Chaque mois, Angélique de Lencquesaing participe à l’émission Tout pour investir, sur BFM Business. Elle répondait récemment aux questions de Lorraine Goumot, pour évoquer les atouts du vignoble savoyard, d’un point de vue patrimonial. Interview.
Lorraine Goumot: Les vacances à la montagne auraient-elle inspiré ce sujet ? Cap sur un vignoble confidentiel, du moins pour le grand public : la Savoie. Nous allons voir ensemble pourquoi il est utile de se pencher aujourd’hui sur les vins qui y sont produits et analyser avec vous leur intérêt patrimonial. Pourquoi avoir voulu braquer les projecteurs sur cette région ? Quelles sont ses signes distinctifs ?
La question peut surprendre effectivement, car les amateurs de sports d’hiver ont peut-être une image biaisée des vins locaux, dont l’image est altérée par la part la moins chère, et aussi la moins qualitative de la production. Et pourtant, la Savoie est un vignoble historique. Savez-vous qu’il s’agit de l’un des plus anciens de l’Hexagone ? Sa présence est attestée depuis l’Antiquité.
Le pays est alors habité par les Allobroges, un peuple d’origine celte, dont le nom signifie « étranger », qui se serait installé au IVème siècle avant J-C. Ce territoire des Allobroges, situé entre l’Isère, le Rhône, et les Alpes du Nord, sera renommé plus tard la Sapaudia (« pays des sapins », qui deviendra la Savoie), au nord de l’Isère.
Ce sont surtout les Romains, puis les moines du Moyen-Âge qui ont contribué au développement de la viticulture, initiant certaines expériences destinées à améliorer la qualité des vins, et s’attelant à identifier les lieux, pour les nommer. Beaucoup plus tard, en 1860, la Savoie est rattachée à la France, et une concurrence s’instaure avec les autres vignobles, notamment ceux du sud de la vallée du Rhône et de la Provence. Puis survient la crise du phylloxéra, le vignoble se replie… Après la première guerre mondiale la région va connaître une lente phase de déclin. Heureusement quelques figures vont contribuer à son renouveau à partir des années 1970- 1980. Une histoire mouvementée, donc qui aujourd’hui voit le renouveau du vignoble grâce au talent et à la vision de certains vignerons, et aussi, à la perspicacité d’amateurs pointus. Chez iDealwine, nous aimons aller explorer ces vignobles discrets, où la persévérance et le talent de certains sont aujourd’hui la source d’une véritable renaissance.
Vous parlez d’un vignoble confidentiel, quelle est sa superficie ?
Le vignoble de Savoie couvre environ 2 200 hectares qui s’étendent du lac Léman jusqu’en Isère. Il s’échelonne en France sur quatre départements, (Savoie et Haute-Savoie, Isère, Ain). Soit 0,2% du vignoble français…
Minuscule… qu’a donc la Savoie de si particulier pour que l’amateur soit prié de s’y intéresser maintenant ?
Sa singularité, qui se manifeste notamment par les cépages que l’on cultive surtout dans cette région, et pas tellement ailleurs. C’est une terre de vins blancs, pour l’essentiel, ceux-ci représentent les trois qaurts de la production. C’est d’ailleurs là une des raisons de son succès, car la tendance est à l’accroissement de la consommation de blancs chez l’amateur. Parmi les 23 cépages cultivés, quatre se distinguent : la jacquère (qui couvre 50% du vignoble), vif, sec et minéral, l’altesse, qui donne des vins complexes aux arômes de bergamote, de coing, et plus tard de truffe blanche… ; le chasselas qui donne des vins légers, secs et frais et, pour les vins rouges, la mondeuse, « cépage qui mûrit au milieu de la neige » alliant fruits et épices, très riche sur le plan aromatique.
D’accord, c’est passionnant pour l’amateur un peu pointu. Mais pas nécessairement facile à décrypter pour le néophyte. Comment s’y retrouver ?
Parmi les facteurs qui contribuent à bâtir le succès d’un vin, d’un domaine, d’une région, il y a le terroir, bien sûr, rude dans le cas présent, avec un vignoble pentu, rarement mécanisable ; le climat aussi, difficile à dompter en Savoie, car continental. Et il y a, bien sûr, le talent des hommes. Et en Savoie, comme souvent dans les régions confidentielles, un homme a contribué à attirer les projecteurs, il s’agit de Michel Grisard. Installé en Savoie depuis les années 1970, Michel Grisard a converti son domaine de 5ha à la biodynamie à partir des années 1980, 1990. Les cuvées sculptées de la main du vigneron sont aujourd’hui des collectors, puisque le domaine a été cédé, et repris par Giachino à compter du millésime 2015. Une mondeuse de 1988 a été adjugée 689€ sur iDealwine l’an dernier.
Les enchères sont nombreuses sur les vins de Savoie ?
