Angélique de Lencquesaing répondait il y a quelques jours aux questions de Cédric Decoeur, dans l’émission BFM Patrimoine. Elle y évoquait les vignobles septentrionaux. Dans un contexte de dérèglement climatique, ces vins offrent d’intéressantes voies de diversification pour les collectionneurs de vin.
Cédric Decoeur : Canicule oblige, nous sommes tous à la recherche d’oasis de fraîcheur, y compris en matière de vin. Et si nous partions faire un tour du côté des vignobles septentrionaux ? Nous allons voir avec vous, Angélique de Lencquesaing, si ces vins revêtent une dimension patrimoniale.
A. de L : Les dérèglements climatiques auxquels la vigne est soumise amènent effectivement les amateurs à réorienter leur choix, non seulement en matière de couleur de vin recherchée – selon un sondage effectué par iDealwine auprès des amateurs, près de la moitié d’entre eux envisage d’accroître sa consommation de blanc dans les années à venir – mais aussi en matière de choix de région.
De quels vignobles parle-t-on, d’ailleurs ?
Si l’on se tire un trait horizontal passant au-dessus d’Orléans, il n’y aura pas grand-chose à explorer à l’Ouest, hormis quelques expériences de vignes en Bretagne, en Normandie même, ou en Île de France… Intéressant certes, mais dans une perspective patrimoniale, il vaut mieux tourner son regard vers l’Est. Nous allons trouver plusieurs vignobles passionnants, à commencer par la Champagne et Chablis, dont les vignes mordent un peu sur cette ligne.
La Champagne – on l’a déjà évoqué sur ce plateau – est une région passionnante sur le plan patrimonial. Chablis est aussi connu de longue date, c’est donc un vignoble à considérer dans une optique d’investissement ?
Chablis est en effet l’un des vignobles, et une marque aussi, parmi les plus renommés au monde. Un vignoble de taille significative (près de 6000 ha) qui fournit 19% de la production de vin de Bourgogne. Les grands crus de Chablis ne couvrent que 1% de la surface du vignoble, et un climat se distingue, Les Clos. Parmi les quelque 365 producteurs qui exploitent cette AOC, c’est assez surprenant, mais deux vignerons sortent vraiment de l’épure, en matière de cote sur le marché des enchères. Raveneau et Dauvissat. S’agissant des vins du domaine Raveneau, en 10 ans, la cote aux enchères de son premier cru « Clos » a été multipliée par près de 8 pour le millésime 2010, qui dépasse le seuil des 1800€. Les grands crus du domaine Dauvissat sont aussi très recherchés, et en hausse (551€ pour Les Clos 2020).
A de tels niveaux de prix… ces vins conservent-ils une marge de progression ?
Les millésimes récents sont déjà au plus haut, la valorisation risque de s’inscrire dans une perspective de plus long terme. Il convient de s’intéresser à des domaines plus éloignés des radars, et pour autant passionnants. Droin, William Fèvre, Long Depaquit, Louis Michel, en encore le Château de Béru et Pattes Loup… Une alternative intéressante consiste à rechercher, dans le vignoble voisin d’Irancy, les pinots noirs produits par … Le domaine Dauvissat précisément, mais aussi Pattes-Loup (le Pinot Black), Goisot ou Colinot.
Petite parenthèse dans notre quête de blancs frais, en revenant aux vins rouges. Vous évoquez le pinot noir, si recherché en Côtes de Nuits et de Beaune. Ces vignobles plus au nord offrent-ils une belle alternative, à moindre prix ?
Oui, exactement, qu’il s’agisse d’Irancy, des Côtes d’Auxerre, ou en partant plus à l’est, de l’Alsace, les amateurs pointus savent bien que le pinot noir mérite toute l’attention, et peut-être même plus qu’avant. C’est d’ailleurs là un des bienfaits du réchauffement climatique, les raisins parviennent à une plus juste maturité et livrent des vins délicieux.
En Alsace ? C’est avant tout un grand terroir de vins blancs, non ?
