
La Paulée d’Anjou qui, cette année, s’est tenue à Angers, fut l’occasion pour iDealwine de visiter certains de ses domaines partenaires. Après une courte nuit festive au Grenier Saint Jean d’Angers, Eloïse et Constance, respectivement acheteuse de vins et plume du Journal iDealwine, ont parcouru une petite partie de l’Anjou pour les visiter. Au programme ? Terre de l’Elu, Emmanuel Ogereau, le château de Plaisance et Stéphane Bernaudeau. Retour en lettres et en images.
Terre de l’Elu

Un peu d’histoire
Mardi 20 juin, 9h du matin. Après quelques déboires de voiture (une sombre histoire de marche arrière qui ne voulait pas fonctionner), Eloïse et Constance arrivent au domaine de Thomas et Charlotte Carsin qui, comme elles, étaient à la Paulée la veille. Un café s’impose donc avant la visite qui démarre dans les vignes. Autour d’une tasse brûlante, elles écoutent attentivement l’histoire de ce couple passionné et passionnant. Parents de quatre enfants, Thomas et Charlotte Carsin sont originaires de Bretagne. Ils ont d’abord roulé leur bosse en Californie en tant que conseiller viticole pour l’un et responsable de communication et de vente pour l’autre, avant de se sentir appelés par le terroir, le paysage et le chenin angevins. En 2008, ils acquièrent donc le domaine auprès de deux frères qui vendaient jusqu’alors leur production en gros, sous la forme de bag in box. Leur amour du vin, vu comme un produit gastronomique, les a aidés à tenir bon dans leurs débuts difficiles. Après un changement de clientèle, ils se sont rapidement frottés aux contraintes de l’appellation. L’AOC est un système qu’ils respectent pour son statut originel de protecteur de vignerons et garant de qualité. Toutefois, s’ils aiment le collectif, Thomas et Charlotte Carsin sont avant tout, et surtout, entrepreneurs dans l’âme. A leurs yeux, le vigneron est un artisan qui agit avec spontanéité en fonction de son expérience. Mais, en 2018, la dégustation d’un de leur vin de Pays jugé trop mûr est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et les convainc de s’affranchir du système. Dans la foulée, Clos de l’Elu devient Terre de l’Elu.
Promenons-nous dans les vignes
Café fini, Eloïse et Constance se hissent dans la voiture en compagnie du chien Feydeau. 17,5 hectares de vignes s’offrent à elles sous un ciel gris, dans un rayon de deux kilomètres. Ces dernières s’épanouissent sur des sols et sous des expositions variées. Soignées, elles le sont. Thomas et Charlotte Carsin remettent sans cesse leur travail en question pour les traiter le plus naturellement possible. Un rang sur deux est couché : le paillage est effectué pour conserver l’humidité des sols en temps de sécheresse. Des engrais verts (légumineuses, crucifères) sont semés et l’enherbement pratiqué. Sauf s’il est planté de jeunes ceps qui redoutent la concurrence végétale, le sol à nu n’est pas recommandé. Pour lutter contre le gel, la taille et les évacuations en eau sont repensées afin de ne pas avoir à utiliser de fil chauffant ou de bougies. Un gros travail arboricole est également enclenché. Une trentaine de variétés anciennes d’amandiers a été planté en croix dans une parcelle de gamay, de cabernet-franc et de pineau d’Aunis (sélections massales). Une autre, chère à leur cœur mais sensible au gel et à la sècheresse, plantée de cabernet-franc, voit cohabiter pêchers, abricotiers et amandiers.

Dégustation matinale sur fûts
Il est temps maintenant de percer le secret des caves. Pendant que la fille de Thomas et Charlotte Carsin étiquette les bouteilles, Constance et Eloïse dégustent sur fût. Cuvée phare du domaine, Bastingage est le fruit de la vinification et de l’élevage en barriques de raisins issus des quatre terroirs suivants, goûtés séparément.
- L’Aiglerie : Le vin se dévoile dans un registre chaleureux et puissant. Les vignes s’épanouissent vers le sud-ouest sur un sol composé de limon et de sable sur 40 cm. La maturité y est assez lente et fine.
- Les Bards : Le chenin est tourné vers le sud-est. La maturité y étant plus précoce, il est vendangé en premier. Le vin présente un aspect délicatement salin ainsi que des amers nobles qui forment sa colonne vertébrale.
- Chaume : Superbe et persistant, frais et empreint d’une grande minéralité, le vin dévoile toute la magie de ce terroir. Les raisins sont vinifiés en secs quasiment tous les ans. Les liquoreux étant malgré tout des vins magnifiques, leur tradition est perpétuée en petite quantité.
- Chaume sur bois neuf : A ce stade-là, le bois se fait encore sentir, laissant toutefois deviner la puissance du vin qui laisse la curieuse impression de s’asseoir littéralement en bouche.
