Bourgogne vin iDealwine Que penser des vins produits par le négoce ?

Souvent cibles d’un soupçon généralisé, les négociants bourguignons accusent ici un dédain pour les grosses structures viticoles au pays bucolique de la petite propriété ancestrale viticole bourguignonne. Pourtant, si historiquement ce visage hypertrophié du négociant peut avoir un sens, il ne semble ni prudent de l’opposer à une viticulture paysanne ni juste d’en faire une machine commerciale dénuée d’un intérêt sincère pour la terre. Autant que négociants, les grandes maisons sont aussi des domaines, possédant en propre un superbe patrimoine de vignes auquel ils imposent de grands soins. Afin d’éclairer cette situation méconnue des négociants-éleveurs propriétaires, nous vous proposons un tour d’horizon historique de ce type de structure.

Historiquement, la première maison de négoce bourguignonne est née à Beaune, en 1720, de la main d’Edmé Champy. Tout au long du 18ème siècle de nouvelles maisons de négoces, dont certaines perdurent, émergent : Bouchard en 1731, Chanson en 1750, Louis Latour en 1797, Louis Jadot en 1850 etc. Ce n’est pas par hasard que le 18ème siècle a été le théâtre du développement des grandes maisons de négoce. En effet, la vente des biens cléricaux et de leurs possessions terriennes au profit de bourgeois ou de paysans forme une classe de vignerons ne maîtrisant que peu, voire pas, les vinifications. Or, en assurant l’élevage et les vinifications les maisons de négoce permettent de pallier le manque de connaissance en vinification des vignerons de l’époque. Cette dernière est d’autant plus délicate qu’au 18ème siècle l’embouteillage n’est que marginal, les procédés de fabrique de bouteille de verre étant encore relativement mal maîtrisés (ce qui donnait lieu à des bouteilles fragiles, aux contours et au volume irréguliers) les vins se vendaient directement en fût. Ce système de vente particulier favorisait évidemment les grandes structures à même de supporter d’importants frais de commerce. La nécessité du commerce a permis de faire des négoces une des seules structures économiques viables de l’époque en termes viticoles.

Les négoces profitent alors de leur puissance marchande pour vendre, partout en France, leurs vins, en barrique, participant d’abord, chose bien connue, à la renommée de la Bourgogne, mais aussi, chose moins connue, à la définition d’un usage clair de ce que l’on nomme appellation. En effet, le cadre juridique des AOC ne naît qu’à partir du début du 20ème siècle (1930), où un cahier des charges strict a permis d’identifier un cépage unique ainsi qu’un lieu géographique approprié. Or, forts de leur puissance marchande ce sont les négociants, les premiers, qui ont mis sur le devant de la scène, (ou de l’étiquette du moins), les crus dont étaient issus les vins selon les usages courants (il n’était pas rare que les auxey-duresses se vendent en meursault et que les volnays soient coupés au pommard ! Une façon d’hermitager toute bourguignonne). En parallèle de cette activité d’achat de raisins, salutaire à l’époque, les négociants étendaient leurs propriétés viticoles en acquérant, autant que possible, de nombreuses terres viticoles. La maison Louis Latour explique ainsi que c’est à travers les nombreux mariages de la famille que les plus prestigieuses vignes de Bourgogne offertes en dot ont pu entrer dans son giron. Nous ne pouvons que reconnaître ce que la Bourgogne viticole doit aux négociants.

A partir du début du 20ème siècle, alors que les surface viticoles déclinent à cause du phylloxéra et des guerres mondiales, l’hégémonie des négociants s’effrite au profit des premières mises en bouteille à la propriété par des pionniers bourguignons tels Gouges à Nuits-Saint-Georges, Richard à Gevrey-Chambertin, etc. Naissent à cette époque les fondements d’une double révolution commerciale et viticole : les vins seront estampillés du vigneron qui cultive ses vignes et qui assure la vinification des raisins qu’il cueille. Ce mouvement a donné naissance au paysage viticole bourguignon actuel que nous connaissons, au morcellement de ses terres et à la diversité des styles bourguignons. En parallèle, les négociants ont été dans l’obligation de se réinventer.

Les approvisionnements en raisins se sont faits auprès de vignerons de plus en plus exigeants à la vigne afin d’assurer leur qualité. Beaucoup de ces approvisionnements se font par contrat de long terme garantissant un revenu stable aux vignerons partenaires mais aussi une qualité irréprochable prédéfinie par un contrat imposant des règles strictes et propres de culture. Il n’est pas rare que ces grandes maisons de négoce travaillent avec des vignerons de renom : Le corton-charlemagne de la Maison Latour contient ainsi des raisins du prestigieux domaine Coche-Dury. La raison de ces contrats ? Ces vignerons, pragmatiques, se souviennent de l’époque où les négociants tiraient la Bourgogne vers le haut et sauvaient les vignerons en leur achetant des raisins à prix honorable. Il ne faut donc pas voir les négoces comme des machines impitoyables dont l’unique objectif est d’acheter, au prix le plus bas possible, des raisins sans âme pourvus qu’ils soient issus de belles appellations. C’est tout le contraire ! Les négociants s’approvisionnent de raisins de qualité afin de s’assurer que ce qu’il y a dans la bouteille corresponde à la qualité de l’étiquette.

