iDealwine Chartreuse monastère liqueur jpeg

Connaissez-vous la reine des liqueurs, qui porte le nom de l’ordre des moines qui la produisent encore aujourd’hui ? Une histoire pleine de péripéties, une recette secrète, des cuvées rarissimes… Cet article, écrit par LE spécialiste Chartreuse de notre équipe iDealwine, vous plonge dans cet univers passionnant, l’occasion pour le néophyte que vous êtes de mieux connaître les particularités de ces liqueurs et élixirs, leur histoire, et de, nous l’espérons, passer à la dégustation !

Sommaire :

L’histoire de la Chartreuse – Temps forts
Obtention de la recette
Passage de l’élixir aux liqueurs de Chartreuse
Expulsion de 1903 – migration à Tarragone
Le retour en France, Tarragone / Marseille
Retour en Chartreuse
Les distilleries actuelles

Les Cuvées
Liqueurs traditionnelles
Cuvées spéciales
Cuvées d’exception
Cuvées commémoratives

Particularité de la chartreuse et sa dégustation
Le vieillissement des chartreuses
La dégustation des chartreuses
Notre recette de cocktail : le Chartreuse Mule

Demande croissante et offre stable ?

L’histoire de la Chartreuse – Temps forts

Obtention de la recette

On associe logiquement l’histoire des moines chartreux avec celle de l’élixir, la première est cependant nettement plus ancienne. Le nom de cet ordre vient du massif où les moines décidèrent de s’implanter en 1084 pour y fonder leur monastère. En plus de la prière, ces hommes de Dieu travaillent alors principalement dans la métallurgie.
C’est en 1605 que le destin de l’élixir prend vie. François-Annibal d’Estrées, alors officier et futur maréchal de France, rencontre les moines chartreux dans le but de déchiffrer un manuscrit obscur qui traite d’un élixir nécessitant la manipulation de très nombreuses plantes. Etant dans l’incapacité de le produire lui-même, il fait don du manuscrit aux moines qui disposent déjà d’une bonne connaissance des plantes ainsi que du droit de fabriquer et de vendre des liqueurs. A son origine, cet élixir titrant à 71% est utilisé à des fins médicales et est ensuite amélioré par les moines au cours des années, notamment par Frère Jérôme (mort en 1762) qui y consacra pas moins de 12 années de sa vie.

Monastère de la Grande Chartreuse liqueur moines

Le Monastère de la Grande Chartreuse, lieu de vie des moines chartreux

Passage de l’élixir aux liqueurs de Chartreuse

En 1825, apparait un produit différent qui mènera en 1840 à l’apparition de la chartreuse verte. L’objectif, selon les manuscrits de l’époque, est de « conserver les vertus de l’élixir sans en avoir l’apparence ». On passe d’un élixir médicinal à une liqueur qui n’est donc plus consommée uniquement pour ses vertus thérapeutiques. La chartreuse jaune, produite à la même période, connait un grand succès. Plus douce que sa consœur verte (48% puis plus tard 43%), elle séduit les consommateurs de l’époque. La production suit le rythme du succès avec dès cette époque 70% de production dédiée à la liqueur jaune.

Expulsion de 1903 – migration à Tarragone

Au cours de leur histoire, les moines chartreux ont connu leur lot de désolations, qu’elles soient naturelles (avalanches, incendies, glissement de terrain) ou bien d’origine humaine. La période révolutionnaire déclenche des expulsions et pillages des monastères chartreux ainsi que des persécutions envers les moines allant dans certains cas jusqu’à leur exécution.
Le début du 20ème siècle n’est guère plus réjouissant. C’est dans un climat politique d’anticléricalisme que l’on ordonne en 1903 l’expulsion des moines du Monastère de la Grande Chartreuse, et la saisie des biens de la distillerie de Fourvoirie, où sont désormais distillées les diverses chartreuses.
L’expulsion a lieu malgré la présence d’une foule de plusieurs milliers de personnes venues protester. Les militaires eux-mêmes appliquent leur ordre à contrecœur, un capitaine et un commandant des dragons ayant effectué l’opération ont même démissionné suite à ce qui fut selon le commandant « une besogne de bandit ».
Un repreneur est trouvé pour la distillation de la chartreuse… mais le secret de la recette est parti avec les moines. Les liqueurs que ce dernier a produites se sont révélées d’une qualité visiblement inférieure à celle des moines et se vendront difficilement. Il faut dire qu’une liqueur concurrente fait parler d’elle… il se dit même qu’elle serait la « vraie » liqueur de Chartreuse. Les chartreux expulsés en 1903 se réfugient en effet à Tarragone, au nord-est de l’Espagne, auprès de la famille Muller, une famille champenoise proche, qui les fournit depuis un temps en eaux-de-vie. Ils ont également été aidés par la municipalité de Tarragone qui dès 1902 s’engage à rendre possible l’établissement d’une distillerie dans la ville. La production démarre donc en 1903. Il s’en suit toute une lutte médiatique et juridique pour faire entendre que cette chartreuse est bel et bien l’authentique…

