Au cœur d’une région qui dispose de la plus grande variété de vin imaginable (vins tranquilles secs ou moelleux, effervescents, vins jaunes, vins de paille, macvin…) surgit un château qui regarde loin vers la Bourgogne, tout en bâtissant son histoire séculaire sur la réputation de son pinot noir. Un entretien privilégié avec le descendant des premiers propriétaires nous a permis d’en percer les secrets.
Vous cherchiez un domaine atypique ? Ne vous rendez donc pas plus loin que dans le Jura pour découvrir le château d’Arlay dont les origines remontent au Haut Moyen-Âge, période à laquelle la Franche-Comté était rattachée au duché de Bourgogne. Si les propriétaires, eux-mêmes bourguignons, se sont installés à Arlay, c’est avant tout et surtout pour la production régionale d’eau salée. Arlay est aussi alors un lieu de passage important entre l’Italie et les Pays Bas. La famille d’Arlay ne se fait donc pas prier et instaure des péages et des taxes imposées aux bateaux, orientaux pour la plupart, de passage entre la Vénétie et la mer du Nord, une seconde source de revenue.
Forts de leur petit commerce, ces nouveaux puissants seigneurs créent leur propre domaine viticole. Fait rare à l’heure où ceci était alors l’apanage des ordres religieux. Sans surprise, ces bourguignons ont un petit faible pour le pinot noir qui, pour s’épanouir, réclame une géologie calcaire et une terre moins compacte que ce que l’on peut trouver dans le Jura… Qu’ils vont, pour leur plus grand bonheur, trouver au pied de leur forteresse. Notons en effet que la colline d’Arlay est un morceau de terre arraché aux premiers plateaux jurassiens (dont Château-Chalon) situés à une douzaine de kilomètres à vol d’oiseaux. Celui-ci a tendance à s’avancer vers la Bourgogne, entraîné par gravité vers la Saône, une plaine beaucoup plus calcaire. Cette colline est donc le fruit d’un métissage de deux terroirs dévoilant en profondeur des marnes grises du plateau recouverts par le calcaire de la plaine de la Saône.
Ici, sur ce terrain de rêve, pinot noir, trousseau et poulsard pour les rouges s’épanouissent sur la face sud, au sommet, plus facile à cultiver. Quant au chardonnay et au savagnin, ils se satisfont des terres plus compactes du bas. Ainsi, depuis les premières cultures entreprises, tous bénéficient de cette même orientation vers le sud et le sud-est. Une orientation là aussi atypique dans la mesure où, dans la région, le vignoble jurassien est tourné vers la Bourgogne à l’est.
Aujourd’hui, les vignes courent sur vingt-deux hectares d’un seul tenant. Une superficie conséquente si nous la comparons à la moyenne régionale qui est d’un hectare. Ce regroupement autour du château renforce l’identité des vins que l’on recherche pour leur fraîcheur (même avec un peu de bouteille), leur style aérien, leur subtilité, leur palette aromatique qui se livre naturellement, avec franchises. Les rouges dévoilent ainsi des notes de graphite et d’épice ainsi qu’une grande minéralité. Les blancs, des touches d’épices douces, de figue et de raisin sec. Quant au vin jaune, il s’avère remarquable de finesse, loin des lourdeurs d’alcool et de saveurs que l’on pourrait reprocher à ses pairs. Pourtant, ne vous y méprenez pas, malgré leur apparence légère, ces crus dévoilent un contraste intense entre leur buvabilité et le potentiel de garde conféré par une acidité fraîche. Même sur des vendanges très mûres (en 2018, le chardonnay enregistrait un titre alcoolique de 15°), nous décelons des notes iodées, une grande minéralité et une finale saline droite, signatures jurassiennes… Très marquées au domaine !
Le château d’Arlay, c’est aussi une histoire ancienne. Celui-ci existe depuis… presque 1000 ans, et il est unanimement cité comme l’un des « grands crus » du Jura. Avec une telle ancienneté, le Château d’Arlay est avant tout connu pour être le plus vieux château viticole de France, en attestent des archives conservées au château… depuis 1070. L’habillage des bouteilles, singulier et inchangé depuis 1917, participe également de « l’emblème Arlay ».
Alain de Laguiche, qui nous explique que les propriétaires n’ont jamais changé depuis sa fondation, n’envisageait pas de se séparer de ce joyau alors même qu’il avait suivi un tout autre parcours professionnel en région parisienne. Mais, heureusement, à Arlay, entre la saison touristique importante et la gestion de la forêt familiale, l’ennui n’a pas sa place. S’il n’a jamais suivi de formation, il travaille de concert avec Philippe Soulard, son chef d’exploitation arrivé en 2011. Ensemble, au cœur de ce climat pluvieux et risqué, ils se sont lancé le défi d’une culture bio et, depuis trois ans, biodynamique, sans réclamer de certification pour autant. Bien que 20% de la surface viticole régionale soit convertie au bio, la tâche n’est pas aisée, vous l’imaginez bien.
Ce travail acharné et soigné est, bien sûr, poursuivi en cave où les vins sont toujours vinifiés le plus naturellement possible avec, pour fil d’Ariane, l’idée qu’il faut percevoir à travers la fraîcheur et la pureté du breuvage les efforts produits dans les vignes.
Notons que 2011 est le dernier millésime qui a offert de gros volumes de qualité. Jusqu’à aujourd’hui, les années suivantes ont été marquées par des vendanges difficiles avec des rendements diminués de moitié. Dans ce contexte, la famille qui élevait longuement ses vins en vieux gros foudres porteurs d’arômes tertiaires, a repensé ses méthodes d’élevage en s’orientant vers de petits contenants (400 litres) et des durées de macération plus précises. Ces vins rouges révèlent ainsi beaucoup de tanins naturels, offrant un caractère quelque peu rustique qui s’affine avec le temps.
