1- Haut-Bailly

Il y a quelques semaines, le château Haut-Bailly accueillait LA dégustation dont tout amateur peut légitimement rêver : vingt millésimes produits de 1998 à 2017. Angélique vous raconte !

Le froid, la pluie, les grèves de train : rien n’aurait pu m’arrêter sur mon chemin vers Bordeaux, pour participer à LA dégustation de l’année. Enfin, de la décennie. Ou plutôt de deux décennies ! Car c’est à une découverte, côte à côte, des vingt millésimes produits sous l’ère de l’inoubliable Bob Wilmers (propriétaire de 1998 à son décès, en 2017), que nous étions conviés.

2- Haut-BaillyVéronique Sanders inscrit son travail dans la continuité. Continuité de l’histoire familiale tout d’abord, puisque son grand-père avait fait l’acquisition de la propriété en 1955, oeuvrant avec ardeur et passion à redonner au vin de Haut-Bailly son lustre, après plusieurs décennies marquées par les guerres et les crises. Continuité de l’histoire récente aussi. Car le Château Haut-Bailly, acquis par le banquier Bob Wilmers en 1998, a connu une trajectoire fulgurante qu’il était passionnant de retracer. Bob Wilmers, érudit et passionné d’art était un mécène à qui Bordeaux doit beaucoup, tant sur le plan du vin – il était président des Amis américains de la Cité du vin – que dans le domaine de l’art (il a œuvré pour les musées de la ville). Une personnalité éminemment francophile, un banquier brillant, dont la réussite n’avait en rien entamé la finesse et l’humour, apte à séduire instantanément tous ceux qui ont eu la chance de croiser son chemin. Profondément humain, Bob Wilmers a souhaité lui aussi inscrire son œuvre dans la continuité en demandant à Véronique Sanders, récemment diplômée du DUAD (Diplôme universitaire d’aptitude à la dégustation), de prendre les rênes de la propriété. Ce qu’elle fit avec le talent et le succès que l’on sait, entourée des conseils avisés de Denis Dubourdieu, et désormais, de son successeur Axel Marchal, autour d’une équipe menée par Gabriel Vialard, directeur technique.

3- Haut-BaillyBob Wilmers s’est éteint en décembre 2017. La succession est assurée, son fils Chris ayant été nommé Président du conseil. Spécialiste de l’environnement, ce chercheur discret qui enseigne à l’Université de Californie (à Santa Cruz), suit avec attention les changements mis en oeuvre à Haut-Bailly, notamment en matière de choix de vinification. Ses connaissances et ses travaux en matière de biodiversité et de préservation de l’écosystème terrestre apportent un regard passionnant et précieux sur les choix effectués, pour respecter au mieux la vie des sols en lui apportant les soins les plus appropriés. Il suit de près également les travaux en cours à Haut-Bailly, avec la construction d’un nouveau chai qui doit accueillir la vendange 2020. Chris Wilmers s’efface volontiers devant le talent de Véronique Sanders, rappelant avec beaucoup d’élégance que l’une des meilleures décisions prises par son père a consisté à la nommer à la tête de la propriété.

La grande dégustation 4- Haut-Bailly

Véronique Sanders se livre chaque année à l’exercice de synthèse ultime, qui consiste à résumer en un mot, une expression le caractère du millésime au cœur des vignes de Haut-Bailly. Une équation ardue pour qui voudrait réduire à quelques lettres le fruit d’une année de travail dans les vignes, d’une année de patience, de doutes, de choix. Une année de soleil, de pluie, de chaleur, de maladies ; de froid, de gel, de péripéties. Une expression enfin pour condenser l’expression d’un style qui vient, année après année, sculpter le profil et la personnalité du grand vin de Château Haut-Bailly.

Il faut dire que le château Haut-Bailly mérite toutes les attentions. Son terroir fabuleux est le fruit d’une exposition de rêve, en haut d’une croupe qui permettent aux vignes de s’étaler en pente douce et bénéficier tout à la fois d’un ensoleillement idéal et d’un drainage parfait. Si l’on ajoute à cela un puzzle harmonieux de parcelles aux caractéristiques qui se complètent pour accueillir harmonieusement les quatre cépages formant la matière première du vin.

