Au cœur de la période festive de la fin de l’année, la question se pose : allons-nous convier à notre table un sauternes, un grand vin liquoreux ? Et au-delà, faut-il acheter, et conserver ces vins dans une perspective patrimoniale ? Quelques éléments de réponse avec Angélique de Lencquesaing, récemment interviewée sur BFM Business dans l’émission « Tout pour investir », par Antoine Larigaudrie.
A.L. : Une première question : pourquoi certains vins sont-ils sucrés ?
Surtout pas par l’adjonction de sucre, ou chaptalisation, celle-ci étant strictement encadrée, et réservée aux vignobles septentrionaux, ou à certaines conditions spécifiques – le millésime 2021 en Gironde, par exemple -.
Les grands liquoreux contiennent du sucre, certes, mais il s’agit de celui qui provient des raisins.
Lors du processus de fermentation, le sucre contenu dans les baies se transforme en alcool, sous l’action des levures. La teneur en sucre résiduel résulte d’une transformation qui n’a pas été complètement effectuée. Notamment lorsque, à l’origine, la teneur en sucre du raisin était importante, lors de millésimes particulièrement solaires, lorsque les maturités du raisin ont été poussées à l’extrême avant la vendange, ou lorsque les grains sont atteints de la fameuse « pourriture noble ».
Où produit-on des vins doux en France, à Sauternes, bien sûr, mais pas seulement ?
En France, déjà, on en produit dans de nombreuses régions : la plus renommée est sans doute Sauternes, dans le Bordelais, et son voisin Barsac.
Très réputée également, l’Alsace avec ses extraordinaires vendanges tardives et sélections de grains nobles. Certaines appellations sont dédiées aux vins moelleux ou liquoreux, notamment dans la vallée de la Loire (l’AOC Quarts de Chaume, par exemple). De merveilleux vins liquoreux sont produits dans le Sud-Ouest (Jurançon, Monbazillac), dans le sud de la vallée du Rhône (Beaume de Venise), en Corse (Muscat du Cap Corse)… Les vignobles sont nombreux à produire ces vins extraordinaires !
Vous avez évoqué la pourriture noble, nécessaire à la production de vins de Sauternes. Ces vins sont réputés difficiles à produire…
Oui, car ce type de liquoreux est soumis aux caprices du climat. Son existence est en effet conditionnée à l’apparition du champignon nommé botrytis cinerea, à l’origine de la pourriture « noble » qui se développe sur les baies. Certaines années, les conditions climatiques ne permettent pas son apparition. Ou alors, la qualité de la récolte n’est pas jugée suffisante. C’est ainsi que les grandes propriétés de Sauternes et de Barsac doivent, certaines années, renoncer à produire leur vin liquoreux.
Ce fût le cas du Château d’Yquem à plusieurs occasions au cours du XXème siècle, notamment en 2012. Les conditions n’étaient tout simplement pas réunies pour atteindre le niveau de qualité attendu d’un tel vin. Le risque est donc immense pour le vigneron. Précisons que le botrytis permet la production de liquoreux dans d’autres régions, la Loire ou L’Alsace notamment.
En Alsace, on produit des liquoreux très particuliers…
L’Alsace peut se prévaloir d’identité régionale forte, qui s’exprime au travers de son terroir aux multiples composantes, mais aussi aux cépages, bien sûr, riesling, pinot gris, gewurztraminer. Enfin, la variété des vins que l’on y produit est fascinante. S’agissant des vins doux, je pense aux vendanges tardives et aux sélections de grains nobles, des vins magiques, d’une densité exceptionnelle car issus de raisins récoltés à maturité avancée et d’une vendange haute couture, grain par grain. J’ajoute que ces vins disposent d’une remarquable capacité de garde.
Ces vins, semble-t-il, peinent à trouver leur marché, pourquoi ?
