Au cours de cette petite aventure j’ai pu bénéficier des nombreuses explications de Thibault Liger-Belair sur son terroir, ses manières de vinifier et de tenir la vigne, de ses bourgogne à ses richebourg en passant par les saint-georges… Je vous raconte tout.
Au domaine Thibault Liger-Belair, on ne fait pas les choses dans la demi-mesure. Ce sont plus de 45 vendangeurs qui étaient attendus mercredi 18 septembre au matin afin de faire tomber des ceps les raisins des prestigieuses appellations qui constituent le patrimoine du domaine : Corton, Chambolle-Musigny, Nuits-saint-Georges, Nuits-saint-georges 1er Cru Les Saint-Georges, Clos de Vougeot, Richebourg, Vosne-Romanée 1er cru les Petits-Monts, Charmes-Chambertin… Autant le dire : les appellations sont prestigieuses et notre tâche de vendangeurs sera d’autant plus précieuse qu’il ne faudra pas perdre une grume.
C’est un grand bonhomme qui nous attend, le sourire flanqué aux lèvres et le visage soulagé de celui qui sait qu’il va enfin pouvoir rentrer une année de dur labeur en cuverie. Les présentations passées, la tente montée, Thibault nous conseille de profiter de la nuit, nous nous lèverons au petit-matin.
A 7h30 du matin, après une nuit courte et fraîche, l’équipe de vendangeurs monte dans les camions en direction d’Aloxe-Corton pour la première matinée. La brise encore fraîche du vent nous rappelle que nous sommes au mois de septembre. Après les consignes de Thibault- interdiction de couper les vert-jus, effeuillage recommandé afin de couper plus facilement le raisin, position de coupe changeante à chaque pied afin d’éviter les douleurs articulaires- voici le bal des vendangeurs lancé. Les premiers coups de sécateurs retentissent déjà. Le bruit des feuilles que l’on arrache joue en fond sonore comme une mélodie douce portée par le vent frais que les premiers cris rauques et chauds des vendangeurs appelant un porteur pour vider leur sceau vient rythmer : « Porteur ! ». Ici, les vendanges sont manuelles et les raisins entreposés dans des cagettes de 12 kilos afin d’éviter tout tassement des raisins. Les mouvements sont répétitifs et cadencés, les cris se multiplient dans les vignes, à la froideur du vent cède rapidement sa place les premières chaleurs du soleil qui lèchent doucement la peau. On enlève sa polaire, sans jamais s’arrêter de couper ni de déverser nos sceaux. Dans les vignes, si on lève la tête par-dessus les feuillages on aperçoit les allers-retours des porteurs, marchant, nonchalants, le dos rempli de caisses, et, par intermittence, les têtes des coupeurs qui se lèvent et se rabaissent pour vider leur sceau ou regarder au loin, depuis la colline de Corton, le superbe paysage qui s’étend à nos pieds.
Heureusement, à 9h30, Thibault Liger-Belair sonne la pause. Son équipe et lui ont préparé un déjeuner, moment fort apprécié des vendangeurs. Au menu, pâté, pain, fromage, café et bien sûr du vin pour tenir la journée. Ici, un superbe blanc Maçonnais sur Luzy vinifié par le domaine. Après quelques rasades de blanc vite bues et le ventre rempli de douceurs, Thibault nous rappelle à l’ordre. Malgré la dureté de la mission (avouons-le, dans ce centre aéré particulier l’unique tâche est plutôt répétitive) il faut bien rendre à Thibault ce qui lui appartient : l’ambiance qu’il instaure dans les vignes par sa générosité, son humour et les explications approfondies qu’il livre pédagogiquement sur les différents terroirs que l’on vendange rendent la tâche plus douce.
