raisins ». L’enherbement stabilise les sols, il limite les érosions (accentuées par un labour). Les sols sont vivants : trous de lapins, taupes. « Notre enherbement n’a jamais été cassé, on y trouve coquelicots, pissenlits etc, nos vignes constituent une réserve de biodiversité ».

Harold Langlais, directeur des vignobles de la famille Amoreau à Bordeaux (Château le Puy et Closerie Saint Roc), apporte d’autres éléments à cette philosophie peu interventionniste sur les sols.

Pour lui, « le labour régulier des sols participe à une baisse des populations de lombrics à l’origine d’une baisse de fertilité, à un développement anarchique de populations de bactéries engendrant un ralentissement des phénomènes de minéralisation, reflets de l’expression des terroirs ». En fonction de la profondeur à laquelle le sol est travaillé, « cela peut impacter le réseau mycorhizien (symbiose bactérie + racine) connectant chaque plant de vigne entre eux ». « Le réseau mycorhizien permet à chaque plant de vigne de multiplier par 1000 sa capacité d’exploration des sols. On comprend rapidement l’impact sur la santé du pied de vigne et sur sa capacité à produire des baies riches en vitamines et en minéraux ».

Aux domaines, Harold préconise donc la plus grande partie de l’année, un enherbement sauvage, complété par une tonte et dispersion de cette-dernière sur le sol. « Cela permet un développement microbien en surface favorisant une décomposition des matières végétales présentes sur le sol. La décomposition alimente et stimule toute la chaine bactérienne jusqu’au lombric. Le résultat : une fertilité naturelle et « permanente » des sols, et une activité micro-bactérienne garante de l’expression des éléments du sol par le pied de vigne (« l’effet terroir »). Un griffage en surface des sols (10 cm) peut être pratiqué au printemps pour faciliter l’évaporation des surplus d’eau ».

Enfin, une intervention limitée permet d’empêcher le sol la libération du CO2 stocké via l’enherbement. Les bilan carbones Ecocert du Château Le Puy et de la Closerie Saint Roc sont ainsi positifs depuis 2011 (ce qui signifie qu’ils absorbent plus de CO2 qu’ils n’en rejettent).

Finalement, trancher pour l’enherbement ou le travail des sols semble être du ressort de chaque vigneron et adaptable à chaque terroir et météorologie. Le vigneron connaît sa vigne, il l’observe et agit en conséquence. Devant sans cesse s’adapter à des contraintes internes (de moyen, de technique) ou externes (dérèglement climatique, caprices du millésimes), le vigneron compose également avec sa philosophie, de ce qu’il juge bon ou mauvais.

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Cet article a 2 commentaires

  1. Albane

    Article très intéressant et novateur, dans l’air du temps, merci !

  2. L‘enherbement protège aussi les sols de déshydratation.
    Le fait de ne plus utiliser de désherbant est essentiel pour tout le biotope, les microorganismes, les lombrics, lapins, perdrix, faisants…. Un réel bienfait pour la nature et des vins d‘une aromatique incomparable!

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