Cornas est l’une de ces appellations qui sont totalement indissociables de la figure de leur(s) vigneron(s) phare : cette AOC a la chance de compter en son sein Thierry Allemand et Auguste Clape. Ce dernier, disparu à l’été 2018, a bâti un domaine à la qualité exceptionnelle, grâce au respect des traditions et à une exigence extrême. Il a aussi beaucoup œuvré pour la reconnaissance et la progression de son appellation. Un mythe.
Le vignoble du domaine Auguste Clape est resté familial depuis environ 250 ans et même si les noms de famille des propriétaires ont changé (Frugier, Rousset et Clape) – le domaine ayant souvent été transmis par les femmes de la famille -, il s’agissait bien de la même famille. Auguste Clape, fils de vignerons languedociens épousa Henriette Rousset, héritière du domaine et fille d’Antoinette Frugier – qui avait commencé à produire du vin en vrac -, en 1949. Initialement, le domaine familial était en polyculture, comprenant quelques hectares de vignes laissés presque à l’abandon après le phylloxéra et la première guerre mondiale ; la propriété ne produisait que du vin en vrac. Ensemble, le couple a replanté et restructuré le vignoble en 1968, sur de très belles parcelles escarpées aux sols granitiques et orientées sud, sud-est, abandonnant dans le même temps la culture céréalière. Ce domaine fut l’un des premiers de l’appellation à vendre ses vins sous sa propre étiquette dès les années 1950. Le succès arriva rapidement et la réputation du petit domaine de quatre hectares ne fit que grandir, les premières exportations débutant dans les années 1970. Auguste Clape a également largement œuvré pour la reconnaissance de l’appellation toute entière, notamment en créant le marché des vins de Cornas en 1955.
Depuis 1988, leur fils Pierre-Marie Clape, passé par le domaine Tempier et le Vieux Télégraphe, travaille avec eux sur le domaine, avant d’être lui-même rejoint par son fils Olivier, ayant quant à lui fait ses classes à l’étranger, dans la Napa Valley, en Australie et en Nouvelle-Zélande, à partir de 2002. Auguste Clape est décédé au mois de juillet 2018, à l’âge de 93 ans. C’est évidemment une figure majeure et mythique de la viticulture rhodanienne qui s’en est allée, mais il laisse derrière lui un domaine au sommet de l’appellation, qui demeure entre de bonnes mains et dont l’avenir radieux ne fait aucun doute. Durant les dernières années, Auguste, Pierre-Marie et Olivier Clape travaillaient ensemble toutes les étapes de la production du vin. « Nous étions tous les trois sur la même longueur d’ondes« , nous explique Pierre-Marie, « Nous faisions même les assemblages ensemble, nous avions la même vision de ce que nous voulions retrouver dans nos vins. C’est vraiment une chance. ». Aujourd’hui, Pierre-Marie et son fils poursuivent le travail en duo et l’entente est toujours aussi bonne. « Olivier a travaillé un certain temps à l’étranger et cela l’a conforté dans notre démarche, sur le fait que nous faisions ce qu’il faut. C’est une chance de pouvoir travailler en osmose entre les différentes générations. »
Le vignoble s’étend actuellement sur 9,3 hectares, ce qui traduit une réelle volonté de conserver une taille modeste. Les vignes sont cultivées de manière très traditionnelle et exigeante. Les sols sont travaillés avec des mulets et, sur certaines parcelles, avec un treuil (du fait de l’inclinaison). Le domaine n’est pas certifié en bio, mais le travail est totalement dans l’esprit du bio : seuls le soufre et le cuivre sont utilisés, à des doses très raisonnables (entre 1 et 1,5kg par an de cuivre), avec également quelques engrais bio (oligoéléments liquides utilisés pendant la floraison) et amendements organiques bio, utilisés à dose homéopathique. Les vendanges sont évidemment manuelles et les raisins sont triés à ce moment-là, par les vendangeurs.
En cave, les vinifications peuvent elle aussi être qualifiées de traditionnelles. Elles sont parcellaires et en grappes entières (à 100% et à chaque millésime). Un léger foulage est fait à l’encuvage, afin d’obtenir un peu de jus, puis les fermentations démarrent avec les seules levures indigènes et les malolactiques sont décalées d’un ou deux mois ; enfin l’élevage se fait en vieux foudres de 1000L durant 24 mois (d’au minimum deux vins, pour les jeunes vignes, puis au moins quatre ou cinq vins pour les vieilles vignes, afin d’être neutre et de ne pas marquer le vin et de ménager l’oxydation, ce qui équilibre le fruit et apporte de la rondeur). Les vins sont ensuite collés au blanc d’œuf puis mis en bouteille. Le soufre est utilisé en dose raisonnable (environ 50 mg/L au total), après les malolactiques puis après un contrôle avant les soutirages (2 à 3) qui donne lieu à un réajustement en sulfites. L’ambition de la famille Clape est de retranscrire pour chaque millésime l’expression de leurs différents cépages sur leurs terroirs.
