Les murs de ce château dont le nom rappelle qu’il était une étape du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, datent du XVIIIème siècle. Dans les années 1920, son propriétaire a des objectifs très clairs : y produire des très grands vins de Bourgogne. Avait-il des dons de devin ? Toujours est-il qu’en plus de tout mettre en place pour faire des nectars de garde « à la bourguignonne » (travail parcellaire, égrappage très majoritaire, élevages longs en fûts), le château des Jacques a été racheté par la très fameuse maison Jadot dans les années 1990, pour compléter sa mosaïque de domaines bourguignons qui s’étend de Chablis au Mâconnais, et aujourd’hui jusqu’en terres beaujolaises. Des vins épatants, qui vieillissent avec grâce.
Un pont dressé entre Beaujolais et Bourgogne
Vous n’êtes pas sans savoir que le Beaujolais et la Bourgogne sont intimement liés. En 1395, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi pris une décision radicale par ordonnance : interdire le gamay sur ses terres, et tout autre cépage que le pinot noir. C’est la raison pour laquelle cette variété est descendue dans les terres du Beaujolais. On peut d’ailleurs lire sur le site du château « Le Gamay est un cépage noble, fils du Pinot noir, et nos crus du Beaujolais appartiennent depuis toujours à la famille des grands vins rouges de Bourgogne« . Aujourd’hui encore, le débat est présent : un beaujolais est-il un vin de Bourgogne ? Administrativement oui, le Beaujolais est inclus dans la Bourgogne viticole. Et pourtant le Beaujolais a créé sa propre identité, par des vins fruités et gourmands, qui font sa réputation.
Le Château des Jacques, racheté en 1996 par la célèbre maison Jadot, une institution de Beaune, est un nouveau pont entre ces deux vignobles. Ce château vient compléter les autres acquisitions de la maison toutes bourguignonnes à l’exception d’un domaine en Oregon, qui lui permettent d’avoir des vignes en propriété : les domaines Louis Jadot, Héritiers Louis Jadot et Gagey (situés à Beaune, Côte de Beaune), Ducs de Magenta (à Chassagne-Montrachet, Côte de Beaune), Prieur-Brunet (Santenay, Côte de Beaune), Ferret (Fuissé, Mâconnais) et Résonance Vineyard (Oregon, Etats-Unis).
Véritable clin d’œil que cette acquisition, puisque le domaine est réputé pour son travail aux vignes comme en cave « parcellaire », ou « à la bourguignonne ». Ce sont des beaujolais de garde que nous vous proposons là, à la fois gourmands mais aussi un grain fin qui peut faire penser au pinot noir.
Produire de grands vins de garde : le rêve d’Amédée Rousseau
Le Château des Jacques est une des étapes de la route des chemins de Saint-Jacques, d’où il tire son nom. Le bâtiment en temps que tel date du XVIIIème siècle, construit sur des caves du XVIIème. En 1924, la propriété est cédée à Amédée Rousseau, un entrepreneur français, qui profite de la création de l’appellation Moulin-à-Vent pour acquérir des vignes. Son ambition : produire des grands vins de Bourgogne au Château des Jacques.
Situé à Romanèche-Thorins, entre Fleurie et Chénas, il représente 69 hectares de vignoble en appellation Moulin-à-Vent, Morgon, Fleurie et Chénas. Certaines très belles parcelles font partie de son joli patrimoine : Rochegrès, la Roche, Carquelins, Côte du Py, Rochelle. Des vignes situées sur les sols uniques de la région, composés de granite rose qui tirent leur origine d’un socle cristallin apparu il y a 350 millions d’années.
Ni une, ni deux, Amédée Rousseau se met au travail et des méthodes « à la bourguignonne » sont appliquées sur le cépage gamay, dont l’entrepreneur est un fervent défenseur : égrappage des raisins, vinification parcellaire, élevages longs en fûts, mise en bouteille au domaine. Cette envie de faire des vins de garde permet au domaine de passer en dehors des mailles de la tendance du Beaujolais Nouveau dans les années 1950, qui a fait beaucoup de mal à la région.