Monastère de la Grande Chartreuse liqueur moines tarragone

Le retour en France, Tarragone / Marseille

Le retour des chartreux se fait d’abord via Marseille avec l’ouverture d’une distillerie en 1920 qui fonctionnera en parallèle de celle de Tarragone (qui a produit jusqu’en 1989). Son but premier est de répondre à des difficultés pour exporter les chartreuses en France depuis l’Espagne. Elle produira ainsi jusqu’en 1929.

Retour en Chartreuse

La Compagnie Fermière de la Grande Chartreuse, repreneuse des moines depuis leur expulsion, connaît des difficultés croissantes dès 1913 avec l’interdiction de vendre ses liqueurs à l’export. Les tribunaux étrangers voient en effet d’un mauvais œil cette liqueur provenant de biens spoliés aux chartreux. Ceci favorisera la chute progressive de la société qui tombe ainsi en faillite en 1929. Lors de cette même année, les moines chartreux déménagent leurs matériel de distillation de Marseille vers Fourvoirie. L’activité reprend ainsi en 1932 et les chartreux regagnent le Monastère de la Grande Chartreuse dès 1940. Retour à la case départ !

Les distilleries actuelles

En France c’est à Fourvoirie que l’aventure se poursuit jusqu’au terrible glissement de terrain en 1935. Il est alors décidé de produire dans une distillerie à Voiron jusqu’en 2018 puis aujourd’hui à Aiguenoire, au pied du massif de la Chartreuse. En 1970 est créée la société Chartreuse Diffusion qui gère le conditionnement, la publicité et la vente des chartreuses. Les moines sont toujours aux commandes dans les distilleries et restent les détenteurs des mystérieuses recettes de l’élixir et des liqueurs. 

Les cuvées

L’élixir et les liqueurs sont élaborées sur une base d’alcool blanc provenant de raisins (marc). Si l’on associe 130 plantes à leur composition, le mystère reste entier quant à la part de chacune dans la composition, la recette étant secrètement gardée par les moines. On sait cependant que pour extraire au mieux les arômes et couleurs de ses plantes, certaines doivent connaître un processus d’infusion (dans l’eau) ou de macération (dans l’alcool). Les liqueurs sont ensuite vieillies dans tonneaux « foudre » ou bien en demi-muids pour les cuvées d’exception.

Liqueurs traditionnelles

Elles font partie de l’histoire depuis ses débuts

    • Chartreuse Verte et Jaune (depuis 1840)

    • Elixir (depuis 1605)

Cuvées spéciales

Des cuvées spéciales mais relativement accessibles, offrant une autre expérience de dégustation.

    • Chartreuse Meilleurs Ouvriers de France (depuis 2008)

    • Liqueur d’Elixir 1605 (depuis 2005)

    • Liqueur du 9eme centenaire (depuis 1984)

    • Liqueur du Foudre 147 (depuis 2019)

Pour plus d’informations sur ces cuvées spéciales et sur les liqueurs traditionnelles, vous pouvez vous rendre sur le site officiel Chartreuse.

Cuvées d’exception

Produites en quantités limitées, voir très limitées pour la cuvée « Une Chartreuse », elles sont sujettes à un vieillissement significatif.

    • Chartreuse VEP Verte et Jaune : Vieillissement Exceptionnellement Prolongé (depuis 1963)

    • Reine des liqueurs (depuis 2010)
    • Une Chartreuse Verte et Jaune (depuis 2015)

Cuvées commémoratives

Ces cuvées font écho à l’histoire de la chartreuse, comme la cuvée « Marseille » qui, 100 ans après, rend hommage à la distillerie installée en 1921 dans la cité phocéenne. Elles frôlent parfois l’irréel, comme la cuvée Tarragone du siècle qui est un assemblage de dix millésimes de chartreuse Jaune de Tarragone (1906, 1910, 1920, 1930, 1948, 1951, 1961, 1967, 1973 et 1980). 

    • Chartreuse Santa Tecla Verte et Jaune (depuis 2000)

    • Chartreuse Episcopale du IIIe millénaire (en 2000 uniquement)

    • Chartreuse Marseille (uniquement en 2021)

    • La Tarragone du siècle (en 2007 uniquement)
      … et bien d’autres !