Le domaine ne produit que deux cuvées, le cornas, produit à partir de vignes âgées de 40 à 90 ans, voire de certaines vignes centenaires et Renaissance, avec les plus jeunes vignes du domaine (de 12 à 25 ans, élevage de 23 mois en foudres). Ce sont ainsi seulement 35 000 bouteilles, rares et prisées, qui sont produites en moyenne chaque année. Les vins de ce domaine font partie du cercle prestigieux des plus belles syrahs du monde grâce à leur potentiel de garde, leur puissance et leur élégance.
Ce qui distingue les vins de ce domaine ? La race et l’élégance.
iDealwine : quelle est la recette magique, qu’est ce qui fait que vos vins se distinguent à ce point des autres vins de l’appellation ?
« Je ne sais pas si on distingue vraiment, un certain nombre de domaines de l’appellation peuvent faire des choses assez proches de nos vins. Mais il est vrai que nous sommes constamment dans une recherche de finesse et d’élégance pour nos vins, tandis que le style habituel et surtout historique des vins de Cornas est surtout dominé par la structure et les tanins, voire un côté austère. Mais je pense que la finesse de nos vins provient surtout du terroir, plus que du travail de l’homme, nous avons beaucoup de chance d’avoir de magnifiques terroirs. En cave, notre démarche n’est pas la plus rependue au sein de l’AOC, que ce soit par les vendanges en grappes entières (une minorité de domaines font ça dans l’appellation), nos vinifications assez courtes (environ 12 jours) et plutôt douces (légers pigeages mais très modérés) et l’utilisation de vieux foudres (qui n’est pas non plus très courante dans l’appellation). Le format des foudres permet une évolution plus lente, et leur âge permet de ne pas marquer le vin, d’être neutre. Enfin, en plus de nos très beaux terroirs, nous avons aussi la chance d’avoir une grande proportion de vieilles vignes, qui sont dans l’ensemble âgées de 15 à 100 ans. Et les vieilles vignes donnent des tanins beaucoup plus fins, souples et élégants, plus de complexité aussi. Nous avons d’ailleurs racheté une parcelle en 2001 et elle donne pour l’instant des tanins trop rustiques, nous sommes obligés de la mettre dans la cuvée Renaissance. »
Le domaine Auguste Clape, ce qu’en pensent les guides
- La Revue du vin de France (deux étoiles)
Les bâtiments historiques du domaine Auguste Clape sont construits au début du XIXème siècle autour de quelques parcelles de terre arable. Les descendants successifs de la famille paysanne Frugier s’emploient à cultiver la vigne et les céréales. Le phylloxéra arrive à Cornas en 1865 et ravage une grande partie du vignoble du domaine. Si Henri Frugier ressuscite 2 hectares dès 1890, la 1ère guerre mondiale signe un nouveau déclin du vignoble. En grande partie détruit, il est délaissé au profit d’une culture céréalière plus rentable. En 1925, Antoinette Frugier hérite du domaine. Parmi ses activités paysannes, elle élabore un vin vendu aux négociants de Saint-Péray et aux restaurants de Valence. Sa fille Ariette poursuit le travail de sa mère en 1949 en compagnie de son mari, Auguste Clape. Les époux Clape possèdent alors 4 hectares de vignes et envisagent, en compagnie de propriétaires voisins, de créer un marché au vin à Cornas. Cet événement de 1955 est le point de départ d’une mise en bouteille des vins du domaine Auguste Clape. Peu à peu, les vins de la propriété voyagent à Lyon, puis à l’étranger dès 1970, en Angleterre et aux États-Unis. Cette renommée croissante permet à Antoinette et Auguste Clape d’investir dans des engins agricoles en 1975, pour planter de la vigne en coteaux. La viticulture au domaine Auguste Clape connaît alors un essor, et les autres cultures sont progressivement abandonnées. Pierre Clape s’investit dans la propriété dès 1988, après avoir trouvé l’inspiration aux domaines Tempier et Vieux Télégraphe. Il poursuit un travail raisonné de la vigne, amorcé par son père. Il traite ses vignes avec du soufre et du cuivre. Son propre fils, Olivier, rejoint le domaine Auguste Clape dès 2002.
Les vins : nous sommes heureux d’avoir pu déguster cette année l’ensemble des vins du domaine. Le saint-péray si confidentiel s’exprime en 2016 avec une complexité remarquable, dans un registre très classique, mais tellement équilibré. La bouche est d’une belle dimension, dans un registre fidèle à la marsanne. Les deux rouges 2015 sont absolument à mettre en cave. La cuvée Renaissance est parfaite en matière de maturité et témoigne d’une excellente gestion de la puissance.