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Les amateurs ont encore largement tendance à associer la notion de “grand vin” rouge avec une assez longue garde (d’au moins dix ou quinze ans). Mais de plus en plus de passionnés (souvent plus jeunes) considèrent qu’aujourd’hui il n’est plus nécessaire d’attendre aussi longtemps, car ils estiment que les vins sont faits pour être bus plus jeunes qu’autrefois. Quelles sont les explications de cette évolution : un changement des goûts ou des modifications dans la façon d’élaborer les vins ?

SOMMAIRE

« Oui, je sais, il est un peu tannique et dur à apprécier aujourd’hui, mais vous verrez, dans une quinzaine d’années, ce sera du velours… » Qui n’a pas entendu un jour un vigneron vous répondre ainsi alors que vous faisiez la grimace en goûtant son dernier millésime de rouge ? C’est évidemment une mauvaise plaisanterie, car comme le disait le mythique vigneron bourguignon Henri Jayer à propos des vins rouges de sa région : « Un grand vin doit se boire jeune et tenir des décennies. » Pouvoir déguster avec plaisir un vin jeune ne veut évidemment pas dire qu’il ne s’améliorera pas en vieillissant. Il ne faut pas confondre deux choses : la capacité d’un vin à être apprécié dans sa jeunesse et sa disposition à se complexifier avec une certaine garde. Notre propos est ici de comprendre pourquoi il y a de plus en plus de vins “de garde” qui sont déjà très agréables à boire dans leur jeunesse.

Pendant longtemps, le terme “vin de garde” était synonyme de “grande qualité” et, le plus souvent, ce type de vin faisait automatiquement référence à ceux de Bordeaux. Ce sont essentiellement les critiques anglais qui ont longtemps propagé cette idée et on entendait même dire qu’un vin qui était agréable jeune, dans son fruité, ne pouvait pas être un “grand” vin. À l’inverse, un peu plus tard, sont arrivés les critiques américains qui disaient exactement l’inverse : si un vin est quasiment imbuvable quand il est jeune, il le restera. Pour eux, le fruité et le fait d’être abordable dans sa jeunesse sont indispensables à la qualité d’un grand vin. Au-delà d’une question de goûts personnels (l’austérité anglaise contre l’épicurisme américain), un certain nombre d’années se sont écoulées entre ces deux périodes, au cours desquelles certains changements expliquent que les vins jeunes sont également devenus plus faciles à boire, même à Bordeaux ! On ne va en effet parler ici que des vins ayant une certaine capacité de garde. Il faut en effet avoir à l’esprit qu’une immense majorité de vins rouges (et encore plus de vins blancs) sont vinifiés pour être bus très jeunes : sans parler du beaujolais nouveau, tous les petits “vins de pays”, parfois vendus en bag-in-box et qui représentent en volume une très grosse part des vins consommés en France, sont évidemment bus très jeunes, et c’est tant mieux pour eux car il est certain qu’ils n’ont aucune capacité à s’améliorer après plus d’un an de cave…

Si on se concentre sur les vins de garde, qu’est-ce qui justifie qu’ils sont devenus plus faciles à aborder dans leur jeunesse ? Il y a sans doute plusieurs explications, aucune n’étant à elle seule suffisante à expliquer ce phénomène qui résulte plutôt d’une combinaison de ces différentes causes. Il y en a sans doute quatre, sans volonté de hiérarchisation. Sachant qu’en outre, il est difficile de trancher : buvons-nous les vins plus jeunes parce qu’ils ont changé, ou les vignerons ont-ils modifié leurs méthodes pour répondre à une demande du marché pour des vins plus facilement accessibles jeunes ?

1ère raison : le climat et les méthodes culturales

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Sans entrer dans le débat du changement climatique, il est indéniable que, depuis une bonne quinzaine d’années, la plupart des régions viticoles françaises vendangent nettement plus tôt. Pour des raisons climatiques, c’est évident, le cycle de la vigne s’est décalé, commençant et finissant régulièrement avec une à trois semaines d’avance sur ce que l’on constatait il y vingt ans. Mais il y a aussi une raison qui n’a rien à voir avec le climat : la demande croissante pour des vins de qualité a mené une grande majorité de vignerons à porter une attention beaucoup plus soutenue à leurs vignes, en travaillant les sols, en effectuant des travaux en vert (ébourgeonnage, vendanges en vert, effeuillage, etc.), en prenant plus de risques avec les dates de vendanges pour être sûrs de la maturité de leurs raisins, en goûtant les baies (et leurs pépins) pour savoir si la maturité phénolique est bien au rendez-vous. Bref, la plupart des vins sont vinifiés aujourd’hui à partir de raisins plus mûrs qu’autrefois. Par conséquent les tannins des vins rouges sont plus rarement verts et “durs” et les vins se goûtent plus agréablement dans leur jeunesse, même les vins promis à une plus ou moins longue garde.

