Anselme et Guillaume Selosse
©selosse-lesavises.com

iDealwine s’est rendu au domaine Jacques Selosse, sans doute le plus mythique des champagnes… Découvrez l’univers magique de ce champagne de vigneron et le fruit de nos échanges avec Guillaume Selosse.

Mercredi 15 novembre 2023, Eloïse (acheteuse champagne) et Elsa (responsable marketing) de l’équipe iDealwine, de passage en Champagne, ont eu la chance de rendre visite au domaine Jacques Selosse, pour une visite avec Guillaume Selosse. Un moment et une dégustation tout simplement exceptionnels. Récit et présentation de ce domaine iconique.

Sommaire

Selosse, un champagne de vigneron qui s’est propulsé au sommet
Un vignoble travaillé en permaculture
Des vinifications naturelles, sous bois
Les vins du domaine : un goût reconnaissable entre tous

Vins-de-garde

Selosse, un champagne de vigneron qui s’est propulsé au sommet

La création du domaine par Jacques Selosse au lendemain de la seconde guerre mondiale

Le domaine Jacques Selosse est une exploitation familiale, située à Avize, village de la Côte des Blancs. Elle a été créée en 1949 par Jacques Selosse, à partir de quelques parcelles de vignes. Bien que non issu d’une famille vigneronne, Jacques Selosse, installé à Avize en 1947, a d’abord travaillé dans plusieurs domaines viticoles pour aider notamment les veuves à gérer leur exploitation pendant et après la guerre – car malentendant, il n’a pas été appelé pour la guerre. Il s’est ensuite lancé à son compte avec quelques hectares, en commençant par vendre pendant plusieurs années ses raisins à la coopérative. C’est en 1959 qu’il fait ses premiers tests pour élaborer ses propres champagnes et en 1964 qu’il vinifie lui-même sa production (une partie seulement, le reste étant toujours vendu au négoce pour assurer une certaine stabilité financière).

L’héritage immense du travail d’Anselme Selosse

A partir de 1974, Anselme Selosse, fils de Jacques, rejoint le domaine après ses études viti-oeno et des expériences chez certains des plus grands vignerons bourguignons (Coche-Dury, Leflaive, Comtes Lafon), mais aussi dans des domaines espagnols. La vision et les techniques bourguignonnes l’inspirent donc particulièrement, notamment dans leur approche du terroir, mais aussi dans les techniques de vinifications des vins blancs ; c’est en effet le cas pour les techniques espagnoles (solera, élevages oxydatifs…). En 1980, il reprend entièrement le domaine familial.

Anselme Selosse va véritablement imprimer sa marque au domaine et créer un style nouveau et unique de champagnes, mais aussi opter pour des pratiques encore peu répandues dans les vignes à ce moment-là dans la région.

Du côté des vinifications, il créait par exemple dans les années 1980 sa cuvée Substance, produite par solera. Le style oxydatif de ses champagnes – on parle d’une subtile oxydation très ménagée et précise – est inspiré de ses expériences dans les grands domaines d’Andalousie (comme Lopez de Heredia pour les élevages longs sur lies totales). Il avait en effet remarqué des similitudes de terroir entre les deux régions concernant le sous-sol crayeux et la roche très poreuse. « Mon père était aussi fan de vins jaunes » ajoute Guillaume, on comprend ainsi toutes les inspirations qui ont concourue à la création d’un style de champagne si unique.

Concernant les vignes, Anselme s’intéresse tôt à la biodynamie et à l’agroécologie dans les années 1990, puis à la permaculture au début des années 2000. Son approche en la matière a ainsi évolué sensiblement avec toujours comme dénominateur commun l’envie d’accompagner la vigne au mieux et non de la contraindre – à l’opposé de l’adage de Descartes donc, qui invitait à « Se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » !

Le travail d’Anselme Selosse, ses expérimentations et ses partis-pris ont été très importants pour le domaine mais aussi bien au-delà, ils ont inspiré toute une génération de vignerons.