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Emmanuel Ogereau

11 heures. A peine arrivées au domaine, Eloïse et Constance suivent le vigneron dans sa cave pour déguster les vins qui maturent dans des contenants divers tels que les foudres, les barriques bourguignonnes, les amphores et les œufs, les deux derniers étant respectivement arrivés au domaine en 2020 et 2022. Autant de contenants qui permettent de signer, in fine, un vin révélateur de son terroir d’origine. En fonction du contenant dans lequel il repose, le vin ne s’exprime pas de la même façon, étant plus expressif dans les œufs qu’en amphore, par exemple.
Avant de déjeuner dans la joyeuse enseigne voisine, Popote et Pompette, direction l’espace de dégustation pour y découvrir une jolie verticale de Vent de Spilite :
- Vente de Spilite 2020 : Superbe millésime qui offre un vin parfaitement équilibré avec de beaux taux d’alcool, d’acidité et de PH. Elevé pour un quart en amphore, le chenin s’efface au profit du terroir. Les fleurs, les fruits blancs et les agrumes sont animés par une belle minéralité qui s’achève dans un registre délicatement salin.
- Vente de Spilite 2019 : Légèrement plus intense que le 2020, le 2019 est un millésime que le vigneron « adore ». Nous retrouvons en plus un aspect cireux et des notes de pommes tapées.
- Vent de Spilite 2018 : Le vin dévoile une texture mûre à travers une certaine rondeur toutefois vivifiée par une grande fraîcheur et une minéralité intense qui s’achèvent avec des notes salines et une grande sapidité.
- Vente de Spilite 2017 : Le premier millésime qui incorpore des jeunes vignes. La richesse aromatique offre une étonnante impression de sucrosité. Mais son acidité naturelle confère une énergie folle à ce vin.
- Vent de Spilite 2016 : Compliqué, le millésime marquait le premier épisode de gros gel que les vignerons ont ensuite connu. Pluvieux et frais au printemps, il a été sauvé par un automne chaud et ensoleillé.
- Vent de Spilite 2015 : Très sec, le millésime s’est déroulé dans de bonnes conditions. Mais, étonnamment, de nombreuses grappes n’étaient pas mûres lors de la récolte.
Découverte d’autres vins :
- La Saponaire 2022 : Mis en bouteille trois semaines plus tôt, le vin a été élevé en cuves (50%), en foudres (30%) et en barriques (20%). Voilà pourquoi il dégage un tel fruit, une telle gourmandise. Un vin facile à aimer et facile à boire !
- Grolleau 2022 : Ce cépage doit son nom à celui de la corneille que l’on appelle également « grole ». Sa gourmandise et son côté « glouglou » proviennent notamment d’une macération semi-carbonique d’une semaine.
- L’Enjouée 2022 : étonnamment ce vin moelleux d’une belle gourmandise présente une couleur très pâle (macération des grappes pendant quelques heures seulement). L’acidité naturelle est grande et offre du peps et une énergie folle.
- Pour en savoir plus sur le domaine, relisez les échanges d’Emmanuel Ogereau avec Constance au sein de l’article Les « terroirs qui causent » du domaine Ogereau
Voir les vins d’Emmanuel Ogereau en vente sur iDealwine
Château de Plaisance

La biodiversité, une aventure riche
Sourire aux lèvres, Vanessa Cherruau accueille Eloïse et Constance les bras grands ouverts dans son domaine situé sur le point culminant de l’Anjou, exposé plein sud et regardant le Layon. La jeune femme ose, c’est certain. Elle a ainsi repris le domaine en 2019. « Le 12 septembre, je deviens propriétaire, le 13, je commence la récolte. Le 14 octobre, le lendemain de l’encuvage des rouges et cinq jours après terme, ma fille naît. »
De l’énergie, il en faut. Si Vanessa a trouvé un formidable associé, elle demeure la seule exploitante, gérante et décisionnaire. A son arrivée, l’intégralité du personnel des anciens propriétaires s’en va, il lui faut construire une équipe nouvelle et à son image. Aujourd’hui, huit « permanents » travaillent à ses côtés au sein des 25 hectares cultivés en bio depuis 1995 et biodynamie depuis 2008. Le travail est colossal puisque Vanessa se donne pour mission de restructurer son vignoble et de remettre en question son travail en permanence afin de préserver la biodiversité et de s’adapter au climat changeant. Ainsi, alors que les labours étaient auparavant intensifs, la vigneronne gratte seulement la terre en superficialité. Une centaine d’arbres fruitiers et forestiers sont plantés tous les ans, permettant d’ailleurs- dans un futur proche- aux salariés de se servir. Autre sujet, et pas des moindres : la bouteille en verre. Celle-ci représente 70% du bilan carbone des domaines viticoles. Voilà donc pourquoi elle a remplacé son format de 470 g contre un de 390 g, réduisant son bilan carbone d’un tiers. Et puis, s’adapter à chaque millésime est devenu un véritable enjeu qui passe par l’expérience du terrain, la formation (au microscope, par exemple) et la lecture de vieux ouvrages pleins de bon sens paysan. Dans les vignes, on taille et on ébourgeonne tôt, l’effeuillage n’a pas lieu si le millésime est solaire, des essais de rognage sont effectués (plus il y a de feuillage, plus il y a d’évaporation, il est donc plus intéressant de se concentrer sur un flux de sève moins grand), les portes greffes sont minutieusement choisis.
