Le champagne est un vin, certes, mais un vin très particulier. Comme tous les vins il est issu d’un jus de raisin fermenté, mais à partir de là, toute son élaboration suit un processus bien spécifique, avec des manipulations parfois mystérieuses, sous des noms qui ne le sont pas moins. Entrons dans les coulisses du champagne…
Les vins clairs
Pour produire du champagne, il faut commencer par produire du vin qui sera presqu’exclusivement du vin blanc. Mais première singularité : une bonne partie de ce vin blanc provient de raisins… rouges ! En effet l’énorme majorité des champagnes est produite à partir de trois cépages : le chardonnay, le pinot noir et le pinot meunier, ces deux derniers étant des cépages rouges qui représentent environ les ¾ des raisins produits en Champagne. Pour obtenir un jus blanc, même à partir de raisins rouges, il y a plusieurs règles à respecter lors du pressurage qui se fait encore, chez les meilleurs producteurs, à l’aide d’un pressoir en bois vertical contenant la plupart du temps 4000 kilos de raisin (parfois 2000). Ces règles stipulent que le pressurage doit être fait aussitôt après la cueillette, par grappes entières, de façon douce et progressive, avec un faible rendement d’extraction et un fractionnement des jus à la sortie du pressoir, c’est à dire que l’on sépare les jus des premières pressées qu’on appelle localement la “cuvée”, des jus obtenus en fin de pressurage, qu’on appelle la “taille”, taille (plus colorée lorsqu’elle est issue de raisins noirs) qui est parfois incorporée ensuite en petite partie ou pas aux premières presses. Dans cette seconde hypothèse la taille peut servir à élaborer du ratafia (un vin additionné d’alcool) ou elle part à la distillerie.
Ce vin suit ensuite un processus classique de vin blanc avec des fermentations alcooliques menées en cuves bois ou non, puis élevé en inox ou en barrique. Un vin qui fait ensuite ou pas sa fermentation malolactique (qui fait mécaniquement baisser l’acidité). Pour la bloquer il faut malheureusement forcément sulfiter assez généreusement les moûts… Ce vin blanc, appelé “vin clair”, est ainsi élevé au minimum 5 ou 6 mois mais parfois jusqu’au mois de juillet avant d’être transformé en champagne.
Les vins de réserve
Pour transformer le vin clair en champagne, on procède au “tirage” (c’est à dire à la mise en bouteille avant de provoquer une nouvelle fermentation qui apportera les fameuses bulles). Réglementairement, cette seconde phase ne peut commencer avant le premier janvier suivant la récolte. Concrètement, la plupart des champagnes d’un certain niveau ne sont jamais tirés avant le printemps, les meilleurs producteurs attendant parfois le mois de juillet. On peut faire, pour être simples, deux types de champagne : des champagnes millésimés (donc issus d’une même année et qui ne peuvent être commercialisés au minimum que trois ans après leur tirage) ou, ce qui représente la grosse majorité de la production, des vins non millésimés (commercialisables 15 mois après leur tirage). Pour être concret, un champagne non millésimé construit sur une base de 2015 ne pourra pas sortir avant juin 2017, et un millésimé 2015 avant août ou septembre 2018. Il s’agit là d’un minimum réglementaire, les meilleurs producteurs prolongent parfois longuement cette période d’élevage avant commercialisation.
La grande majorité des champagnes, donc les non millésimés, sont par conséquent des vins d’assemblage, une pratique qui est l’image même de cette appellation. Assemblage de différents types de vins pour commencer, des vins provenant de cépages différents et/ou de lieux-dits différents, tout étant possible. Cet art de l’assemblage est la noblesse même du métier de chef de cave en Champagne, dont les meilleurs sont les véritables “vedettes” dans les grandes maisons prestigieuses.
Mais qui dit assemblage dit aussi assemblage entre vins de plusieurs millésimes. On assemble donc le dernier millésime produit avec des vins de millésimes plus anciens appelés “vins de réserve”. Parfois il s’agit d’un assemblage de deux millésimes consécutifs (par exemple 80% de 2012 avec 20% de 2011), mais selon la taille (et donc les stocks) de certains producteurs, ces assemblages peuvent être bien plus complexes : on peut ainsi trouver des champagnes avec 70% d’un millésime, 15% du millésime précédent puis 5% des trois millésimes encore plus anciens. Certaines maisons conservent même leurs vins de réserve sous forme de solera, une “réserve perpétuelle” dans laquelle le vigneron ou la maison ajoute chaque année un peu plus de vin.