La désaffection pour le sucre, le goût sucré est un phénomène qui est allé croissant depuis des décennies. Le sucre est l’un des ennemis numéro un des programmes de santé. Une situation paradoxale quand on observe parallèlement le succès de certains pâtissiers stars…
Le sauternes a longtemps, par erreur, été assimilé à un vin de dessert, ou réservé au foie gras. Pourtant, les possibilités d’accords sont infiniment plus vastes, et plus intéressantes. Entre la volaille, les poissons nobles, la gastronomie exotique, les fromages bleus, de fantastiques associations peuvent naître de ces vins.
Sur le marché secondaire des enchères, les liquoreux, toutes régions confondues, représentent 4% des volumes adjugés l’an dernier. Une part infime, et qui demeure stable.
C’est un vin assez cher, notamment le Château d’Yquem ?
Le sauternes, comme nombre de liquoreux est, on l’a vu, d’un vin particulièrement délicat à produire, aléatoire, soumis aux caprices du climat. Par ailleurs, sa récolte qui s’effectue en différents passages dans les rangs de vignes pour vendanger, grain à grain, ceux qui sont atteints du botrytis, nécessite des moyens importants. Son prix de vente n’est pas en rapport avec le travail qu’il nécessite, dans la plupart des propriétés. Le cas d’Yquem est à part. Cette propriété historique dispose d’une aura exceptionnelle, ce vin est une légende. D’autres propriétés méritent l’intérêt, à l’instar des Châteaux de Fargue, Climens, Doisy Daëne, Gilette… des vins éternels.
Le sauternes, comme celui du Château d’Yquem, peut-il donc être considéré un vin de placement ?
Tout dépend de votre horizon de placement. Si vous souhaitez conserver quelques années seulement votre cave, avant de revendre certaines bouteilles pour la valoriser, les vins liquoreux ne seront pas vos alliés. Car ces vins qui se conservent admirablement – grâce au sucre – vont vieillir doucement, et leur valeur s’apprécier sur le temps long. Sur iDealwine, un château-d’yquem 1945 s’est vendu 1 289€ ces derniers mois. On parle bien du millésime 1945… L’important est de bien maîtriser son prix d’achat, car la durée de vieillissement va se compter en décennies.
On peut donc acheter des vins de Sauternes, ou d’autres liquoreux, à des prix relativement doux, si on est prêt à les attendre ?
Oui, tout à fait, de merveilleux sauternes sont accessibles à partir d’une trentaine d’euros. En Alsace, malgré une production sont plus rare, les vendanges tardives restent abordables elles aussi. Et que dire des liquoreux d’Anjou (Huet, Belargus) ou du Sud-Ouest (Dagueneau, Camin Larredya, Clos Joliette) ? De merveilleux producteurs méritent l’intérêt des amateurs. D’autant que ces vins sont éternels. On peut aussi rechercher un autre type de liquoreux, le vin de paille, dont les raisins ont été séchés préalablement à la vinification, pour extraire un jus encore plus concentré ; On en trouve dans différentes régions du sud (dans le Roussillon, au Clos des Fées, dans le Jura ou la vallée du Rhône…).
Vous parlez de la France, l’Hexagone a-t-il le monopole de ces vins doux ?
Non, pas du tout. On en produit aussi dans les autres vignobles, bien sûr. Plusieurs sont mondialement réputés, j’en citerai trois. Le premier est le vin de Tokaj, en Hongrie. C’est d’ailleurs un flacon issu de ce vignoble qui a atteint le prix le plus élevé pour un liquoreux vendu aux enchères sur iDealwine l’année dernière : millésimé 1889, il a été adjugé 1 474€. Le deuxième est un vin historique, Klein Constantia, produit au Cap, en Afrique du Sud. Un vin apprécié de Napoléon… et enfin, une particularité de certains vignobles septentrionaux : le vin de glace, ou Eiswein, produit à partir de raisins récoltés tardivement, qui ont connu le gel, ce dernier favorisant la concentration des baies. Un eiswein allemand du vigneron Egon Muller a été vendu 1 228€ sur iDealwine, dans le millésime 1995.
Comme toujours, l’important est de rechercher la plus haute qualité, et aussi la rareté de certaines productions. A terme, ces vins ambrés magnifiques feront toujours rêver les amateurs éclairés.
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