Dans ces périodes chahutées pour le marché du vin, et dans un contexte de baisse de la consommation, est-il encore raisonnable de vouloir considérer le vin comme un placement ou, à tout le moins, un patrimoine ? Il y a quelques jours, la journaliste Lorraine Goumot passait en revue les grandes tendances qui se dessinent au travers de l’analyse menée chaque année par iDealwine, représentée par Angélique de Lencquesaing, co-fondatrice d’iDealwine, dans l’émission Tout pour investir.
Angélique, vous venez de publier le Baromètre des enchères, en quoi est-il référent, et utile aux investisseurs pour orienter leurs choix patrimoniaux ?
C’est un document passionnant à élaborer, qui consiste à se retourner sur une année d’enchères au travers de la plateforme d’iDealwine, soit plus de 260 000 bouteilles adjugées, couvrant une vingtaine de vignobles français et étrangers.
Pourquoi est-ce utile ? Parce que le segment des ventes aux enchères a montré un fort dynamisme l’an dernier sur iDealwine : les volumes adjugés ont progressé de 18% et la valeur, elle, de 15,5%. Les vins français sont plébiscités par les amateurs du monde entier et c’est un vrai motif de fierté pour notre pays ! Autre point clé : parmi les enchérisseurs – qui proviennent de 60 pays répartis sur 4 continents – nous avons affaire à de grands amateurs, dont le comportement constitue en quelque sorte la préfiguration de ce qui sera activement recherché d’ici quelques mois ou années. Etudier la façon dont ils répartissent leurs achats est ainsi très précieux, non seulement dans les régions traditionnelles que sont Bordeaux, la Bourgogne et la vallée du Rhône, mais partout ailleurs où sont produits des vins passionnants. Ces amateurs ont le don de dénicher des pépites que le monde entier s’arrachera d’ici quelque temps.
Cette étude va ainsi bien au-delà des étiquettes les plus renommées pour aller détecter les étoiles de demain, et c’est là ce qui est sans doute le plus utile aux amateurs dans ce travail.
Vous avez noté une légère baisse des prix l’année dernière dans les ventes aux enchères, que dit-elle de la situation du marché des grands vins ?
Après une baisse marquée du prix moyen de la bouteille adjugée aux enchères en 2023 (-22%), qui faisait suite à l’année record qu’a constitué 2022, le marché s’est stabilisé en 2024, avec effectivement une baisse beaucoup plus modérée : -1,9%, pour un prix moyen du flacon adjugé qui s’est établi à 149€. Mais cette apparente stabilité masque en réalité une situation plus contrastée, et un phénomène que nous avons constaté dans toutes les régions : s’agissant des vins les plus renommés, des icônes de chaque vignoble, les prix ont baissé de façon plus marquée, entre -6 et -10%. C’est à ce prix, si j’ose dire, que les échanges ont pu s’établir, avec, d’ailleurs, une très forte hausse des volumes pour ces vins, ce qui confirme le dynamisme et l’état de la demande, toujours aussi vive pour les grands crus.
Les ventes aux enchères donnent une photographie du type de vins qu’il faut placer dans sa cave. Comment se dessine-t-elle ? De quelle manière la répartition par région a-t-elle évolué ?
Cette année 2024 consacre le succès de la Bourgogne, avec non seulement des volumes adjugés qui ont considérablement progressé (+29%, soit plus de 70 000 bouteilles vendues), ce qui constitue une performance pour une région produisant environ quatre fois moins de vin que Bordeaux ; mais aussi en valeur : les vins de Bourgogne représentent près de la moitié du montant total adjugé l’an dernier, soit 45% !
Est-ce à dire qu’il faut avoir une cave à moitié remplie de vins de Bourgogne ? C’est sans doute une inflexion intéressante à suivre, mais attention, notez que le prix moyen des bourgognes (le plus haut de toutes les régions, à 250€) est demeuré stable en 2024 : avons-nous atteint un plafond ? L’avenir nous l’indiquera.
Dans le même temps, Bordeaux reste la première région en volumes (une bouteille sur trois adjugée est un grand cru de Bordeaux). C’est donc la partie « valeur sûre » d’une cave, valeur « père de famille » dans un patrimoine vin. Le prix moyen reste deux fois moins élevé qu’en Bourgogne (123€), avec de belles opportunités.