5- Haut-Bailly

Quelle beauté que ce vin dans les verres ! Un festival de disques colorés aux nuances subtiles qui vont du rouge légèrement tuilé au pourpre intense, presque de l’encre, en passant par le rubis étincelant.

En écho à ce travail qui inscrit dans le temps long une démarche rigoureuse, précise, acharnée, nous avons voulu trouver une analogie avec un matériau noble, tout comme le vin. Un matériau qui parle de texture, de souplesse, de toucher, comme pour décrire un vin. Un matériau inspirant lui aussi pour ceux qui travaillent et créent, collection après collection, année après année : l’étoffe.

Château Haut-Bailly 1998 – « Des merlots bénis des dieux »

La robe est dense, le premier vin de la série séduit immédiatement, avec son nez très pur qui se déploie tout en rondeur. Est-ce l’effet du merlot ? Ce millésime a en effet réservé une place de choix à ce cépage, ramassé avec les pluies de fin septembre. Il est un peu plus présent que d’habitude dans l’assemblage (41%). Si le fruit est bien présent au nez, en bouche ce 1998 reste encore discret, légèrement fermé. L’attaque s’effectue en douceur, dévoilant une jolie structure tannique. La trame est fine, l’ensemble encore précoce, mérite encore quelques années pour continuer à se fondre. Les arômes sont élégants, associant fruits noirs, graphite, cèdre… L’acidité est agréable et apporte un côté digeste, beaucoup de fraîcheur et une jolie longueur.

Son étoffe : un taffetas de soie fine, qui crisse au toucher.

Château Haut-Bailly 1999 – « L’harmonie »

Compte tenu des caprices de la météo durant les vendanges l’élaboration du 1999 a donné lieu à quelques acrobaties. Vendangera, vendangera pas pour attendre et espérer une meilleure maturité ? Si l’exercice s’est parfois transformé en une partie de poker, le vin ne reflète rien de ces jeux d’équilibrisme : il arbore un nez toujours aussi pur, délicatement relevé de notes épicées. Les fruits noirs dominent, enrobés d’arômes finement boisés et fumés. En bouche, l’attaque est sévère, un tantinet austère, mais elle laisse place à une fin de bouche plus gourmande, merveilleusement ronde. Un grand vin classique.

Son étoffe : une flanelle pas trop épaisse mais avec de la tenue. On est à Bordeaux, quand même 😉

Château Haut-Bailly 2000 – « Mythique »

Est-ce la climatologie du millésime, de deux degrés supérieure à la moyenne, qui donne au nez cette impression de déambuler au cœur dans un jardin couvert de fleurs en Italie, sur les hauteurs de Ravello, par exemple ? Ce nez gorgé de fruits rouges (cerises bien mûres) et noirs (cassis) respire l’été, le soleil, le bonheur.
En bouche, quelle énergie ! L’attaque est vigoureuse, elle dévoile une matière ample, qui tapisse le palais tout en délicatesse. La finesse d’un grain légèrement fumé est délicieuse.
Ce vin est encore un adolescent : les tannins discrètement présents, quoique fins et élégants sont la signature d’une structure bien en place. On est enchanté d’y goûter déjà, il fait preuve d’un tel équilibre, mais reconnaissons que ce 2000 mériterait volontiers (si on résiste) quelques années de cave supplémentaires pour les laisser se fondre.

La finale, dans un gant de velours, déploie un fruit parfaitement mûr, exquis. Mythique, oui, vraiment, ce 2000.

Son étoffe : un velours satiné, flamboyant de nuances et de reflets.

Château Haut-Bailly 2001 – « Un millésime élégant »

Un millésime élégant ? A Haut-Bailly, cette expression relève du pléonasme. L’année 2001 a livré une récolte de niveau exceptionnel, avec de petites baies délicieusement concentrées qui permettent d’augurer le meilleur.

Au nez, le bouquet délicatement floral est relevé d’une composition d’épices douces associant poivre blanc, cannelle et des petites notes fumées… Au quatrième vin dégusté, on se perd dans ce nez … et on se prend à rêver de demander à Véronique Sanders d’élaborer un jour un parfum baptisé Haut-Bailly…

2001 à Bordeaux, est pour de nombreuses propriétés un secret jalousement gardé. A l’ombre du légendaire chiffre 2000, les vins de 2001, souvent merveilleusement souples et gourmands, offrent instantanément une sensation de plénitude. Haut-Bailly nous en livre une démonstration étincelante. L’attaque est douce, tout en rondeur, la texture veloutée. Mais attention, pas question de somnoler, le milieu de bouche plein d’énergie, vibrant, précède une finale intense, très longue. Quel équilibre !

