
Parmi les vins les plus connus au monde, nous retrouvons les vins de Bordeaux, mythiques. La région fascine et est influente à travers le monde. Découvrez son histoire riche, ponctuée de crises qu’elle a su surmonter.
Une des plus grandes régions viticoles au monde
Si la région est aujourd’hui moins hégémonique à travers le monde qu’elle l’a été autrefois – elle doit désormais partager la vedette avec d’autres zones viticoles comme la Bourgogne, le Rhône et la Toscane par exemple -, elle reste tout de même primordiale et offre toujours des vins parmi les plus mythiques au monde. Petrus, Cheval Blanc, Lafite-Rothschild, Mouton-Rothschild, Haut-Brion, Latour, Margaux, Yquem : tous ces crus classés font rêver le monde entier.
Une région passionnante à bien des égards, qui a profondément marqué l’histoire du vin et qui continue d’occuper une place majeure dans la production mondiale de vin, et ce, depuis des siècles.
XIIe siècle : le temps de la Guyenne anglaise et de la naissance du claret

C’est à partir du Moyen-Âge que commence à naître le mythe des vins de Bordeaux. Avec l’union d’Aliénor, duchesse d’Aquitaine, et d’Henri Plantagenêt, comte d’Anjou et roi d’Angleterre sous le nom de Henri II, en 1152, les échanges commerciaux entre l’Aquitaine et l’Angleterre s’accroissent : exportation de textiles, d’aliments et de métaux côté anglais, pour importer des vins de Bordeaux. Les Anglais sont particulièrement friands du bordeaux, qu’ils surnomment claret, pour sa légèreté et sa finesse (ce vin provenait de la fermentation d’un mélange de jus de raisin noir et de raisins blancs).
Ces échanges ont ainsi été encouragés et facilités par l’histoire (le mariage) et la géographie (facilité d’accès du port de Bordeaux par l’estuaire de la Gironde). La hausse de ces échanges entraine naturellement un essor important du vignoble Bordelais, suivant la croissance de la ville au Nord-ouest et au Sud-ouest, puis au XIIIème siècle vers l’Entre-deux-Mers, le Médoc et le Libournais. Cet essor du vignoble et ces échanges florissants avec l’Angleterre durent jusqu’à la reconquête de l’Aquitaine par les armées françaises en 1453 (lors de la Bataille de Castillon mettant fin à la guerre de Cent Ans). Cette dernière porte un coup d’arrêt au commerce vers l’Angleterre, surtout lorsque Charles VII fait de Bordeaux une ville royale et interdit le commerce du vin bordelais avec l’Angleterre, jugeant la ville trop anglophile.

XVIIe – XVIIIe siècles : la naissance du new french claret
Au XVIIe siècle, une nouvelle ère de prospérité débute pour le Bordelais, grâce aux Hollandais, aux Hanséates et aux Bretons. Elle s’explique par la présence d’ingénieurs Hollandais en Aquitaine, venus à la demande d’Henri IV pour drainer les zones marécageuses et ainsi accroître les zones agricoles.
Ces nouveaux débouchés commerciaux influencent la nature même des vins produits à Bordeaux puisque les Hollandais encouragent la production de vin blanc doux et de vins rouges plus foncés et puissants qu’autrefois, plus à leur goût. C’est notamment à cette époque qu’Arnaud III de Pontac expérimente une nouvelle manière de produire et commercialiser le vin rouge sur son domaine de Haut-Brion (Pessac), préférant la viticulture sur sols pauvre et graveleux qui donne des vins plus corsés, plus colorés et plus aptes au vieillissement – alors que jusque-là, les clarets étaient plutôt produits sur des sols argileux. La famille de Pontac est également la première à commercialiser son vin sous le nom de son cru, Haut-Brion, notamment en Angleterre. Une pratique qui sera peu à peu imitée par les autres propriétés et négociants Bordelais, constatant le succès de cette technique et l’augmentation du prix des vins de Haut-Brion.

Ce « New French Claret », très apprécié en Angleterre relance une ère de prospérité pour les vins de Bordeaux à partir du XVIIIe siècle. Le vignoble s’étend encore, notamment dans le Médoc, le Sauternais et le Blayais. C’est par exemple à cette époque que sont créés les domaines du Médoc.
La réputation des vins de Bordeaux commence également à atteindre Paris et Versailles. La mise en bouteille à la propriété se développe dans les meilleures propriétés. C’est également à cette période que des négociants anglais, irlandais, flamands et allemands commencent à s’installer à Bordeaux et à acquérir des propriétés. Enfin, les exportations de vins de Bordeaux sont également stimulées par le commerce avec les colonies.

XIXe siècle : crises et prospérité
Au XIXe siècle se poursuit la floraison de belles demeures à travers tout le vignoble, les châteaux. Le commerce des vins de Bordeaux vers Paris et les exportations continuent de se développer. A partir du milieu du XIXe siècle, les vins de Saint-Emilion et de Pomerol commencent eux aussi à se tailler une solide réputation et à se positionner parmi les meilleurs vins de Bordeaux. A cette époque, Napoléon III commande à l’occasion de l’exposition universelle de Paris de 1855 le fameux classement 1855, recensant les crus les plus réputés de la rive gauche (en réalité, les plus chers).
Mais c’est également à partir de là que le vignoble bordelais est touché de plein fouet par trois graves crises successives. Cela commence par la crise de l’oïdium en 1855. Cette maladie, causée par un champignon microscopique – qui se matérialise par le dépôt d’une poussière blanche qui attaque toutes les parties de la plante, recroqueville les feuilles et finit par faire éclater les baies – est finalement enrayée par le soufre.