La fin d’après-midi arrive, 17h30, les seaux sont vidés et nous rentrons tous au camion. Arrivés au domaine, Thibault Liger-Belair me fait visiter la cuverie : table de tri où tout le monde s’attèle méticuleusement à enlever les feuilles que quelques vendangeurs peu scrupuleux ont laissé (promis ce n’est pas moi, ou alors pas beaucoup) et les rares raisins à trier. Au chai, après un tri attentionné, les raisins sont égrappés pour partie, selon ce que Thibault Liger-Belair veut, et en fonction des sols et du millésime. Sur les sols composés d’argiles riches, sur des vieilles vignes, il opte généralement pour des vendanges entières partielles tandis que, pour les sols plus riches en calcaires et plus pauvres en argile, la droiture qu’apporte le terroir ne nécessite pas d’être conjuguée à une vendange entière. Une fois le tri effectué, les raisins, dont certains sont égrappés, passent par un tuyau qui, lentement, transvase les grappes de la table de tri directement à la cuve, en les préservant le plus possible de l’oxygène extérieur. Les cuves sont thermos réfrigérés, à 12°C, ce qui permet de conserver des macérations longues au sein des raisins eux-mêmes. Thibault m’invite à mettre ma tête au-dessus de la cuve : l’odeur de petits fruits rouges est envoutante et me plonge directement dans les odeurs de mon enfance quand, en plein été, je passais mes matinées à cueillir les groseilles et les fraises en fin de saison, ainsi que les framboises qui n’ont jamais été aussi bonnes que ramassées sur leur pied et avalées dans la seconde. Ce goût de la première groseille de la saison qui vous assaille les papilles et décroche un sourire amer, rempli de bonheur et d’un goût d’inattendu, je l’ai retrouvé dans la cuve de Thibault. Des odeurs perdues, joyeuses et qui pinotent déjà presque joyeusement.
Ensuite, Thibault m’emmène en cave. On prend l’ascenseur dans la cuverie direction le sous-sol où sont rangés les fûts. Trônent sur un fût quelques Zalto, prêts sans aucun doute pour une dégustation : bien heureux ces dégustateurs. Thibault m’explique que son choix s’est arrêté sur les Zalto universal puisque pour lui leur ouverture large permet de mettre au mieux en valeur les vins dans leur état de prime jeunesse.
Dans la cave, alors que nous cheminons vers le fond où il élève ses beaujolais dans des foudres afin de les marquer aussi peu que possible par l’empreinte du bois, j’ai pu remarquer des fûts d’un blanc clair inhabituel. Thibault, toujours pédagogue m’explique qu’il opère pour ses fûts une sélection draconienne et poussée : il souhaite des chauffes très légères, voire des fûts sans aucune chauffe (d’où la pâleur de leur teinte) et une sélection poussée des bois. Pour cela, il va lui-même en forêt choisir, avec son tonnelier, le bois qui lui convient le mieux. Il travaille ainsi avec la tonnellerie de Mercurey, tout comme Bruno Lorenzon (autre vigneron perfectionniste), qui est la seule à pouvoir permettre au vigneron de s’investir autant dans cette sélection minutieuse. Vigneron, Thibault LIger-Belair l’est d’un bout à l’autre. De la production du bois des fûts jusqu’à la mise en bouteille, rien n’est laissé au hasard.
Dans un coin frais de la cave Thibault me montre ses préparations Biodynamiques : de la bouse entreposée dans une corne et enterré pendant près d’un an en terre. Il s’apprête à ouvrir le pot, et moi, à prendre mes jambes à mon cou. Mais étonnamment cela ne sent plus rien. On dirait tout juste de la terre. Thibault aime la laisser enterrée plus longtemps, pour lui, il s’agit de rendre cette préparation aussi vivante que possible : qu’elle soit habitée. Depuis qu’il a repris son domaine en 2001 Thibault s’est rapidement converti en bio et en biodynamie. 2005 : le voilà dans les vignes à 5 heures du matin en train d’arroser ses vignes de la préparation 501, ses voisins et vignerons le prenaient alors pour un huluberlu dans une Bourgogne encore marginalement convertie à cette culture. Cette démarche, il l’a non seulement conservée mais aussi approfondie à Nuits-Saint-Georges autant que dans le Beaujolais où il avait été victime d’un procès pour refus de traitement. A Nuits-Saint-Georges il a fait construire une nouvelle cuverie, respectueuse de l’environnement avec des matériaux naturels et isolants où l’électricité est fournie en partie par une plante solaire géante. C’est toujours agréable d’assister, le matin, au lever, sur les coups 7h, au réveil de la plante qui se contorsionne dans tous les sens et s’ouvre largement afin de capter les premiers de rayon de soleil comme un vacancier sur la plage tentant de ne pas perdre une goutte des rayons qui viennent lui dorer la peau.