Oui, et nous allons y venir ! Mais effectivement, depuis quelques années, les vignerons qui produisaient des pinots noirs de façon confidentielle, ou pour une clientèle experte et extrêmement ciblée, voient eux aussi la demande croître. Le domaine Albert Mann est la référence en la matière, et cultive effectivement du pinot sur des terroirs qui ne sont classé « grand cru » que pour les blancs. D’où les noms « Grand H » (pour Hengst), « Grand P » (pour Pfersigberg)…A rechercher, nous recommandons les pinots des domaines Zusslin, Deiss ou encore Weinbach, dont la cuvée confidentielle « S » est un trésor encore secret…
Ces terroirs ne sont pas si frais, avec le climat continental qui les caractérisent ? Surtout si l’on y ajoute les dérèglements climatiques…
L’altitude est l’un de leurs secrets… les grands crus sont en effet implantés sur des terroirs pentus, parfaitement drainés et bien orientés. Il en résulte des vins passionnants, à l’identité marquée par une histoire viticole qui se compte en siècles ! La variété et la complexité des terroirs (volcaniques, calcaires, sablonneux), la complexité de certains noms, et aussi, il faut le reconnaître, la qualité moindre d’une part significative de la production nécessitent un vrai apprentissage. Les grands vignerons eux-mêmes tendent à exporter l’essentiel de leurs grands vins. Les amateurs pointus ont pourtant percé les mystères de ces très grands vins.
Et pourtant, ils sont plutôt rares aux enchères, ils ne conservent pas ?
Effectivement, les vins d’Alsace ne représentent qu’un peu plus de 1% des volumes échangés, mais ce n’est pas la longévité des vins qui est en cause, au contraire ! Notamment grâce aux fantastiques spécificités locales que représentent les Vendanges Tardives et les Sélections de Grains Nobles. Une demi-bouteille du grand cru Furstentum, une Quintessence de Grains Nobles Cuvée d’Or du domaine Weinbach a été adjugé 347€ dans le millésime 2002 au premier semestre.
Les vins liquoreux sont donc à rechercher ? Ou faut-il privilégier les secs ?
La capacité de garde des liquoreux est immense ! Mais parmi les blancs secs, on trouve également une icône, le riesling Clos Sainte-Hune du domaine Trimbach, grand vin de garde, dont les millésime matures (2001, 2002) s’échangent entre 250 et 280€. L’intérêt de cette région est que son climat continental constitue un berceau idéal pour la conduite d’une viticulture respectueuse de l’environnement (Albert Boxler en fournit un bel exemple), biologique et même biodynamique. Les domaines Deiss, Zind-Humbrecht ou encore Bott-Geyl en offrent une admirable démonstration.
Si l’on passe de l’autre côté de la frontière, les vins allemands sont-ils également éligibles au placement ? Les croisez-vous dans les ventes aux enchères ?
Absolument, d’ailleurs l’Allemagne est connue pour une vente aux enchères fameuse, qui se déroule chaque année à Trèves, probablement la plus grande vente aux enchères de grands rieslings au monde.
Sur iDealwine, ces vins sont plus rares, mais tout aussi passionnants pour les amateurs, à condition de bien se repérer dans la hiérarchie de vins. Il est préférable de se familiariser avec la langue de Goethe pour décrypter les mentions figurant sur l’étiquette… ou de consulter iDealwine dans sa version allemande fraîchement inaugurée !
Les vins sont en effet classés en catégories qui ne dépendent pas, comme en France, de la teneur en sucres résiduels, mais plutôt de la maturité des raisins. On trouve le terme « Kabinett » pour les vins secs ou légèrement doux, peu alcoolisés (attention à la définition d’un vin sec qui n’est pas aussi restrictive qu’en France). « Spätlese » et « Auslese » représentent respectivement l’antichambre des Vendanges Tardives et de la Sélection de Grains Nobles par leur moindre intensité. « Beerenausle » correspond plus aux Vendanges Tardives, et « Trockenbeerenauslese » aux SGN. La catégorie ultime est celle de l’Eiswein, obtenu par pressurage de raisin gelés, ramassé autour de Noël et produits en quantités microscopiques.
Je vous torture en vous demande quelques noms à suivre ?
Parmi les domaines allemands emblématiques pour la production de grands vins blancs, on peut citer Egon Müller dans la Sarre en Moselle, proche de la frontière luxembourgeoise, mais aussi Markus Molitor, Joh. Jos Prum ou encore Dr. Loosen. Willi Schaefer est plus abordable. Une icône des enchères est le domaine Keller, en Hesse Rhénane. Son introuvable cuvée de riesling G Max s’envole aux enchères (1 984€ pour un 2005). Tous ces vins offrent une fraîcheur, une profondeur remarquable… et passionnante !
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