Alors que s’ouvre à Paris le Grand Tasting, découvrons la face cachée et intime de ce dégustateur mondialement reconnu. Homme de lettres, de notes – aromatiques et musicales, de coeur, Michel Bettane pianote sur le fil de la vie avec enthousiasme et une soif de connaissances insatiable.
Drôle de parcours que le sien : normalien, professeur de lettres, il eut pu être tout aussi bien chef d’orchestre ; il a choisi d’enseigner le goût, de le cultiver et de vouer sa vie au vin. Une mémoire prodigieuse, une connaissance des vignobles encyclopédique, une capacité d’étonnement intacte, il passe parfois aux yeux de ceux qui n’en perçoivent que la face publique, pour un donneur de leçons ; pour ceux qui se donnent un peu la peine de le connaître, il est un humaniste, les pieds dans le terroir, la tête dans les étoiles.
Quelle a été votre première rencontre avec le vin ?
J’ai commencé à m’intéresser au vin à 18 ans. Avant cela, je n’en buvais pas. J’étais chargé de remonter les volnay clos-des-chênes…
Quel vin a déclenché votre passion ?
Un haut-brion 1962. J’avais 18 ans. A l’époque je n’aimais pas le vin rouge. J’étais avec des amis, au bord du lac de Neuchâtel et l’un deux avait apporté cette bouteille. Forcément je l’ai goûtée, et là ça a été le déclic : jamais un vin ne m’avait fait un truc pareil ! J’ai acheté et lu tous les livres possibles et imaginables sur le vin et monté un club de dégustation informel avec mes amis de Normale Sup.
On achetait une bouteille par semaine, c’était l’époque où on pouvait encore s’offrir de grands crus.
Et après ? L’enseignement, les lettres…
Oui, mais j’ai aussi suivi en parallèle les cours de l’Académie du vin à Paris, fondée par Steven Spurrier. J’avais comme professeur Michel Dovaz ! J’y ai ensuite moi-même donné des cours puis rejoint la RVF, avec Chantal Lecouty. En 1991 j’ai arrêté d’enseigner le français et me suis consacré au vin exclusivement.
Quel a été votre dernier coup de cœur ?
J’ai eu la chance de boire à deux reprises une Romanée Conti 1966 : c’est un vin complètement fou, d’une beauté et d’une pureté extraordinaires. Et puis j’ai regoûté dernièrement Haut-Brion 1962, le vin qui m’a fait aimer les grands vins. Il est encore plus jeune à cinquante ans qu’il ne l’était à dix !
Quel chef vous touche le plus ?
Le cuisinier qui m’a donné le plus d’émotions est sans conteste Alain Senderens.
Votre accord mets et vin préféré ?
C’est tout simple : des oeufs mollets en sauce béchamel à la truffe blanche d’Alba, servis avec un grand barolo : le Percristina de Domenico Clerico.
Vous ne pourriez pas vivre sans …
Sans boire du vin, sans bien manger, sans musique, sans Montaigne et Saint-Simon.
Quel vin choisiriez-vous pour « initier » quelqu’un qui ne connaît rien au vin ?
Un vin blanc. Un grand sauternes par exemple, par goût naturel. Ou peut-être un vieux pinot noir, qui reflète son terroir et ses origines, qui ait la gueule de l’endroit et les tripes de celui qui le fait comme dit Jacques Puisais ; pas un vin de surface en somme !
Si vous partiez sur une île déserte, quelle bouteille emporteriez-vous ?
Un grand champagne. J’hésite entre Selosse et Egly. Mais en magnum en tout cas ça c’est sûr !
Quel vin choisiriez-vous pour séduire une femme ?
Soit un grand spätlese allemand, de la Moselle ou de la Saar, d’une dizaine d’années. Soit un vieux bourgogne, chambolle ou vosne-romanée. Mais fait en vendanges entières ! Parce que ces vins incarnent l’idée du raffinement et du parfum. Ils ont un profil aromatique très créatif, très noble ; il n’y a pas de mots pour les décrire. Je pense à un musigny 62, une romanée-conti 66 ou une tâche 66 : ces vins sont des oeuvres d’art en matière de parfum.
Qu’est-ce qui fait un grand vin ?
Le plus important dans un grand vin, c’est l’unité entre le corps et la saveur. Le fait qu’on ne fasse plus attention à l’objet réel ; il est comme dématérialisé.
Vous pourrez croiser Michel Bettane dans les allées du Grand Tasting, au Carrousel du Louvre, vendredi 10 et samedi 11 décembre 2010.
Plus d’information : www.grandtasting.com