Son étoffe : une crêpe de soie

Château Haut-Bailly 2002 – « Une délicieuse surprise »

2002 n’a pas laissé un souvenir inoubliable dans la mémoire des amateurs. Et pourtant, à Haut-Bailly, l’arrière-saison a réservé de belles surprises, les doux rayons du soleil de fin d’été sont venus parfaire la maturité des baies. Un tri méticuleux de la vendange a permis d’éliminer les raisins de qualité moindre.

A la dégustation, le nez se montre discret, délicatement parfumé, floral, en retrait. Une façon polie de se faire pardonner d’emblée son millésime de moindre notoriété, sans doute.

L’attaque veloutée précède un ensemble délicatement boisé, parfaitement équilibré. Décidément, le vin se fait discret, en bouche aussi. C’est à la rétro-olfaction que ressortent de jolis arômes de fruits noirs, de cerise kirschée, finement poivrés. Rien d’austère dans tout cela, juste une certaine retenue toute bordelaise, bien élevée.

Son étoffe : un voile d’organdi délicatement rebrodé

Château Haut-Bailly 2003 – « Atypique »

Personne n’ignore que 2003 est un millésime caniculaire. D’ailleurs, à Haut-Bailly, on s’est bien gardé d’effeuiller les vignes pour préserver au maximum les grappes des brûlures du soleil. Heureusement, quelques orages bienvenus ont évité à la vigne de souffrir de stress hydrique. La maturation des baies n’a ainsi pas été interrompue.

Et le résultat fait mentir les poncifs que l’on peut lire – ou goûter – sur les vins produits en 2003. Le premier nez, qui dévoile des notes légèrement fumées, laisse place à un bouquet d’arômes finement grillés. En bouche, l’acidité est parfaitement maîtrisée préserve admirablement la sensation de fraîcheur et de vivacité. La matière est pleine de rondeur, elle s’achève par une belle ampleur en fin de bouche.

Son étoffe : une soyeuse popeline de coton

Château Haut-Bailly 2004 – « Une grande précision »

Jolie année que 2004, avec une récolte abondante qui a fait la part belle au merlot (45% de l’assemblage).

Au nez un bouquet d’arômes très doux dévoile un fruit noir à juste maturité, relevé de quelques nuances exotiques qui viennent twister l’ensemble. C’est précis, juste, bien fait. L’archétype du très bon élève ! En bouche, la texture est élégante, dévoilant des arômes délicatement vanillés et toujours, de ci, de là, de petites notes poivrées.  La longueur est classique, bien persistante et sans aucune lourdeur. Un vin de grande classe décidément, parfaitement équilibré.

Son étoffe : un beau lin à la trame serrée.

Château Haut-Bailly 2005 – « Légendaire »

Les génies ne cherchent pas toujours à séduire. Ils n’en ont pas besoin, d’ailleurs. Au premier abord ce 2005 n’a pas l’air totalement prêt à se livrer. Pas envie de faire des efforts. Pas content d’avoir été ouvert trop tôt, peut-être. Pas vraiment enclin à se montrer aimable. Vous voyez le genre ? Il faudra y revenir et le laisser bouder un peu.

Quelque temps plus tard, la musique est très différente. C’est lui qui décide, au fond. Au nez le vin livre une impression de fraîcheur immédiate, de pureté. Puis après le bouquet de fruits admirable, viennent la réglisse et les arômes finement boisés. L’ensemble est exceptionnel d’équilibre.

En bouche, une matière d’une délicatesse infinie se déploie avec une intensité qui croit subtilement. Toujours cette sensation de fraîcheur, c’est aérien, intense, puis ça retombe, délicatement, comme sur du coton. La longueur est inoubliable, l’élégance des arômes qui se déploient en rétro-olfaction aussi. Il y a indéniablement du génie dans ce vin. On croirait entendre le mouvement lent du 2ème concerto pour piano de Chopin : élégance, sensualité, intensité des sentiments et des sensations.