Amateur de vins équilibrés, Alain de Laguiche recherche du velours quand il déguste. Ses références ? Les grands vins du Rhône, de Gigondas notamment, mais aussi de Savoie et du Beaujolais où il recherche les crus structurés et puissants comme sa bien-aimée cuvée Zaccharie du château Thivin. Ainsi inspiré, il produit aujourd’hui du vin rouge et du vin jaune à parts égales : quatre rouges, deux blancs et deux vins jaunes. Du crémant peut-être ? Que nenni ! Il est en effet un des rares producteurs à ne pas en proposer, « contraint » par l’exposition plein sud des vignes qui les prédisposent à de hautes maturités. Mais peut-on vraiment parler de contrainte quand son grand-père était PDG de Moët et Chandon et que le champagne ne manquait pas dans les caves familiales ?! Soyez un peu patients toutefois, il semblerait que son fils qui reprendra le domaine dans deux ans ait bien l’ambition d’en réaliser !
Ceci n’empêche pas le domaine d’inaugurer en proposant une nouvelle cuvée de trousseau d’une grande pureté. Une véritable nouveauté qui s’ancre dans l’histoire d’un château qui a toujours privilégié le pinot noir. En effet, ce cépage jurassien, qui n’était cultivé que sur une dizaine d’ares, s’étend aujourd’hui sur un hectare et demi de sol calcaire et de marnes légères pour offrir une production des plus confidentielle (1 000 cols annuels).
Du côté des vins jaunes, Alain de Laguiche s’est aussi amusé en pensant Protéodie. Ce mot barbare qui signifie « science des fréquences invisibles » incarne l’expérience originale entreprise pour stimuler les levures du voile grâce à une onde sonore. Particulièrement efficace pour lutter contre l’esca dans les vignes, ce système a été instauré dans sa cave en 2011 sur une partie de sa production. Résultat ? Le voile s’est développé plus rapidement et harmonieusement que d’habitude, enfantant un vin plus puissant, plus fort en saveur d’éthanal, doté de 0,5% d’alcool supplémentaire, d’une acidité et d’une minéralité plus prononcées. Ne vous précipitez pas pour le goûter, Alain de Laguiche recommande une dégustation après vingt ans de garde !
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Côtes-du-Jura Corail du château d’Arlay (rouge)
Issue des cinq cépages rouges (pinot noir, trousseau, poulsard, chardonnay, savagnin), cette cuvée est élevée durant deux ans en fûts. Elle se distingue par ses arômes de fruits rouges bien mûrs et ses notes d’épices douces. La bouche se montre délicate, svelte, fraîche et ample.
Côtes-du-Jura rouge du Château d’Arlay
Comme de nombreuses cuvées du château d’Arlay, ce côtes-du-jura a connu un élevage très long de 5 ans dans des fûts de plusieurs vins. C’est un vin délicat, fruité et intense, à découvrir absolument.
Côtes-du-Jura Vin de Paille du Château d’Arlay
Un superbe vin de paille, aux arômes de noix, qui rendra votre dessert inoubliable. A moins que vous ne choisissiez de le déguster que pour lui-même…
Côtes-du-Jura Vin Jaune du Château d’Arlay
Elaboré seulement dans les grandes années, le vin jaune peut se prévaloir d’une incroyable capacité de vieillissement : jusqu’à cent ans pour les vins du Château d’Arlay ! Ce vin, qui doit être ouvert une bonne demi-journée avant d’être dégusté, se boit chambré, autour de 17°. Il est élevé durant 7 ans en fût, sans ouillage, ni soutirage ni sulfitage, sous voile de levures indigènes. Son bouquet est extraordinairement complexe et intense, avec des flaveurs de fruits à coques (noix, noisettes), de fruits confis et fruits secs, de morilles, de truffes, de curry, de moka et ses notes empyreumatiques. Contrairement aux idées reçues, il peut s’associer à de nombreux mets : à base de champignons, les volailles en sauce, les sushis, les plats asiatiques et épicés, le vieux comté…
Château d’Arlay, ce qu’en disent les guides
La Revue du vin de France
Dans les derniers millésimes, cette vénérable propriété historique du Jura n’a pas démérité mais une nouvelle génération de vinificateurs nous montre ailleurs qu’on peut encore donner plus de pureté, de précision et, disons-le sans honte, d’intelligente modernité au vin local, et donc une expression encore plus haute du terroir ! Cela ne concerne pas le vin jaune qui, ici, possède une personnalité tellement inimitable et réussie qu’il serait criminel d’y changer quoi que ce soit.
Les vins : notre coup de cœur cette année va au sublime macvin blanc, d’une intensité et d’une fraîcheur de saveur qui seront pour beaucoup une révélation : comment Alain de Laguiche arrive à ce résultat reste certainement un mystère, mais le vin existe et c’est vraiment du vin et du grand !
Guide Bettane & Desseauve (1*/5)
Propriétaire du plus ancien château viticole de France, un ancien couvent classé monument historique, Alain de Laguiche manie avec réjouissance l’art du récit et des présentations. Un nouveau chef d’exploitation, Philippe Soulard, œuvre depuis le millésime 2012 pour rafraîchir le style des vins, avec en ligne de mire l’agriculture bio sur ces 22 hectares. Si la qualité n’est pas tout à fait homogène, on repère toujours de beaux vins typés et quelques jolies promesses en rouge comme en blanc, dont deux toutes nouvelles cuvées de trousseau et de naturé. En attendant, la réserve de vieux millésimes, proposés à prix sages, contentera toujours les amateurs.