La relève assurée par le talentueux Guillaume Selosse, le changement dans la continuité

Le fils d’Anselme, Guillaume Selosse, lui aussi diplômé en viti-oeno et qui représente ainsi la troisième génération de la famille à la tête du domaine, est revenu pour travailler avec son père en 2011, puis il en a vraiment repris les rênes en 2019. S’il n’a jamais été question de faire exactement le même vin que son père, les professionnels du vin reconnaissent en tous cas unanimement que le génie et le talent du jeune vigneron sont incontestables. La transition s’est faite en douceur et sur le long terme et Guillaume est passé par la meilleure école…

Aujourd’hui, six personnes travaillent en permanence au domaine, en plus de Guillaume et d’Anselme qui n’est jamais bien loin.

Un vignoble travaillé en permaculture

Le vignoble s’étend sur un peu plus de 8 hectares répartis en une cinquantaine de parcelles, presque toutes classées en Grand Cru, au cœur de la Côte des Blancs. Plus précisément, les vignes sont situées à Avize, Cramant, Oger et Le Mesnil-sur-Oger, pour le chardonnay qui constitue la grande majorité de l’encépagement du domaine (7,3ha), complété par un peu de pinot noir (1ha) à Aÿ, Mareuil-sur-Aÿ (Premier Cru à 99%) et Ambonnay. Les vignes sont âgées en moyenne de plus de 60 ans et certaines d’entre elles remontent même à 1922.

Inspirée un temps par la biodynamie, la famille Selosse l’a abandonnée en 2003 et travaille désormais surtout son vignoble selon les principes de la permaculture, influencée notamment par la réflexion de Masanobu Fukuoa (agriculteur japonais, connu pour son travail sur l’agriculture naturelle, pionnier de la permaculture). Le domaine est ainsi en constante évolution et n’applique aucune recette gravée dans le marbre. Bien que la certification bio n’ait jamais été recherchée, précisons que le domaine répond au cahier des charges bio : aucun engrais chimique, ni pesticides ni herbicides ne sont utilisés. Pour eux, la vigne est semblable à la forêt, il faut lui laisser ses équilibres naturels et l’accompagner mais ne pas chercher à la contraindre : « la forêt est le plus bel écosystème, on ne l’exploite pas, on vient simplement cueillir, prélever ce qu’elle offre. » peut-on lire sur leur site.

Les sols sont travaillés à la charrue et au cheval et leur activité biologique est favorisée, avec notamment sur les conseils de Claude Bourguignon, l’utilisation de compost. Les vignes sont enherbées et les rendements sont limités par une taille très courte.

Les vendanges se font à très bonne maturité (maturité physiologique), avec des raisins frôlant les 13 ou 14° ; ils vendangent ainsi particulièrement tard comparativement à la moyenne régionale. L’équipe de vendangeurs est composée de fidèles de longue date, qui connaissent parfaitement la philosophie du domaine et les exigences en matière de tri (à la vigne). A noter que le domaine aime bien avoir une partie de raisins avec un peu de botrytis qui apporte de la complexité aux jus, ils gardent donc une partie des raisins atteints de ce merveilleux champignon.

Le domaine est 100% récoltant-manipulant, il n’achète pas de raisins.

Des vinifications naturelles, sous bois

En cave également, les vinifications sont conçues pour accompagner le vin, en étant peu interventionnistes. Guillaume ne veut en rien perturber, masquer ou gâcher le caractère identitaire (l’expression du terroir) de ses vins.

Les moûts sont placés en barriques directement après le pressurage, sur lies totales (c’est-à-dire avec toutes les lies, sans soutirage pour ne conserver que les lies fines) et il n’y a pas de débourbage ou alors un très léger. Ils partent tout de suite en fermentation, par gravité, la pompe n’étant utilisée qu’une seule fois pour la mise en bouteille. Les vinifications sont parcellaires et les fermentations sont spontanées (elles démarrent avec les seules levures indigènes). Plusieurs contenants sont utilisés, mais la majorité se fait en barrique bourguignonne (228L). La fermentation alcoolique est faite avec bâtonnage (remise en suspension des lies) et elle peut prendre son temps. La fermentation malolactique se produit ou non selon les conditions ; elle n’est ni recherchée, ni empêchée, on laisse le vin se faire.