Les vins de réserve sont donc si l’on veut “d’anciens vins clairs” qui sont stockés dans des cuves ou qui vieillissent plus longuement en fûts. Quand ils sont assemblés au nouveau champagne ils lui offrent souvent de beaux arômes évolués (noix) qui complexifient agréablement la nouvelle cuvée. Certaines maisons (plus rarement certains vignerons, Egly-Ouriet en étant le plus connu) possèdent parfois des stocks impressionnants de vins de réserve, jouant sur de nombreux millésimes, des cépages différents et des caractères de terroirs bien marqués. Cette palette, par sa richesse permet au chef de cave de jouer sur toutes les nuances afin de produire chaque année, soit un vin très régulier (comme le souhaitent les grandes marques) soit de personnaliser d’une façon ou d’une autre la cuvée de l’année (comme le fait Jacquesson avec ses cuvées numérotées commençant par le chiffre 7).
Les bulles
Après cet assemblage plus ou moins complexe (ou, dans le cas d’un futur champagne millésimé, issu d’une seule récolte, mais on peut quand même dans ce cas assembler ou pas des terroirs ou des cépages différents), il va falloir transformer ce vin en champagne. Pour cela on va le mettre en bouteille, opération appelée ici le “tirage”, en ajoutant au vin clair une liqueur de tirage et des levures, ceci afin de provoquer une seconde fermentation en bouteille, celle qui va apporter ces fameuses bulles au champagne. Notons au passage que cet ajout de sucre avec la liqueur de tirage va provoquer de facto une petite chaptalisation. Les vins clairs des meilleurs producteurs titrent en général de 10,5° à 12° selon les années. Dans le cas des années les plus faibles ils peuvent être légèrement chaptalisés au cours de la première fermentation afin de les amener à 11°ou 11,5°. La seconde fermentation va augmenter mécaniquement le degré alcoolique de 1 à 1,2°. Or vous constaterez facilement que le produit fini que vous consommez titre le plus souvent 12° (voire 12,5°). C’est pour ces raisons que les meilleurs vignerons champenois ne recherchent jamais une concentration forte de leurs raisins en alcool, sinon cela risquerait de déséquilibrer le vin final après sa seconde fermentation. C’est pour cela aussi que les rendements sont toujours assez généreux, même chez les meilleurs producteurs, toujours dans cette optique de préserver sa légèreté et sa buvabilité au champagne dans les verres.
Après le tirage, les bouteilles sont ensuite bouchées (la plupart du temps avec une capsule de type “bouteille de bière”, ou pour certaines cuvées haut de gamme à l’aide d’un bouchon en liège), puis elles sont élevées longuement “sur lattes”. Un élevage qui doit avoir une durée minimum (15 mois pour un non millésime et 36 mois pour un millésimé), mais qui peut se prolonger bien plus longtemps, parfois plus de dix ans. À la fin de cet élevage, le champagne est alors “dégorgé” (on enlève le dépôt laissé par la seconde fermentation) avant d’être bouché avec son bouchon définitif et commercialisé après (ou pas) une certaine attente car les vins dégorgés très récemment sont parfois un peu sévères durant quelques mois, c’est pour cela que les amateurs de champagne aiment se renseigner sur la date de dégorgement de leurs cuvées préférées, date qui est – de plus en plus souvent – mentionnée sur la contre-étiquette des meilleures bouteilles. Au moment du dégorgement on ajoute ou pas une liqueur dite “d’expédition”, une opération appelée “dosage”. Il y a très longtemps la mode était aux champagnes très dosés, parfois demi-secs, alors qu’aujourd’hui on préfère les champagnes peu dosés (moins de 12 g de sucre pour les bruts, voire moins de 6 g pour les extra-bruts) et même pas dosés du tout pour les champagnes élaborés avec des raisins bien mûrs dont l’acidité modérée permet cette absence de dosage.
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