Après ces passionnantes conversations, il est temps pour notre vigneron de retourner près de la table de tri et de ses cuves. Quant à moi, il me faut prendre une douche, profiter d’un repas et d’un repos bien mérités.
19h30. La cuverie s’active encore, le soleil diminue, la grande plante solaire à l’entrée se referme. Je vais me coucher.
Jeudi, 7h30 du matin. Dans la même cour que la veille la troupe se réunit autour de Thibault, les yeux fatigués, le corps encore raide d’une nuit que d’aucuns jugent trop courte. « Today, it’s richerbourg’s day » crie, vivace et joyeux Thibault d’un cri qui vient me réchauffer : voilà que je vais entrer dans la cour des grands crus bourguignons, sur cette langue de terre sacrée où les romanée côtoient les richebourg. Malgré la nuit, les températures fraîches, le mal de genoux, je ne peux m’empêcher de sourire comme un enfant ayant passé, la veille de Noël, une nuit agitée aussitôt oubliée à son réveil par la joie et l’excitation de découvrir ce que les cadeaux sous le sapin. J’avais envie de percer le secret de ce terroir particulier du Richebourg.
Direction Vosne-Romanée, j’aperçois une pierre sommaire affichant la Grande Rue sur ma gauche. Signe de la grande modestie de Bourgogne : face au terroir l’homme n’est rien. J’en déduits que sur ma droite se trouve la Romanée-Conti. Plus haut, j’aperçois des vignes perpendiculaires à la route : voici La Romanée. Il n’y a aucun bruit sinon celui des camions des vendangeurs. On s’aventure vers la Conti, la dépasse, et, sur notre gauche les Richebourg. Le camion s’arrête. A notre droite, une équipe de vendangeurs fête déjà la fin des vendanges. Thibault m’expliquera alors que face à la montée des températures, nombreux sont ceux qui tentent de conserver la minéralité du vin, sa fraîcheur, en coupant plus tôt. Thibault ne fait pas partie de ceux-là. La minéralité pour lui n’est qu’un terme fourre-tout, qui n’a que peu de réalité. Ensuite, il préfère attendre que les raisins atteignent une maturité phénolique optimale, c’est-à-dire une maturité de la rafle, des tannins etc… Elle à distinguer de la maturité physiologique qui se concentre sur le sucre. Pour Thibault couper tôt n’est pas suffisant ni nécessaire pour obtenir de la fraîcheur : couper à juste maturité permet, en atteignant cette maturité phénolique, de dégager de la fraîcheur dans les vins naturellement présente dans la rafle et les tannins. Chez Thibault Liger-Belair la concession est à la maturité dans une Bourgogne de plus en plus meurtrie par les jus verts et raides où la chaptalisation devient nécessitée. Je ne peux cacher que je soutiens ce choix tant les raisins de chez Thibault sont déjà délicieux sur pieds ! (Même si je les ai goûtés avec modération 😊)
Au pied des Richebourg, le clocher de l’église de Vosne-Romanée dans le dos défiant le ciel comme la flèche du clocher de Combray, Thibault nous recommande d’être extrêmement précautionneux avec les raisins du Richebourg : bien entendu, il est hors de question d’en laisser sur pied. Je ne peux m’empêcher d’en goûter quelques-uns et, je dois bien l’avouer, ils furent réellement sublimes et savoureux. Des raisins parfaitement mûrs, aux tannins caressants et accompagnés d’une intense saveur de miel, de pain d’épices, se déclinant dans un nuancier infini à mesure que nous approchions du milieu puis du haut des Richebourg où le sol, plus pauvre et composé de fines couches d’argile produit des baies sublimes.