Mais, de beaux raisins ne suffisent pas ! Encore faut-il être exigeant et pointu en vinification. Or, à cet égard, les négociants disposent pour beaucoup de chais de très belle qualité et d’une équipe souvent très expérimentée et talentueuse. C’est ainsi que Géraldine Godot, l’une des vinificatrices les plus douées de Bourgogne actuellement à la tête du domaine de l’Arlot, assurait les vinifications pour la maison Alex Gambal. La maison et le domaine Chanson sont guidés par Vincent Avenel (directeur général), entouré de Lucy Auger (responsable de cave) et Justine Savoye (responsable du vignoble). Or, avec de tels talents aux manettes, il est difficile de produire des vins autres que de grands niveaux.

Ce modèle de négociants s’étend même actuellement au-delà des frontières des grandes maisons. En effet, la hausse du prix du foncier interdit l’achat de terre à la plupart des vignerons qui ne peuvent plus faire autrement que de développer des activités de négoce afin de pouvoir développer leur activité. Nous entrons donc dans une nouvelle ère des négociants où se mêlent les grandes maisons traditionnelles, les vignerons prestigieux associant à leur production domaine des achats de raisins (Sauzet, Thibault Liger-Belair, Méo-Camuzet) ainsi que les nouveaux négoces souvent issus d’une famille ne possédant aucune vigne sinon un amour du vin sincère : ce sont les micro-négociants qui florissent à Beaune et sont souvent à la pointe des vinifications en nature tel Philippe Pacalet. Voici désormais un négoce Bourguignon triface, qui constitue près de 60% des bouteilles vendues de Bourgogne. Malgré son déclin, le négoce continue toujours à rayonner sur la Bourgogne et il ne serait pas surprenant qu’il connaisse un nouvel âge d’or tant le prix du foncier rend difficile les successions d’un vignoble morcelé à l’infini favorisant les concentrations de propriété. Ce mouvement, dont les grandes maisons ont conscience, oblige à replacer au centre du vin la viticulture.

Or, les grandes maisons ne sont pas étrangères à l’importance de la viticulture. En effet, elles sont pour la plupart scindées entre deux entités : d’un côté la maison se chargeant de l’achat de raisin, de l’autre le domaine vinifiant ses vins en propre. La viticulture y est exigeante, Joseph Drouhin fut même l’un des pionniers du bio et de la biodynamie en Bourgogne. Souvent, les plus belles parcelles sont exploitées par ces domaines, Clos des Mouches pour Drouhin, Grèves Vignes de l’enfant Jésus pour Bouchard, Musigny pour Jadot, Corton-Charlemagne pour Louis Latour etc… Et, conscients de la grandeur de cet héritage les domaines y mènent une viticulture propre et exigeante, assurant une qualité exceptionnelle pour ces cuvées toutes particulières.

Enfin, les négoces sont, en Bourgogne, parmi les meilleurs ambassadeurs et innovateurs. Ambassadeurs puisque ce sont eux qui bien souvent assurent la promotion de la région à l’étranger ; innovateurs puisque, comme Louis Latour de la maison éponyme, ils tentent de redessiner les cartes viticoles bourguignonnes en déployant autant d’efforts que nécessaire afin de respecter et de cultiver au mieux ces terres qu’ils ont, par le passé, si bien mis en avant. C’est ainsi que Louis Latour a pour projet de dessiner une carte de la grande Bourgogne allant de Chablis au Beaujolais. Pour lui, « nul besoin d’aller à l’étranger tant il y a à faire ici », dit-il amoureux de son terroir.

Certes, il peut être compliqué de différencier les maisons des domaines, pourtant, même s’il est marqué sur les étiquettes « propriétaire-récoltant » du côté des domaines et « négociants-éleveurs » pour les maisons, il ne faut pas penser cette différenciation entre termes hiérarchique tant les efforts réalisés pour intégrer des raisins de grande qualité sont assurés et tant les vignes y sont tenues avec le plus grand soin et la plus grande précision.

Les grandes maisons de négoce ont donc joué un rôle historique de fondateur et ambassadeur de la Bourgogne au moment de leur apogée au XIXème siècle. Leur hégémonie s’est effritée au milieu du XXème siècle à mesure que la mise en bouteille au domaine et que le modèle du vigneron-vinificateur-commerçant se sont développés. Si les qualités du négoce ont pu être variables pendant la période du milieu du XXème siècle, le renforcement des contrôles ainsi que la qualité croissante à laquelle les négociants se sont astreints a entraîné un renouveau qualitatif évident dont bénéficie l’ensemble de la Bourgogne. Désormais, au sommet de la qualité, maîtrisant aussi bien leur chaîne d’approvisionnement (Maison) que leur exploitation (Domaine) les grands négociants sont dans l’obligation d’innover face aux nouveaux défis qui affectent l’ensemble de la Bourgogne : défi climatique, écologique, flambée des prix du foncier etc… Gageons qu’ils sauront assurer à la Bourgogne un avenir serein, comme ils ont su le faire jusqu’alors.

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Cet article a 2 commentaires

  1. de Gouville

    Voici une analyse et un exposé très intéressant et très bien documenté qui éclaircit ce qui concerne le « négoce « des grands vins de Bourgogne et qui lui rend justice.
    Bravo !
    Une consommatrice.

  2. Gaudillat

    Bel article. On voit qu’il y a des échanges dans les 2 sens entre les domaines et le négoce et c’est au profit de la région et de l’activité. C’est un cercle vertueux qu’on retrouve aussi en Champagne et qui semble le bon modèle à suivre.

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