Une précision « à la bourguignonne »
L’acquisition du Château des Jacques par la Maison Jadot remonte à 1996, depuis cette date, cette institution bourguignonne n’a de cesse de faire monter en qualité et en notoriété la propriété (en acquérant par exemple certains des très beaux terroirs de Morgon : Côte du Py, Corcelette, Bellevue), qui fait figure de référence dans le Beaujolais.
Aujourd’hui, les méthodes sont très précises, mises en application par Julie Pitoiset et Alexandre Pipilis depuis le départ de Cyril Chirouze :
- Aux vignes, chaque parcelle est traitée selon ce dont elle a besoin : viticulture organique, biodynamie, géobiologie… Le domaine est pour sa part engagé vers la voie de la viticulture biologique.
- Vendanges manuelles dans des petites caisses
- Raisins triés et très majoritairement égrappés (égrappoir très précis)
- Fermentation naturelle issue des levures indigènes, macération longue, de 18 à 25 jours
- Elevage de 18 mois sur lies en fûts ou cuves béton dans la cave du XVIIème siècle
- Soutirage au plus près des cuves et fûts, et mise en bouteille
L’inauguration de la nouvelle cuverie du château, février 2018 : nous y étions
Nous vous proposons de replonger au cœur de cet emblème via une visite de notre président mi-février 2018 au domaine, à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle cuverie.
Cette journée d’approfondissement nous a donné la possibilité de le vérifier encore avec les explications passionnantes de Cyril Chirouze, talentueux vinificateur du Château des Jacques aujourd’hui parti au Clos Rougeard, et son prédécesseur Jacques Lardière, chantre de la physique moléculaire du vin.
Après 20 années consacrées aux vignes – analyse du parcellaire, replantation, changements des techniques de culture – et aux méthodes de vinification – retour aux macérations longues et mise en place de l’élevage sous bois – la Maison Jadot a décidé de réinvestir les bâtiments : rénovation du château et du parc et surtout création d’une cuverie moderne et ultra-fonctionnelle.
La nouvelle cuverie
Très loin des canons de beauté bordelais, rien n’attire l’œil à l’extérieur, le bâtiment se présentant comme un simple bâtiment d’exploitation. Il n’en est rien à l’intérieur, tant l’on est séduit par le design sobre, efficace et moderne des aménagements, encadré par de belles poutres et des lambris apparents. On comprend tout de suite que ce bâtiment a été conçu pour servir un plan qualitatif ambitieux. Il permet un traitement confortable et rapide de la vendange. Le nombre important et la diversité des cuves (inox thermo-régulées, ciment, cuves ovoïdes) permet de s’adapter aux particularités des lieux-dits et des millésimes. « Un magnifique écrin », selon les mots de Cyril Chirouze.
Après la visite des installations techniques, nous voici partis pour les travaux pratiques.
Dégustation horizontale
La dégustation horizontale des millésimes 2016 et 2017 permet de mieux percevoir la diversité des lieux-dits du vignoble du Château des Jacques et donc tout le travail d’assemblage ou de vinification parcellaire.
Avant d’attaquer les rouges, le domaine présente son fameux Clos-de-Loyse blanc, d’abord en version beaujolais blanc avec élevage en cuve inox ; puis en appellation bourgogne blanc, avec un élevage à 50% en fûts. Sur un sol granitique de la plaine de la Saône, au nord du Beaujolais (à l’inverse de la plupart des beaujolais blancs issus de la région des Pierres Dorées), ce vin présente une interprétation originale du chardonnay sur un sol granitique. Le bourgogne offre un nez de pêche blanche, avec une bouche généreuse et ample et une belle finale. La version beaujolaise est délicate et sapide, avec une finale miellée. Les deux cuvées sont semblablement intéressantes.