La mise en bouteille se fait à l’été ; la prise de mousse dure environ trois mois et l’élevage sur lies en bouteille dure au minimum deux ans et demi et jusqu’à bien plus pour les cuvées millésimées.  Le vin est remué puis conservé sur pointes jusqu’à son dégorgement qui se fait – fait rarissime – à la commande des bouteilles (la date est bien précisée sur les étiquettes). Le dégorgement est manuel et les dosages sont très discrets.

A noter que le domaine produit également une cuvée, Substance, faite selon la méthode de la soléra : il s’agit d’une réserve de vin perpétuelle, commencée ici en 1986 ; chaque année les vins utilisés pour l’élaboration de cette cuvée sont remplacés par les vins de la dernière vendange. L’idée est que les millésimes anciens éduquent les plus jeunes (système des jerez).

Pour ce qui est du soufre, le domaine en met très peu, voire pas du tout sur certaines cuvées et certains millésimées. Ainsi sur le millésime 2021, il n’y a eu aucun ajout de soufre jusqu’à la mise (en quantités minimes) ; en 2023, il n’y a pas de soufre sur les chardonnays.

Ainsi, les vinifications et l’élevage se font sous bois, avec environ 20-25% de bois neuf. Le domaine privilégie les chauffes assez élevées (moyennes – moyennes plus en réalité) car ils pratiquent des élevages relativement courts (environ 10 mois) et que les chauffes blondes n’amènent leur patine qu’après au moins 15 mois, ils ont donc besoin de bois plus marqués. « On aime quand même l’impact du bois » nous résume Guillaume Selosse. Pour autant, les élevages sont millimétrés « Les années où la floraison est très bonne et que presque tous les pépins sont fécondés et présents dans le raisin, on fait le choix de réduire le contact avec le bois en optant pour des tonneaux plus grands (425L) pour équilibrer et qu’il n’y ait pas trop d’extraction tannique. » nous précise-t-il.

Globalement, la philosophie est qu’il ne faut pas chercher à marquer les bouteilles, seulement à laisser une légère empreinte à la limite (choix des élevages…). La notion de terroir est presque la seule importante pour le domaine.

Champagnes Selosse

Les vins du domaine : un goût reconnaissable entre tous

Les champagnes Selosse se distinguent par leur forte personnalité et leur style très reconnaissable, à la fois mûr, droit, pur, d’une grande complexité et marqué par une très fine oxydation, tout en conservant de belles fraicheurs. Un caractère absolument unique qui explique leur succès. Par ailleurs, ce sont des champagnes qui vieillissent merveilleusement bien.

14 cuvées sont produites, dont six cuvées parcellaires issues de la collection “Lieux-Dits”, non millésimées.

Les cuvées historiques

Initial (brut) est la principale cuvée du domaine, un assemblage de chardonnays issus des grands crus d’Avize, Cramant et Oger, et de trois millésimes successifs. Elle se distingue généralement par un beau bouquet floral et minéral (crayeux) et sa bouche à la fois mûre, ronde, minérale et dotée de belles notes d’agrumes. Comme son nom l’indique, c’est un peu la cuvée découverte du domaine. Goûté au domaine dans sa version base 2017, nous avons apprécié son nez particulièrement oxydatif, ses arômes de fruits secs, ses notes salines et sa bouche gourmande.

Version Originale ou V.O. (extra-brut) est un champagne non dosé, de chardonnay provenant de vignes à flanc de colline des trois mêmes villages qu’Initial, issu également de trois millésimes successifs, mais plus âgés que pour Initial.