En volume, elles sont comparables à la taille du vignoble (0,2%). Près de 1000 bouteilles ont changé de mains l’an dernier sur iDealwine, pour un prix moyen en forte hausse, qui s’établit à 85€ (+26%) la bouteille.
C’est donc un eldorado pas si nouveau ? La notoriété a déjà fait grimper les prix !
Si les vins étaient identifiés de longue date par les amateurs les plus pointus, la reconnaissance a été tardive. Aujourd’hui, les vins de Michel Grisard (Prieuré Saint-Christophe) sont des collectors, puisque le domaine a été cédé à un autre vigneron réputé, Giachino, en 2015. D’où leur prix, élevé, le prix moyen des 145 flacons issus de ce domaine, adjugés en 2023, s’établit à 284€. Aujourd’hui, le domaine a été transmis, et c’est d’ailleurs là que réside le succès de cette région, dans une transmission réussie. C’est valable pour le Prieuré Saint-Christophe, mais aussi pour d’autres signatures.
Pouvez-vous nous indiquer quelques noms de domaines plus accessibles en termes de prix, et qui méritent l’attention ?
Je vous parlais de transmission. Le domaine Giachino s’est étendu avec la reprise du Prieuré Saint-Christophe. Sa notoriété est solidement établie. La succession est toujours un point clé dans l’histoire d’un domaine. D’ailleurs, plus généralement, sur le plan patrimonial, c’est toujours un sujet crucial. Dans le registre des transmissions réussies, Michel Grisard avait contribué à la création du Domaine des Ardoisières, devenu l’une des étoiles de la région, et un conservatoire des cépages savoyards.
Le domaine Belluard a été dramatiquement endeuillé par le décès brutal de Dominique Belluard en 2021. Aujourd’hui, le domaine est repris par Vincent Ruiz, un vigneron venu de Cornas, dans la vallée du Rhône. Baptisé Domaine du Gringet – en hommage à Dominique Belluard qui cultivait avec passion ce cépage local -, il repart sur de nouvelles bases talentueuses et connaît d’ores et déjà le succès. D’autres noms comme Gilles Berlioz, Adrien Berlioz, Louis Magnin, ou les Vignes de Paradis figurent parmi les signatures à suivre. Le domaine de l’Aitonnement aussi, dans la Maurienne, qui exploite un vignoble minuscule (3ha) où perdurent encore quelques vignes préphylloxériques, et où il remet à l’honneur certains cépages endémiques comme le joubertin et le gringet (en hommage à Dominique Belluard).
Quelle part octroyer à ce type de vins, et plus généralement à ces régions confidentielles dans une cave d’amateurs, constituée dans une optique patrimoniale ?
Les ventes aux enchères que nous analysons à la loupe dans notre Baromètre annuel livre une représentation intéressante de la part que l’amateur peut octroyer aux différentes régions viticoles dans votre cave. Nous en analysons 15 en France, auxquelles s’ajoutent les vins étrangers. Les trois régions traditionnellement les plus présentes (Bordeaux, Bourgogne et Rhône) ont représenté, en 2023, 73% des volumes adjugés. C’est ce que l’on peut appeler la partie « père de famille » de la cave, en quelque sorte. Ce qui est amusant et prospectif, c’est de creuser parmi les 27% restant, et identifier les vins, les domaines intéressants à suivre pour le futur.
Le point que vous devez considérer est avant tout votre consommation annuelle. Combien de bouteilles ouvrez-vous chaque semaine, chaque mois, durant toute une année, et quel type de vin buvez-vous principalement ? En fonction de ces critères, il sera intéressant d’accroître un peu les volumes achetés, dans les mêmes domaines. En gardant en tête l’idée de choisir des vins que vous avez envie de goûter. Si vous en avez trop, et que les prix s’envolent, vous aurez valorisé votre patrimoine. A l’inverse, pour ces vins qui vous plaisent, si la valorisation n’est pas au rendez-vous, vous pourrez toujours les boire avec plaisir. Le vin est le seul investissement susceptible d’offrir ce type de consolation en cas de déception financière…
Et puis, en Savoie, il y a aussi les fameuses Chartreuses…
Là, on peut véritablement parler d’un produit iconique, oui ! La fameuse liqueur des Pères Chartreux, à la composition mystérieuse – connue de deux moines seulement – est l’un de spiritueux les plus recherchés du moment. Les plus rares sont celles qui ont été produites durant la période où les moines, expulsés du monastère de la Grande Chartreuse, se sont réfugiés à Tarragone, en Espagne, où ils ont poursuivi la production. L’aura et le mystère qui entourent la confection de ces liqueurs ont forgé la légende et les bouteilles de chartreuse, verte ou jaune, s’arrachent aux enchères. Sur notre site dédié aux spiritueux, Fine Spirits Auction, une belle collection de 188 flacons a été adjugée il y a quelques semaines. La chartreuse la plus chère, une Taragone jaune (mise 1968) a atteint 1255€. Le prix du mystère…
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