Nous attaquons ensuite les rouges issus de l’appellation Moulin-à-Vent. Tout d’abord, dégustation du moulin-à-vent du domaine, composé des vins des 5 lieux-dits historiques et de 3 autres lieux-dits spécifiques : Vérillats, La Rochelle et Champ de Cour. Ce vin se distingue par une belle épure et une jolie gourmandise. Viennent ensuite les parcellaires de Moulin-à-Vent : La Roche au sol de granit rose et à l’exposition sud / sud-est, léger et aérien. Le Clos du Grand Carquelin au sol plus argileux et à l’exposition sud est plus charnu, profond et structuré. Le Clos des Thorins, au sol granitique profond et exposé plein sud est un vin puissant et masculin, solaire et taillé pour la garde. Le Clos de Rochegrès, plus en altitude (lieu-dit au mont culminant à 361 mètres) avec un sol granitique assez argileux traversé de nombreux filons de quartz, offre un nez de griotte très séduisant, une très belle fraîcheur, il se goûte déjà fort bien. Une série coup de cœur.
Nous procédons de la même manière en goûtant les vins de l’appellation Morgon, avec la cuvée domaine composée de vins issus des trois parcelles de Corcelette, Côte du Py et Roche Noire (Piedmont de la Côte du Py). Nous sentons très clairement la différence de terroir avec le moulin-à-vent. La roche bleue noire (diorite) apporte un supplément de puissance au vin. Encore sévère à ce stade, il présente une bouche pleine et une jolie longueur. La cuvée parcellaire Côte-du-Py est encore protégée par un peu de réduction mais nous percevons une densité et une longueur plus importante que sur la cuvée domaine. Un style sudiste, quasi rhodanien mais qui n’est jamais lourd. Un beau vin à suivre dans le temps !
Enfin, nous dégustons le fleurie, la cuvée du domaine, issue de l’assemblage des vins provenant des parcelles de Bel-Air et Grille Midi. Chahuté par le climat ces dernières années, ce fleurie n’en demeure pas moins, comme son appellation, extrêmement charmeur avec sa bouche croquante de fruits rouges.
Visite des vignes
La visite des vignes au Clos du Grand Carquelin permet de constater de visu l’application de méthodes de culture bourguignonnes sur certaines parcelles avec une taille en cordon bien nette qui permet d’aérer les grappes et la surface foliaire. Ces parcelles coexistent avec d’autres suivies en méthode traditionnelle. Les vignes sont conduites en agriculture biologique, avec un respect des cycles lunaires. Une fosse fraîchement creusée nous permettra, avec les explications très didactiques d’une pédologue, de comprendre la particularité du sol granitique mica-schisteux, qui se décompose en sable lorsqu’on le prend en main. Le Beaujolais est, avec l’Alsace, la région qui présente la plus grande diversité de particularismes géologiques, témoin d’une lointaine époque où les plaques, volcans et mers se sont combattus et entremêlés. C’est cette variété qui permet de retrouver tant de vins différents sur cette petite région.
Dégustation verticale
La journée se poursuit avec une dégustation verticale du moulin-à-vent-Clos de Rochegrès. Acheté aux enchères en 1928 par la famille Thorin, propriétaire du Clos du Grand Carquelin, sous la dénomination de « Grand Cru de Moulin à Vent » (époque où la famille Mommessin devait se contenter du « Clos de Tart », n’ayant pu acquérir le cru souhaité en Moulin-à-Vent…), ce cru est taillé pour la garde comme va le montrer notre dégustation.
- Moulin à Vent Clos de Rochegrès 2017 : Robe violine, nez de griotte, très séducteur, déjà ouvert.
- Moulin à Vent Clos de Rochegrès 2015 : Robe rouge profonde. Nez floral sur la violette, bouche pleine, très beau jus, structure, grande fraîcheur. Futur grand vin !