Monastère de la Grande Chartreuse liqueur moines marseille

Particularité de la chartreuse et sa dégustation

L’élixir titrant désormais à 69 degrés est traditionnellement destiné à des fins thérapeutiques, même si on le retrouve désormais dans les cocktails en bitter. La liqueur quant à elle est utilisée de plusieurs façons. Mais avant d’aborder sa dégustation, il convient de parler d’un autre aspect de cette liqueur qu’est son vieillissement.

Le vieillissement des chartreuses

Le vieillissement en fût a indéniablement un impact sur la chartreuse, il suffit pour cela de constater les différences avec les cuvées VEP, au vieillissement prolongé.
Chose plus étonnante : les liqueurs évoluent également en bouteille. Cela n’étonnera pas un œnophile mais cela fait de ces cuvées un ovni comparé aux spiritueux dont l’impact du vieillissement en bouteille est souvent controversé (à l’exception de l’alcool chinois Baiju). Ainsi, une chartreuse de plusieurs décennies verra son profil aromatique nettement transformé. Une plante ou épice pourra apparaître au premier plan au détriment d’une autre, en fonction du moment où l’on consommera la bouteille. Les effets ne s’arrêtent pas uniquement au niveau de l’aromatique : une véritable « patine » se forme sur les vieilles chartreuses, la texture devient plus soyeuse et l’alcool, mieux intégré, se ressent moins en bouche.
En bref qu’il soit en bouteille ou en fût, le vieillissement a un net impact sur la chartreuse et il rend sa dégustation unique.

La dégustation des chartreuses

Concernant la dégustation on consommera alors (avec modération) les liqueurs de Chartreuse :

    • Dans un verre tulipe ou un dans un verre à Cognac (attention aux glaçons qui peuvent casser la structure de la liqueur)

    • En cuisine, dans des mets. Les chefs de la région Rhône-Alpes rivalisent d’inventivité pour intégrer la liqueur dans des compositions sucrées ou salées.

    • En cocktail. Tout mixologue un tant soit peu aguerri connaît le potentiel de la chartreuse dans les cocktails. Un bar à cocktail dédié à la chartreuse a d’ailleurs été mis en place dans l’ancienne distillerie de Voiron qui sert également de site touristique.

Notre recette de cocktail : le Chartreuse Mule

L’auteur de ces lignes, véritable amateur des produits de ce fameux monastère, vous confie lui aussi sa recette (moins secrète que celles des cuvées de chartreuse) de cocktail, d’une redoutable simplicité : le Chartreuse Mule.

Ingrédients :

Chartreuse verte (5cl)
GingerBeer (15cl)
Jus d’un demi citron vert

Mélangez et servez !

La popularité croissante du classique Moscow Mule (réalisé à base de vodka) en fait désormais un concurrent au Spritz dans la catégorie des cocktails les plus populaires. Force est de constater que l’alcool (la vodka) a dans ce cocktail le rôle d’un faire-valoir (et ce n’est parfois pas plus mal…). C’est tout autre chose en remplaçant la vodka par de la chartreuse. L’intensité aromatique de la chartreuse fait face à celle de la GingerBeer, un soda au fort goût de gingembre. L’équilibre se fait, le gingembre apparait puis laisse place aux arômes de plantes qui nous accompagnent avec persistance. Un délice.

Monastère de la Grande Chartreuse liqueur moines cocktail

Un granité à la chartreuse qui se déguste au bar à cocktail des caves de la Chartreuse

Demande croissante et offre stable ?

Si la Chartreuse a connu dans les années 70/80 un léger déclin dans sa notoriété, elle est depuis redevenue très populaire. Cela est probablement dû à son utilisation croissante en cocktail, à la hausse de la demande dans d’autres continents et à son apparition dans la « popculture » via certains réalisateurs ou artistes de renom. En revanche, l’offre est amenée à rester stable, c’est du moins ce qu’a communiqué l’entreprise Chartreuse Diffusion au début de cette année 2023.

Plusieurs raisons sont avancées : l’objectif de maintenir la qualité, de ne pas trop solliciter les moines qui ont besoin de temps de prière et le refus d’une « croissance infinie ». Si l’entreprise dit privilégier les économies locales et régionales en France, plusieurs cavistes, e-cavistes et restaurateurs inquiets constatent une diminution dans leurs allocations. Restons positifs, la chartreuse après 400 ans d’histoire est toujours dans nos rayons, et les sites d’enchères tels que finespirits.auction offrent la possibilité d’acquérir des vieux millésimes ou des flacons introuvables offrant des expériences de dégustation hors du temps.

Les parties historiques de cet article ont été élaborées avec l’aide des sources suivantes :
-Chartreuse La liqueur, Chartreuse Diffusion
-Guide de l’amateur de chartreuse, Michel Steinmetz, Glénat

Monastère de la Grande Chartreuse liqueur moines 1605

Cette publication a un commentaire

  1. Jonathan

    Super article !

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