2ème raison : l’évolution des vinifications

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Si les vins sont plus souvent qu’autrefois vinifiés à partir de raisins plus mûrs, les méthodes de vinification ont, elles aussi, un peu évolué. Car, dans un premier temps, face à une belle matière première à parfaite maturité, de nombreux vignerons croyaient bon d’en tirer le maximum pour tenter d’en faire des cuvées puissantes et concentrées qui allaient impressionner critiques internationaux et amateurs en mal de sensations fortes. Dans ce but, les extractions ont souvent été poussées au-delà d’une limite raisonnable, y compris, ô sacrilège, dans certains domaines de Bourgogne où le pinot noir ne demande au contraire que tendresse et délicatesse de la part de son vinificateur ! Pigeages à gogo, remontages à n’en plus finir, délestages sans frontières ont ainsi produit des vins bien sombres, aux tannins sévères et à l’amertume exagérée. Des nectars bien peu séduisants dans leur jeunesse et qui n’évoluaient pas très bien non plus… Aujourd’hui la mode n’est plus à ce style de vin. Avec l’expérience, les producteurs ont choisi des méthodes plus douces, avec nettement moins de manipulation des moûts. Vous entendrez souvent un vigneron vous dire que les macérations de ses rouges sont de véritables “infusions”. Au final, des vins qui ne perdent rien de leur expression aromatique ni de leur longueur en finale, mais qui proposent un toucher de bouche bien plus agréable qui facilite évidemment la dégustation dans leur jeunesse.

3ème raison : l’évolution des élevages

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Pour les mêmes raisons, face à une clientèle dont la culture du vin a sensiblement progressé ces dernières années (entre autres grâce au Journal d’iDealwine), les vignerons ont soigné plus attentivement leurs élevages. Car on peut avoir les raisins les plus mûrs et avoir pratiqué des extractions douces, si on élève ses vins dans de vieilles barriques ou de très vieux foudres à l’hygiène approximative, ces beaux raisins risquent de se transformer en un vin aux tannins secs et étriqués. C’est ce qui s’est longtemps passé par exemple au sein de l’appellation Bandol, dont les vins avaient la réputation d’être peu agréables à goûter jeunes, mais qui pouvaient vieillir de manière intéressante. À la fin des années 1990, l’arrivée de Daniel Ravier à la tête du mythique Domaine Tempier a modifié les choses. Il a tout de suite décidé de remplacer les très vieux foudres du domaine par des contenants nettement plus récents. Au vu des résultats, il a été rapidement imité par de nombreux domaines, et aujourd’hui on peut goûter des bandols rouges très jeunes sans s’écorcher les gencives… De façon générale, on sent qu’il y a une tendance pour des élevages moins boisés pour aller vers des vins moins cadenassés par la barrique et donc plus faciles à déguster. Les vins élevés en terre cuite par exemple (amphores, jarres, qveris), ou en œuf (en béton ou en terre cuite), proposent ainsi des tannins très assagis. Certains domaines de prestige choisissent plusieurs méthodes d’élevage, comme le Château Pontet-Canet qui travaille à 50% en barriques neuves, à 15% en barriques d’un vin, et à 35% en Dolia (amphores en béton), et propose un pauillac qui peut s’apprécier dans sa jeunesse, même s’il est évident qu’il mérite une longue garde !

4ème raison : l’évolution des goûts et de l’urbanisation

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Enfin, si les vins sont aujourd’hui plus faciles à goûter dans leur jeunesse, c’est qu’il y a une évolution très nette du goût des consommateurs, évolution liée également, de gré ou de force aux évolutions de l’habitat. Les jeunes passionnés de vin, très nombreux aujourd’hui alors qu’autrefois la connaissance des grands vins était plutôt une longue initiation réservée à une poignée d’amateurs, sont beaucoup plus impatients que leurs aînés. Ils ont envie de découvrir de grandes bouteilles sans attendre quinze ou vingt ans. Une tendance renforcée par le phénomène des bars à vins et des vins “nature” qui ancre dans les esprits que les bons vins peuvent aussi se boire très jeunes. Phénomène bien entendu renforcé par le fait que ces clients passionnés sont en général également de jeunes urbains et qu’ils ne disposent pas souvent de caves dignes de ce nom pour faire vieillir en toute quiétude leurs trésors. Heureusement, iDealwine leur permet d’acquérir des pépites déjà matures et pas forcément à des prix délirants, pour qui sait enchérir “malin”….

L’offre de vins pouvant se garder mais accessibles jeunes a donc rejoint la demande de nombreux amateurs pour ce type de cuvées. L’idéal restant, comme toujours, d’acquérir un minimum de bouteilles (au moins six…) que l’on peut déguster au fil des ans et apprécier l’évolution d’un vin qui peut se boire jeune et tenir des décennies, comme le disait si bien Henri Jayer.

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Cette publication a un commentaire

  1. Denis

    J’ai visité un dormaien Bourguignon qui m’expliquait ,qu’en effet, ses vins se buvaient plus rapidemment a cause de l’évolution du climat (surtout depuis 2017 ) .En revanche,ce qu’ils gagnaient en buvabilité sur les 1eres années ,ils les perdaient en terme de garde .Ses vins ne sont plus promis a des gardes de 20 ans et n’atteignent plus la complexité aromatique de leurs « ancêtres « … ça reste très bon ,mais ça perd en classe …

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