La vallée du Rhône reste assez stable d’une année sur l’autre, avec des prix également stabilisés, environ 10% de la cave peuvent y être consacrés.
Les 25 à 30% restant sont à répartir entre les autres régions françaises et les vins étrangers qui ont connu un succès croissant sur iDealwine l’an dernier.
Aujourd’hui, le vin est redevenu la boisson préférée des Français, mais on parle surtout du vin blanc. Qu’en est-il dans les ventes aux enchères ?
Effectivement, le récent sondage mené par l’agence SOWINE a montré que le vin repasse devant la bière en tant que boisson préférée des Français, avec une attractivité marquée pour les vins blancs. Dans les enchères, les vins rouges demeurent largement majoritaires, est-ce en raison de leurs capacités de garde avérée ? Ils ont représenté 70% des volumes l’an dernier. 70%, contre 73% l’année précédente ; l’évolution est donc rapide, et marquée. Les vins blancs ont gagné 5 points en 5 ans dans les enchères, pour s’établir à 28%. Dans toutes les régions, on a noté cette progression, et certaines régions sont clairement identifiées comme de formidables ressources de vins blancs : la vallée de la Loire, le Jura, la Savoie…
Faut-il se concentrer uniquement sur la Bourgogne dans une optique patrimoniale ?
Une icône semble à l’abri de toute baisse de prix : il s’agit sans surprise du domaine de la Romanée Conti. Contrairement à toutes les autres étoiles du vignoble, son prix moyen n’a pas baissé en 2024, il s’est apprécié de 6%. Le niveau de prix moyen (supérieur à 4000€) pour les vins de ce domaine culte n’étant pas à la portée de toutes les bourses, il est important de comprendre la raison de cette quête effrénée de grands crus de Bourgogne. Derrière celle-ci, ce sont les deux cépages phares de la région qui sont plébiscités : le chardonnay, en blanc, et le pinot noir, en rouge. Ces deux cépages, au sommet dans les enchères (et dans les records d’adjudication) sont également cultivés dans d’autres régions. C’est vers celles-ci que l’amateur peut favorablement se tourner pour rechercher des vins produits dans ces cépages : pour les blancs, outre les vins de Chablis et de la Côte de Beaune, le sud de la Bourgogne (Mâconnais, Côte Chalonnaise) offre des alternatives attractives en termes de prix, et le Jura est lui aussi plébiscité. Pour les rouges, nous avons noté que les amateurs sont allés les chercher dans d’autres régions que la Bourgogne : le Jura encore, mais aussi l’Alsace, la Loire (Muscadet), le Roussillon (« 100 phrases pour éventails », le vin d’Hervé Bizeul et de Jean-Yves Bizot)…
Hors du pinot noir, point de salut ?
Non bien sûr. Ce que dit cette quête du pinot noir, c’est une recherche d’un style de vin : frais, délicat, soyeux, apte à être apprécié rapidement, sans attendre des années. Une forme d’immédiateté et d’éclat qui se retrouve bien sûr dans d’autres vins, et d’autres régions, et qui colle aux nouvelles tendances, liées à l’évolution de l’alimentation (moins de viande, des moments de consommation moins liés aux repas…). A cet égard, la mue observée à Bordeaux depuis plusieurs années mérite toute l’attention des amateurs.
Les primeurs débutent à Bordeaux, ce type de vente a-t-il encore un avenir ? Les vins de Bordeaux correspondent-ils aux goûts changeants des amateurs ?
Depuis quelques années, Bordeaux produit des vins qui répondent effectivement à cette demande. 2021, 2023 et plus récemment, 2024 – objet de la campagne primeurs qui démarre actuellement – s’inscrivent dans ce style de vin. A des niveaux de prix qui n’ont rien à voir avec ceux des grands crus bourguignons. Et sans obérer la capacité de garde des vins, condition impérative pour réussir un placement-vin. Donc oui, Bordeaux offre aujourd’hui de superbes opportunités. Nous pourrons en reparler de façon plus détaillée, mais certaines propriétés ont d’ores et déjà offert des prix vraiment attractifs pour ce 2024.
Interview à retrouver en intégralité ici
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