Son étoffe : un velours de soie panée

Château Haut-Bailly 2006 – « Le classicisme »

Attention, détrompez-vous : à Haut-Bailly, classique ne signifie pas ennuyeux ! D’ailleurs, ce 2006 propose une approche gourmande du grand vin de cette propriété. Son nez est immédiatement séducteur avec ses arômes frais de fruits bien noirs accompagnés de petites notes grillées, où le boisé transparait pour structurer l’ensemble.

En bouche l’attaque est douce, la matière délicieuse, pleine de vivacité, elle gagne en amplitude et se déploie avec beaucoup de fraîcheur et une acidité qui rend ce vin irrésistible. Avec sa belle structure et son intensité, sa finale puissante, épicée, et sa longueur remarquable, voilà un très beau vin de gastronomie (certes, l’heure du déjeuner approche…).

Son étoffe : un beau lainage de cachemire

Château Haut-Bailly 2007 – « Le classicisme »

2007 : certes, le millésime a mauvaise presse, marqué par un printemps pluvieux qui a favorisé les maladies et un été un peu trop frais. Heureusement l’arrière-saison ensoleillée s’est révélée providentielle. Le cabernet sauvignon est largement majoritaire dans l’assemblage du 2007 (70%). Au nez, on ne plaisante pas avec les tannins et les arômes boisés : l’ensemble est dense, un peu intimidant, austère.
Et pourtant, en bouche, c’est une autre histoire. Sacré Haut-Bailly qui nous surprendra toujours par sa délicatesse ! L’attaque est douce, subtile, elle précède une matière exquise et raffinée, subtile. On aurait pu craindre l’excès de bois. Rien de tout cela. A vrai dire, on se régale. Les tannins se sont bine fondus, la matière est soyeuse, avec une belle vivacité en fin de bouche et une finale subtilement réhaussée de notes vanillées.

Son étoffe : un taffetas de soie

Château Haut-Bailly 2008 – « De l’éclat et de la douceur »

2008 n’a pas été un long fleuve tranquille à Haut-Bailly. L’hiver rude a nécessité une attention particulière, et le mois de mai pluvieux n’a pas octroyé beaucoup de répit non plus aux équipes. Une fois de plus, l’arrière-saison a favorisé la maturation des grappes qui avaient tant souffert lors de la floraison. Les baies, de petite taille, sont concentrées, intenses.

Ce 2008 est une vraie caresse. Son nez harmonieux, très frais met immédiatement en condition pour accueillir une attaque en bouche vive qui dévoile une matière pleine d’éclat. Voilà un vin plein d’énergie, une énergie vibrante qui nous accompagne jusqu’à la finale, douce, caressante.

Son étoffe : un coton de pilou, dans l’esprit cocooning.

Château Haut-Bailly 2009 – « Mythique »

2009 se révèle, sans surprise, comme l’une des étoiles de cette dégustation !

La climatologie exceptionnelle du millésime a non seulement favorisé une maturation harmonieuse des baies, mais les belles journées ensoleillées de septembre ont permis de cueillir la récolte tranquillement, précisément, au degré de maturité idéal. Luxe ultime, l’équipe a fait le choix de ne vendanger que le matin pour préserver la fraîcheur des baies. Et tout cela, bien sûr, se retrouve dans le vin.

Inutile de vous dire que ce 2009, complètement craquant et sublime, a été l’un de mes immenses coups de cœur de la dégustation. Et pourtant, comme les grands millésimes de cette propriété, le vin ne se livre pas d’emblée. Une grande année de Haut-Bailly, ça se mérite, au fond.

Le nez est en effet bien discret, très fin, livrant d’emblée une sensation d’intense fraîcheur.
En bouche, si l’attaque est finement maîtrisée, c’est une matière éclatante qui se déploie en bouche, un bouquet gorgé de fruits succulents, une texture d’une élégance absolue, de bout en bout, jusqu’à la finale, élégante, sans excès d’opulence. L’excellence de Bordeaux est tout entière résumée dans ce vin, elle justifie toutes les déclarations d’amour aux vins de la région, inimitables.

Son étoffe : un drapé de soie qui n’en finit pas de dévoiler ses reflets et ses contours.

 

C’est ainsi que se dessine au fil des millésimes le profil du grand vin de Château Haut-Bailly…

A suivre dans un prochain article, la dégustation des millésimes 2010 à 2017.

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