Le rosé a le vent en poupe. Sa consommation mondiale a augmenté de 20% depuis 2002 (source : Terre de Vins) et c’est la couleur de vin qui résiste le mieux à la crise parmi tous les vins tranquilles. La France a un positionnement particulier lorsque l’on parle de vins rosés : elle en est le premier producteur, le premier consommateur, le premier exportateur en valeur et le premier importateur en volume. Derrière la production, plusieurs réalités : les rosés de vignerons et les rosés de maisons. La Provence est un bon exemple à analyser pour saisir les différences entre ces deux types de producteurs, longeons donc la mer Méditerranée.
La Provence, le rosé de terroir des vignerons
Si la Provence est sous le feu des projecteurs et dans les têtes des grands investisseurs et grands groupes, les petits vignerons, eux, ont décidé de retourner la tendance et de s’en saisir pour mettre en avant les rosés de terroir. On parle alors de rosé de terroir, de gastronomie, de table, de vigneron. Il est loin le vin que l’on noie dans les glaçons à côté de la piscine l’été…!
Voici comment Étienne Portalis (château Pradeaux) à Bandol définit un rosé de terroir : « À la différence d’un rosé de masse, qui fait appel à une technicité de cave, pour les rosés de terroir, 90 % du travail est fait dans les vignes« . Ainsi, pour la production de ces vins, on retrouve les méthodes de travail que l’on connait sur d’autres appellations très prestigieuses et appréciées pour leurs vins très qualitatifs et de terroir : petits rendements, levures indigènes à l’origine des fermentations, sélection des raisins… « À la différence des vins rouges où je favorise des baies plus petites donc plus de peaux pour concentrer les tanins, pour le rosé, je recherche la pulpe du fruit et des pellicules très fines« , précise Jean-François Ott, qui a par ailleurs toujours gardé l’identité de chacun de ses trois domaines : le Château de Selle, le Clos Mireille et le Château Romassan.
En plus du travail des vignerons, la reconnaissance par l’INAO d’une hiérarchisation des appellations est nécessaire, et le Conseil interprofessionnel des vins de Provence (CIVP) y œuvre. Le premier salon du vin de Provence a ainsi ouvert ses portes en 2023, regroupant les trois appellations d’origine contrôlée de la région : le Côtes de Provence, le Coteaux d’Aix-en-Provence et le Coteaux Varois. Preuve de leur identité : on reconnait par exemple un côtes-de-provence Sainte-Victoire à sa fraîcheur, sa vivacité et son aromatique ou encore un rosé de Fréjus à sa rondeur. Le vigneron aussi apporte sa patte, rendant chaque cuvée unique.
Ces vins recherchés sont même des niches, des vins ultra identitaires, qui ne se font pas concurrence tant ils sont singuliers. Quel point commun entre un vin des domaines suivants ? :
- Domaine Hauvette
- Clos Cibonne
- Domaine de Terrebrune
- Domaine de la Bégude
- Château Pradeaux
- Château Simone
- Domaine Tempier
- Château de Pibarnon
- Domaine Les Terres Promises
- Domaines Ott
La Provence, El Dorado rose des grands groupes et des stars
Cela ne date pas d’hier. Déjà en 1998, un certain Jean-Louis Croquet qui avait fait fortune dans les sondages avec TNS Sofres, investissait dans le Château Thuerry, 400 hectares de vignes dans le Var pour faire du rosé. Ces néo-vignerons sont de plus en plus nombreux à s’installer dans la région avec deux optiques différentes : une démarche patrimoniale rapidement rentable, ou un amour passionné pour le produit, les rosés de Provence étant les plus réputés au monde. Isabelle Maligne de Vinea Transaction affirme ainsi qu’un bon tiers des domaines provençaux ont changé de main en 20 ans, là où M. Dakin de l’agence Wine Objectives parle d’« un tiers des surfaces ». Bonne ou mauvaise nouvelle ? Si cela fait monter le prix du foncier, cela fait également parler de l’appellation et tire la qualité des vins vers le haut.
Qui sont-ils ? Grands patrons, grands groupes de luxe, stars de cinéma, de musique, de sport…
- La maison Chanel : achat d’un domaine sur l’île de Porquerolles en 2021
- LVMH : achat des château d’Esclans en 2019 et château du Galoupet en 2020
- L’horloger de luxe Richard Mille : achat du château Rêva en 2019
- Eric Bompard : achat du domaine de la Bergerie d’Aquino en 2014
- Yan Pineau (Itancia – Télécoms) : achat du château de l’Escarelle en 2011
- Mark Dixon (homme d’affaire britannique) : achat du château de Berne en 2007
- Michel Reybier (Cochonou, Aoste et Justin Bridou) et Tony Parker : achat du château de La Mascaronne en 2020
- William Chase (Tyrells Crisps) : achat du domaine de la Brillane en 2017
- Stéphane Courbit, les Sarkozy et la famille Prats : achat du mas d’Estoublon en 2020 et du domaine de Cantarelle en 2023
- Pernod-Ricard : prise de participation majoritaire dans le château Sainte-Marguerite en 2022
- George Clooney : achat du domaine de Canadel en 2021
- George Lucas : achat du Chateau Margüi en 2017
- Brad Pitt et Angelina Jolie : achat du Chateau de Miraval en 2011
- Kylie Minogue : achat du Château Sainte Roseline en 2022
- John Malkovich : achat du domaine Les Quelles de la Coste en 2019
- Et bien d’autres…
Mais aussi des professionnels du vin : Castel, Chapoutier, Mora, Magrez, Béjot, Aegerter, Bruno Paillard…
Qu’est ce qui les attire dans la belle région ? Plusieurs raisons à cela…Le prix à l’hectare est plus attractif que celui du Bordelais par exemple (moins de 100 000 euros pour les plus grands terroirs contre plus d’un million dans les grands crus médocains), le charme de la Côte d’Azur et son climat doux, le ROI rapide de l’or rose (souvent vendu et bu dans l’année, même si cette règle tend à changer dans l’esprit des consommateurs et des producteurs), le marketing qui joue beaucoup dans la vente de ces vins… Suite à la pandémie, le vignoble varois ne dépérie pas, au contraire. La région affiche la meilleure progression française à l’export en 2020 – le marché nord-américain importe par exemple une bouteille de rosé sur deux produite en France -, une montée en gamme des vins. Notons également que l’investissement dans la vigne permet de recycler les gains de la cession d’une entreprise pour les défiscaliser. Pour les stars d’Hollywood, nous pensons également à la proximité de Saint-Tropez, de Monaco, de Cannes et de son festival… Elles n’en sont pas moins (comme dans le cas de Miraval) conseillées par des figures de proue (la famille Perrin, en l’occurence)
Si ces différences entre rosé de vignerons et rosé de maisons/de masse sont très nettes en Provence, l’on pourrait les explorer dans d’autres régions de France, à commencer par la Champagne avec les champagnes rosés. Olivier Horiot se présente par exemple comme un fer de lance des champagnes de vignerons là où les champagnes-rosés des grands groupes (LVMH et autres) représentent davantage la seconde tendance.