Les Richebourg terminés, nous tournons le dos à Vosne-Romanée et notre camion part direction Clos Vougeot. Nous faisons une pause dans le clos, afin de déjeuner de nouveau, puis nous repartons de plus bel notre journée rythmée par les coups de sécateurs. Le Clos Vougeot est une parcelle compliquée nous dit Thibault, toujours pédagogue. Délimitées dès le 12ème siècle les terres du clos de Vougeot sont les premières à avoir, en Bourgogne, été établies selon une logique de terroir. Le mur le délimite des échezeaux et des grands-échezeaux à l’Ouest et du Musigny au Nord-Ouest. C’est le plus grand cru de Bourgogne en termes de surface viticole : plus de 50 hectares. La terre n’y est absolument pas uniforme et est découpée en plusieurs climats. Si les plus connus sont sans doute les musigni, détenus par la famille Gros et bordant le grand cru Musigny à leur Nord-Ouest, ou encore les Maupertui, les vignes de Thibault sont sur les Baudes-hautes et basses. Il y détient quelques rangs et a « le meilleur des voisins possible puisque c’est le mur » comme il a coutume de le dire. Sur le Clos Vougeot l’argile est riche et rouge. La terre sur les vignes de Thibault y est très friable, et vivante : il n’est pas rare d’y croiser de nombreuses araignées, pince-oreilles et autres bestioles. La preuve que la terre respire et n’y est pas traitée par des insecticides. Pour cela, Thibault entend préserver un léger enherbement naturel dans ses vignes, où les sols sont travaillés mais jamais meurtris par des labours trop profonds. Mais, peut-être plus que la terre superficielle, compte la réalité du sous-sol sur le clos de Vougeot. Ici, le Clos de Vougeot bénéficie de l’influence du cône de déjection de Vosne-Romanée, au sud, et de la Combe d’Orveaux, sur Chambolle-Musigny au nord, ce qui permet d’assurer au sol une complexité particulière, apportant dans la partie haute du clos une sensualité étonnante tandis que la partie basse est souvent plus terrienne et ferrugineuse ou, pour le dire autrement, charpentée. Thibault y sépare deux cuvées, d’un côté quelques rangs de vieilles vignes plantées en 1947, qui produisent naturellement peu et qu’il vinifie en grappes entières, et de l’autre des vignes plus jeunes, de 25 ans, largement égrappées. Thibault nous donne un indice pour reconnaître les vignes jeunes et celles plus âgées : il suffit de regarder non seulement les ceps, souvent plus volumineux, mais aussi, les feuilles. En effet, dans cette période de canicule les jeunes vignes, aux racines moins profondes, peuvent manquer d’eau et les feuilles jaunissent tandis que les vieilles vignes, au réseau racinaire bien plus établi, vont chercher en profondeur leur eau permettant de capter au maximum le terroir et « la gueule du lieu » comme le dit Thibault Liger-Belair ce qui garantit aux feuilles une verdeur insolente.
Notre balade continuera ensuite sur deux jours, dans les Charmes-Chambertin, les Saint-Georges sur Nuits qui constituent la parcelle phare du domaine que Thibault tente 10 ans maintenant, de reclasser en grand cru afin de rendre à ce sol ce qui lui appartient de droit : le statut de grand cru naturel. Nous y croiserons pêle-mêle, de loin Eric Rousseau occupé à vendanger ses chambertin pendant que nous vendangeons les charmes situés juste en contrebas, puis Christophe Roumier, à Chambolle-Musigny pendant que nous y serons aussi affairés.
Ce fut une aventure éprouvante, physiquement, mais rendue ô combien joyeuse par les repas partagés par les équipes de vendangeurs et celles de Thibault ; les rires le soir qui tiraient, comme un éclair lumineux dans un ciel assombri et pesant, un trait joyeux sur les visages déformés par la fatigue.
Je tiens sincèrement à remercier le domaine Thibault Liger-Belair pour son accueil, les explications passionnées de Thibault ainsi que les rencontres formidables que permettent ces quelques jours de vendanges. Invité à déguster les vins au domaine prochainement, je ne manquerai pas de vous faire un compte-rendu détaillé 😉