A partir de 1875, c’est au tour de la terrible crise du phylloxéra de toucher le vignoble de Bordeaux. Une crise apportée par des plants de vigne américains contaminés par un insecte appelé le phylloxéra qui décime tout le vignoble français. Comme le reste du vignoble français, Bordeaux fût sauvé par la technique de la greffe des plans français sur des porte-greffes américains, résistants à l’insecte. Enfin, une troisième crise frappe la région à partir de 1878 : le mildiou, finalement maîtrisé grâce à la découverte de la fameuse bouillie bordelaise (mélange de sulfate de cuivre et de chaux).
XXe siècle : la nécessaire réglementation et l’apparition des primeurs
A l’aube du XXe siècle, les vins de Bordeaux sont confrontés à la multiplication des fraudes et la baisse des prix. Pour lutter contre cette menace, les propriétaires et les négociants participent à l’élaboration d’une législation nationale visant à promouvoir l’origine des vins en délimitant des aires d’appellation. La carte du vignoble bordelais change : c’est à ce moment-là que les autres départements que la Gironde sont exclus de la production des vins de Bordeaux. Cette délimitation sera reprise plus tard, en 1936, lors de la création de l’INAO (Institut National des appellations d’Origine) et de la création des premières AOC. En 1948, l’État crée le Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux (le CIVB), chargé de promouvoir, encadrer et aider la viticulture bordelaise.
De nouveaux classements seront ensuite créés, comme celui des Graves (1959) et de Saint-Emilion (1955). Les vins de Bordeaux accroissent leur renommée mondiale qui devient peu à peu hégémonique.
Le XXe siècle est également le siècle qui a vu l’apparition des primeurs dans les années 1970/80. Commercialiser du vin avant sa disponibilité sur le marché est apparu au XVIIe siècle lorsque les maisons de négoces se rendaient dans les châteaux pour estimer et acheter la récolte sur pied. C’est cependant grâce au baron Philippe de Rothschild qui décide en 1982 d’organiser une dégustation de ses vins pendant leur élevage. Cette dégustation rencontrera un grand succès, et tous les autres châteaux suivront le pas, cette tradition dure aujourd’hui depuis plus de 40 ans.
Début du XXIe siècle : l’ère Parker, la crise du Bordeaux bashing et un renouveau en marche
La renommée des vins de Bordeaux n’a fait que croître à travers le monde, au point de devenir LA référence des grands vins. Certains critiques professionnels ont grandement contribué à cela, à commencer par Robert Parker. Célèbre critique américain, Robert Parker a en effet grandement influencé le monde des vins et même jusque dans le style des vins, notamment à Bordeaux. Cet ancien avocat qui publiait ses commentaires de dégustation dans son célèbre Wine Advocate entre 1978 et 2012, délivrait des notes sur 100 qui étaient extrêmement attendues et suivies et pouvaient bouleverser le destin d’une propriété. L’obtention de la note maximale de 100/100 Parker était en effet la garantie de pouvoir vendre sa production, à un prix élevé, notamment aux Etats-Unis et en Asie.

La force des plus grandes marques bordelaises a été de pouvoir toucher et faire rêver le monde entier (et elle continue de l’être aujourd’hui). Cela n’a pas empêché le Bordelais de traverser, depuis quelques années, une crise qui ne peut être ignorée. On parle de « Bordeaux bashing » : une tendance qui touche essentiellement certains jeunes, les cartes de certains restaurants ou bars à vin parisiens tendances …, car les bordeaux seraient jugés « vieillots », chers, arrogants, trop en retard sur le bio, la biodynamie et souvent standardisés et uniformisés par l’ère Parker (qui appréciait particulièrement les vins boisés, très extraits et mûrs).
Mais il faut tout de même relativiser cette « crise », qui est loin d’être généralisée et ne concerne qu’une petite partie des amateurs de vin. Surtout, ce phénomène a poussé les vignerons de la région à réagir et évoluer rapidement. Désormais, la région s’engage massivement dans la viticulture bio, parfois même biodynamique, voire dans les vins nature (Château Le Puy, Les Closeries des Moussis, Clos du Jaugueyron, Clos Puy Arnaud, Maison Blanche…). Tandis que d’autres domaines sortent des appellations et proposent des vins avec une identité propre, citons alors le château du Tertre qui a planté des vignes de chardonnay, de viognier, de gros maseng, ou encore le château Cazebonne qui souhaite remettre en avant tous les cépages bordelais, dont certains sont oubliés : Saint-Macaire, Braucol, Carmenère, Castets, Jurançon noir, Sauvignon gris et bien d’autres cépages sont plantés sur la propriété. Certains vins sont plus souples, fruités et buvables que par le passé pour coller aux évolutions des goûts des amateurs, sans perdre pour autant ce qui a fait leur succès et leur identité.
Le vignoble bordelais, au cœur du monde viticole
Grâce à la variété des vins proposés, leur qualité, leurs techniques et leur histoire, le vignoble bordelais est l’une des régions viticoles les plus importantes et influentes au monde. Bordeaux est l’un des cœurs du monde viticole, car en plus des exploitations viticoles, on y retrouve notamment le CIVB, la Cité du vin, plusieurs confréries comme la Commanderie du Bontemps, ainsi que de nombreux enseignants chercheurs, œnologues réputés… C’est donc un lieu où les avancées technologiques et le savoir autour d’un produit – le vin – sont particulièrement développés et continuent d’enrichir la connaissance et la culture viticole française et mondiale. Nous ne pouvons connaitre l’avenir de Bordeaux, mais nous pouvons cependant être sûrs que cette région viticole continuera d’avoir une place primordiale dans l’histoire du vin et le cœur des amateurs.
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