Substance (brut) est un 100% chardonnay grand cru provenant de deux parcelles différentes situées à Avize. Il s’agit d’un assemblage de millésime selon le système de la soléra, avec un millésime de base 1986.

Millésimé (extra-brut) est un blanc de blancs grand cru provenant de deux parcelles situées à Avize ; il n’est élaboré que les meilleures années. On y retrouve souvent des notes de pommes et de pain d’épices assez caractéristiques du domaine.

Rosé (brut) est un rosé d’assemblage, composé de chardonnay qui proviennent de grands crus de la prestigieuse Côte des Blancs et d’un peu de pinot noir (6%) provenant d’Ambonnay, grand cru de la Montagne de Reims. C’est un rosé gourmand et léger, aux arômes de fruits rouges (framboise) et d’agrumes (citron, pamplemousse), livrant une belle acidité.

Exquise (sec) est un chardonnay provenant d’une parcelle située en bas de coteaux à Oger. Dosé à un peu plus de 20 g/l, il est donc bien plus doux que les autres cuvées du domaine. C’est un champagne généreux et aromatique, tout en restant très fin et équilibré.

Les cuvées “Lieux-Dits”

Six cuvées issues de parcelles spécifiques ont été isolées dans la collection “Lieux-Dits”, créée en 2010. Elles sont chacune issues d’un village et sont l’assemblage d’un ou plusieurs millésimes ; elles sont mono-cépages – à l’exception du Bout du Clos – et sont peu dosées.

La Côte Faron (non-dosé) provient d’une parcelle de pinot noir sur un coteau pentu, situé dans la commune d’Aÿ. Il s’agit d’une cuvée plutôt puissante, épicée et au style assez oxydatif.

Le Bout du Clos (non-dosé) est issu d’une parcelle plantée en pinot noir (80%) et en chardonnay (20%) sur un coteau orienté sud, sur la commune d’Ambonnay.

Sous le Mont vient d’une parcelle de pinot noir située en coteau à Mareuil-sur-Aÿ.

Les Carelles (non-dosé) est un 100% chardonnay provenant d’une parcelle sur un coteau crayeux orienté est, à Mesnil-sur-Oger. Il s’agit d’un champagne particulièrement frais et élégant. En version vin clair 2023, nous avons apprécié ses superbes arômes de fruits blancs et sa grande allonge. Les vins clairs (2023) de cette cuvée sont dotés de superbes arômes de fruits blancs, de fruits à coques et toujours d’une belle salinité.

Les Chantereines (extra-brut) est un 100% chardonnay grand cru planté en 1922, sur la commune d’Avize, mais issu de plusieurs millésimes. Le sous-sol est particulièrement crayeux avec une diversité de craies du fait de glissements de terrain ayant eu lieu à d’autres ères. Goûté en vin clair, ce vin affichait une grande puissance en bouche, une grande énergie, de la fraîcheur et une superbe longueur.

Chemin de Châlons (extra-brut) est un chardonnay grand cru provenant de Cramant.

Malheureusement, le domaine fournit une production très largement inférieure à la demande : environ 60 000 bouteilles par an, dont environ la moitié part à l’export. Ce qui est sûr, c’est que lorsque nous sommes ressortis de la visite et la dégustation, nous avons pensé : « voilà un vin qui est à la hauteur de son mythe ! ».

L’engouement des vins du domaine semble obliger la famille Selosse. S’ils sont évidemment fiers du succès de leur production, ils gardent une grande humilité et Guillaume avoue même que les prix que peuvent atteindre ses champagnes le mettent parfois mal à l’aise car pour lui « à ce prix-là, quel que soit la qualité du champagne, on est forcément déçu. ». L’humilité, c’est d’ailleurs aussi ce qu’on retiendra de cette visite : Guillaume est capable de produire ce qui se place sans aucun doute parmi les plus grands champagnes et vins effervescents du monde et de conserver la plus grande humilité, de rester très abordable, simple et passionné.

Champagne Selosse
Quelques-uns des champagnes dégustés au domaine en novembre 2023

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