- Moulin à Vent Clos de Rochegrès 2008 : Robe évoluée. Arômes tertiaires. Ensemble bien fondu présentant une belle acidité et une superbe fraîcheur.
- Moulin à Vent Clos de Rochegrès 2005 : Robe pourpre, soutenue. Nez giboyeux, assez massif. « Mémoire du temps qui commence juste à se réveiller » selon Jacques Lardière.
- Moulin à Vent Clos de Rochegrès 2002 : Robe rouge légère, matière très fluide, aérienne, purée de fruit, notes kirschées. Ensemble très agréable avec une finale chocolatée. On sent une belle énergie sur ce moulin-à-vent produit dans un millésime difficile. Jacques Lardière rappelle que l’influence méditerranéenne était plus marquée cette année-là avec un vent du sud très présent en septembre.
- Moulin à Vent Clos de Rochegrès 2000 : Puissance aromatique du nez avec des arômes d’épices douces. Attaque sucrée, bouche généreuse, finale longue.
- Moulin à Vent Clos de Rochegrès 1997 : Très différent du 2000, avec des arômes tertiaires, de sous-bois, de cacao. Un profil plus terrien.
- Moulin à Vent Clos de Rochegrès 1985 : Robe rubis, éclatante. Très gourmand, notes de fruits confits, de confiseries orientales.
- Moulin à Vent Clos de Rochegrès 1976 : Le vin présente une légère turbidité qui dérange au début mais marque par sa concentration et son intensité. Jus de viande. Une fin de bouche très fraîche avec une finale immense. Un très beau vin, très émouvant.
- Moulin à Vent Clos de Rochegrès 1967 : Robe brune évoluée. Notes de cerises à l’eau de vie. Sapidité. Belle longueur.
Dîner
La journée s’est conclue en beauté dans la nouvelle cuverie autour d’un dîner concocté par Sébastien Chambru, Chef du restaurant étoilé l’O des Vignes. Pierre-Henri Gagey en a profité pour féliciter ses équipes et rappeler l’attachement de la Maison Jadot à restaurer le prestige du Beaujolais, ce nouvel outil étant une étape supplémentaire. L’occasion de re-goûter les vins à table.
En premier lieu un bourgogne Clos-de-Loyse 2009 à parfaite maturité sur un délicat cabillaud confit au bouillon de crevettes grises. Puis, un généreux moulin-à-vent-Clos-de-Rochegrès 1999 sur une selle d’agneau farcie, polenta provençale. Le très attendu moulin-à-vent Clos-de-Rochegrès 1978 était présenté avec une composition de chèvre et figues. Le vin, encore fringant, rendait un bel hommage à ce millésime mythique. Même si Jacques Lardière estimait que tout le potentiel n’était pas dévoilé, sans doute en raison d’une vinification un peu stricte.
Le repas s’est achevé par un très bel accord entre un puissant et épicé morgon-Côte-du-Py 2003 et un délicieux dessert fait de textures de chocolat grand cru relevé et glacé de framboise.
Pour paraphraser Robert Sabatier qui disait « il faut s’efforcer d’être jeune comme un beaujolais et de vieillir comme un bourgogne », on pourrait souhaiter « s’efforcer d’être jeune comme un beaujolais et vieillir comme un beaujolais », si ce dernier est de grande qualité.
Ce qu’en disent les guides
Ce domaine rayonne comme un modèle de beaujolais de garde, tout en continuant de s’appuyer sur des méthodes bourguignonnes. Les cuvées parcellaires demandent un minimum de cinq ans de garde pour exprimer pleinement l’identité de leur sol. On sent que la nouvelle cuverie a permis de passer un cap dans la définition des crus.
Revue du Vin de France (Guide Vert 2024) – 2**Étoiles/3
Le domaine a bien grandi depuis son acquisition. Le vignoble s’étend essentiellement en moulin-à-vent dont il est l’un des grands spécialistes.
Le Guide des vins Bettane & Desseauve – 4****Étoiles/5