Les chenins secs, une vieille marotte ?
Malgré son jeune âgé, Vanessa Cherruau a très vite pris conscience du potentiel des chenins secs ; et ce, il y a une quinzaine d’années dans une appellation où les liquoreux étaient rois. Elle n’hésite donc pas une seconde devant le formidable terroir du château de Plaisance qui était à vendre et est aujourd’hui divisé en 44 îlots de maturités différentes.
La vigneronne se presse de présenter à Eloïse et Constance la parcelle cadastrale Zerzilles située sur un versant est à la roche mère affleurante. Sur le versant ouest se trouvent Grandes Pièces composé de poudingues, des gros galets ronds qui emmagasinent la chaleur du jour pour la restituer aux baies la nuit qui, elles, se livrent dans un vin opulent et charmeur.
Vinification minutieuse pour des vins de terroir
Vanessa Cherruau est ferme, il lui faut l’expression la plus juste du terroir. Elle suit ainsi une quête du fruit parfait, de pureté et de sobriété. Les baies sont donc récoltées à la main « al dente » avec deux seaux. Chacun des grains botrytisés sont mis dans le deuxième sceau et pressés en fin de journée. Ce sont donc entre 10 et 100 litres de vin liquoreux qui peuvent être produits. En cave, la quête se poursuit notamment de la façon suivante : les cycles de pressurage son longs, les amphores ont rejoint les contenants en bois et levurage, enzymage et ajout de soufre sont bannis du processus.
Chers amateurs, notez bien que la cuvée Ronceray de la propriété, conçue avec le cœur de presse, n’est autre que la plus pure expression du terroir et de sa minéralité. Peut-être qu’en l’ouvrant vous entendrez tinter le rire communicatif de la vigneronne.
Stéphane Bernaudeau, une rencontre intime
Confidences d’un vigneron solitaire
18h. La journée file, une autre rencontre passionnante attend Eloïse et Constance : Stéphane Bernaudeau. Une poule et un chien les accueillent dans un joli jardin fleuri où grimpent des roses trémières aux couleurs chaudes. Le vigneron apparaît, attrape trois verres à vin et un crachoir avant de les mener vers la cave. Il y fait sombre, des bruits de bulles et de fermentation résonnent. Clin d’œil du vigneron, « ça bosse, hein ? ». C’est dans cette ambiance mystérieuse qu’il sert le vin en cours de production, encore orange. Il sent le vin, peste un peu, goûte et ponctue sa pensée de « hum » récurrents avant de conclure par « ça va être rock’n roll, au final ». C’est ainsi que débutèrent près de trois heures d’entretien, dans le secret de la cave où le temps semble s’arrêter. Le vigneron se livre petit à petit dévoilant un visage solitaire et perfectionniste : « Faire mon propre vin est jubilatoire ». « La base du métier est d’être observateur. Il faut toujours se remettre en question, c’est stimulant car il n’y a pas de vérité. » A ses yeux, le vin est une partition qui contient les notes du terroir, celles du cépage ainsi que celles du millésime et de la vinification. Et, « comme les années passent et ne se ressemblent pas », il lui faut composer. Celui qui, de 2000 à 2004 ramassait le raisin botrytisé en huit tries pour signer un vin sec, possède des barriques de 10, 15, voire 20 ans… « tant que ça goûte, je garde ». Le soufre est ajouté à faible dose mais jamais lors de la mise en bouteille pour éviter de durcir le vin.
De l’importance de goûter à l’aveugle
C’est en goûtant ses vins que l’amateur peut comprendre la gourmandise de Stéphane Bernaudeau qui aime boire au cours d’un repas (gastronomique de préférence !). « Dans l’idéal, j’aimerais un vin pour une assiette. J’ai pourtant signé un 2012 et un 2015 si élégants et caressants qu’ils n’ont pas besoin d’accompagnement. »
Le vigneron s’échappe un instant et revient avec une bouteille coiffée d’une chaussette. « Je ne déguste qu’à l’aveugle », explique-t-il. La matière est presque tannique, des amers se resserrent en finale. Le fruit est présent, le vin s’impose en bouche. « Intéressant », souffle-t-il avant de révéler l’étiquette : un terres-blanches 2020. Pour Stéphane Bernaudeau, la dégustation à l’aveugle est primordiale, permettant de se concentrer sur ses sens. Peu lui importe de deviner son identité, le tout est de se concentrer et d’écouter le nectar. Une belle leçon d’humilité.
Finalement, l’homme est secret. Il faut, comme une dégustation à l’aveugle, prendre le temps de le faire parler pour saisir les contours de sa personnalité et celle de ses vins. Le reste n’est que mystère. Et, le mystère a toujours sa part de beauté.
Eloïse et Constance remercient au nom d’iDealwine tous ces vignerons pour leur accueil chaleureux et les échanges passionnants, aussi divers que leur personnalité.