
Frédéric Panaïotis, charismatique Chef de cave de la maison de Champagne Ruinart est mort dimanche 15 juin, victime d’un accident de plongée. iDealwine lui rend hommage.
Cher Frédéric, Cher Fred,
La nouvelle qui nous a tous abasourdis lundi est tout simplement inconcevable… et tellement cruelle ! Le monde du vin perd un immense professionnel et, pour beaucoup, l’ami que tu étais devenu, car ta personnalité solaire, ton naturel et ta simplicité suscitait à ton égard une immédiate sympathie.
Chef de cave de la maison Ruinart depuis 2007 après un passage remarqué dans une autre maison du groupe LVMH, chez Veuve Clicquot, tu n’étais pas seulement l’emblématique ambassadeur du style de la maison. Un style que tu as contribué à affiner et préciser, en l’adaptant ces dernières années aux contraintes du changement climatique et à son accélération. Tu étais aussi et surtout, avant tout, un esprit brillant, passionné et vibrionnant. Ta soif d’apprendre, de comprendre, puis de transmettre semblait insatiable, ton énergie, exceptionnelle, ton tempo, celui d’un sportif de haut niveau.
Un mentor pour les étudiants
Une décade d’étudiants passionnés de vins, emmenés par ceux de l’Agro ParisTech se souviendra avec émotion du concours Cav’IT, initié par Paul Krug et Mathilde Magne, dont la plus récente édition s’est tenue en mars dernier. Fervent soutien de cette idée, tu m’avais dès son origine convaincue d’accompagner ces étudiants passionnés et brillants dans leur projet. S’en est suivi plus d’une décennie d’éditions toutes plus passionnantes les unes que les autres, qu’iDealwine a eu à cœur d’accompagner, année après année, en participant au jury du concours. La maison Ruinart ouvre chaque année en grand ses portes aux étudiants des meilleures universités et écoles de France et d’Europe. Tu n’as jamais manqué une édition, et tu plaçais la barre très haut ! Brillant dégustateur que tu étais, et tellement rigoureux, tu avais conçu une grille d’analyse des vins qui ne laissait rien au hasard. Une exigence dans tous les détails que tu appliquais minutieusement à chacune des missions que tu embrassais avec passion.

Diplômé de l’Institut national agronomique Paris-Grignon et œnologue de l’Ensa (Montpellier), tu avais à cœur de conférer à cette journée du Cav’IT une dimension scientifique, pour amener les étudiants – et les membres du jury ! – à progresser dans leurs apprentissages. En marge du concours de dégustation, un professionnel était chaque année invité à exposer son point de vue sur un sujet qui nous a, à chaque fois, tellement fait grandir et progresser. C’est grâce à toi et personne d’autre nous avons pu découvrir de brillants esprits tels que les professeurs Gérard Liger-Belair, Gabriel Lepousez et Jean Serroy, Marie Mascré (SOWINE), Loïc Pasquet (Liber Pater). Chacun, sous un angle passionnant, nous a appris à décrypter les mystères de la bulle, le sensations gustatives et olfactives, pour appréhender sous un angle analytique, sociologique ou artistique le mystère des grands vins… Certes, il n’était pas toujours facile de parler avec toi de biodynamie… j’aimais essayer, pourtant ! Car si ton esprit cartésien butait, tu cherchais à comprendre, malgré tout, et rester toujours alerte, en mouvement.

Un brillant dégustateur
Lors des salons, et tout particulièrement au Grand Tasting de l’équipe Bettane+Desseauve, tu étais fidèlement présent pour animer le stand de la maison Ruinart, avide de témoigner et de transmettre ta passion, ton expérience, ton talent. Infatigable, tu ne manquais jamais non plus nos concours de dégustation à l’aveugle. Les équipes d’iDealwine se souviendront longtemps de tes talents de dégustateur ! Tu venais te mesurer, tu cherchais, avec une concentration, une exigence, et souvent, un cheminement fulgurant qui te conduisaient à déjouer tous les pièges pour trouver les bonnes réponses. Ton humilité et ton élégance t’amenaient à refuser le premier prix qui te revenait systématiquement, pour laisser à d’autres la joie de remporter nos concours.
Ton secret ? Le travail. Ton insatiable quête de précision et d’excellence t’avait conduit, pour t’entraîner à reconnaître les arômes, à concevoir en collaboration avec le Nez du vin deux passionnants coffrets que tu avais eu la gentillesse de nous offrir, pour nous permettre d’appréhender toutes les subtilités du champagne… Un coffret dédié aux blancs, et un pour les rosés : un univers olfactif insoupçonné s’était alors ouvert à nous.
L’âme de la maison Ruinart
Vous formiez avec Frédéric Dufour, Président de Ruinart depuis 2011, un tandem assez magique. Etait-ce votre prénom ? Vous sembliez aimer jouer de cette gémellité de circonstance, signant tous les deux d’un simple et identique « Frédéric » vos messages de vœux. Votre connivence, votre respect et votre confiance mutuelle étaient palpables, renforçant la cohérence des actions que vous avez engagées avec détermination à la tête de la maison.

Tu n’étais pas insensible à la dimension artistique qui imprègne la démarche de la maison Ruinart, impulsée par Frédéric Dufour. Bien au contraire ! Tu déployais une infatigable énergie à décrypter pour les invités de la maison chacune des collaborations lors des magnifiques présentations de l’œuvre originale réalisée chaque année par un artiste pour illustrer le coffret de la série limitée réalisée pour la cuvée de Blanc de blancs, emblème de la maison. Tu t’étais notamment prêté de bonne grâce aux camouflages de l’artiste Liu Bolin, au sein des vignes de la maison.

Tu avais mis ton esprit scientifique au service de la cause environnementale, ardemment embrassée et défendue par la maison Ruinart. En plein épisode de confinement, lors d’une visio-conférence, tu nous avais présenté cette si innovante enveloppe « seconde peau » qui protège désormais certaines cuvées de la maison. Tu étais si fier de cet étui élégant et raffiné, 9 fois plus léger que son prédécesseur, permettant de réduire de 60% l’impact carbone de l’emballage. L’agroforesterie est un autre sujet qui te tenait à cœur. Enfin, ta dernière réalisation, la collection Brut Singulier, conçue pour témoigner du changement climatique qui dessine, dans les millésimes aux conditions extrêmes, un profil de vin atypique, marqué par de nouveaux équilibres, t’avait passionné.
Il est inconcevable de devoir te dire Adieu, Frédéric. Tu nous as tant apporté, tant appris, et sans relâche incités à repousser les limites de nos connaissances en matière de vin. Ton regard avide de curiosité, bienveillant, toujours prêt à nous défier avec ton immense sourire, va nous manquer autant que ton charisme de gentillesse. Toute l’équipe d’iDealwine tient à adresser à tes proches, à ta fille dont tu parlais toujours avec tant de fierté, à Frédéric Dufour et aux équipes de la maison Ruinart ses pensées très amicales, et ses sincères condoléances.
Repose en paix Frédéric, puisque tu as rejoint le silence des abîmes qui te fascinaient tant. Ton énergie, ta parole et ton héritage, eux, raisonneront pour toujours dans nos mémoires et dans nos cœurs.
Angélique
Lire également dans le Journal iDealwine : Ruinart, la toute première maison de Champagne (1729)