vigneron quitte appellation

Un nombre croissant de vignerons « à l’esprit libre » décide de sortir des appellations pour produire des vins de France, ce qui leur accorde une plus grande liberté d’expression. Ces vins anticonformistes ne sont plus des secrets, et leur succès désigne un certain goût pour la diversité.

L’INAO, l’institut national des appellations d’origine, l’organisme qui administre les régulations des appellations, a été crée en 1935, au départ pour protéger les plus grands vins de France dans un contexte de problèmes post-phylloxériques et liés à la contrefaçon du vin. Afin de promouvoir des vins qualitatifs – avec des standards améliorés et pour protéger les consommateurs – des AOC ont été introduites, pour prendre en compte les spécificités régionales et codifier des règles de production. Le cahier des charges d’une appellation prescrit donc des éléments significatifs de la production d’un vin, de la viticulture à la vinification et l’élevage.

Bien que l’INAO serve comme point de repère clé pour les consommateurs, l’organisme s’est trouvé dans une position contradictoire et fait souvent l’objet de critiques virulentes. L’INAO a été accusé de contribuer à la standardisation du vin, ou encore de brider la créativité des producteurs, déclassant en « vin de France » les vins qui ne correspondent pas à leurs catégories. Auparavant vin de table – le terme a été remplacé en 2009 – les vins de France sont traditionnellement considérés comme moins prestigieux dans la hiérarchie des étiquettes. Pour certains, pourtant, produire un vin sans appellation est l’ultime expression de la liberté. Partout en France, des vignerons tournent le dos à ces contraintes, produisant des vins de France afin de pouvoir expérimenter de nouveaux assemblages ou techniques de vinification, ou encore pour rétablir des cépages oubliés.

Dans une certaine mesure précurseur de ce phénomène, dans les années 1980, le domaine languedocien Mas de Daumas Gassac produisait un Vin de Table de France, grâce à des techniques de vinification non conventionnelles et un assemblage avec une majorité de cabernet sauvignon. Cela n’a pour autant pas empêché la cuvée d’atteindre un succès mondial, à la suite de critiques élogieuses, la louant comme « la Lafite du Languedoc ». Au fil des ans, de nombreux exemples de producteurs qui refusent d’être gouverné par les appellations ont émergé. En Provence, Eloi Dürrbach du domaine de Trévallon utilise des parts égales de syrah et cabernet sauvignon. L’INAO n’a donc pas approuvé son vin en AOC Baux de Provence. Une autre figure des Baux de Provence, Henri Milan – se définissant « anarchiste de droite » – a quitté l’appellation en 2007 pour gagner en liberté.

La cuvée « Vin sans Origine » de Jean-Michel Stéphan, producteur de vins natures en Côte-Rôtie, est un clin d’œil ironique à son statut de vin de France. Dans le Rhône du sud, Jerôme Bressy de Gourt de Mautens commercialise sa production en vin de France depuis 2012. Ayant réintroduit des cépages presque disparus de Rasteau – des cépages qui ne sont pas accepté dans le cahier des charges de l’appellation – il ne peut plus marketer son vin en appellation Rasteau. Les exemples sont nombreux à l’instar de l’emblématique Jean-François Ganevat dans le Jura, Domaine Yoyo et Les Foulards Rouges dans le Roussillon, Alexandre Bain et Mark Angeli dans la Loire. En juillet, un producteur phare de la Loire Louis-Benjamin Dagueneau a décidé de mettre son millésime 2017 sur le marché en vin de France, ayant été refusé l’appellation Pouilly-Fumé.

La Vallée de la Loire – l’un des berceaux des vignerons naturels – comprend un groupe de producteurs « rebelles », dont Stéphane Bernaudeau et Richard Leroy sont sans doute les plus emblématiques. Les cuvées de Leroy étaient autrefois produites en liquoreux sous l’appellation Coteaux du Layon et en sec en Anjou, elles sont désormais produites en VDF à la suite de désaccords profonds avec l’INAO. Ceci n’a pas tempéré l’enthousiasme des œnophiles – c’est même plutôt l’inverse qui s’est produit, à en croire les enchères récentes. Son vin-de-France Les Noëls de Montbenault 2016 est de plus en plus vendu aux enchères, frôlant souvent les 150€. Toutes les cuvées du domaine dépassent désormais les 100€ et les cotes ne cessent de monter.

De la même façon, l’effervescence autour de Stéphane Bernaudeau ne montre aucun signe de ralentissement. Vinifiant ses deux hectares de chenin en Anjou, une des cuvées iconiques de Bernaudeau, Les Nourrissons 2015 a été adjugé en mai 2019 pour 146€. Les vieux millésimes sont encore plus recherchés ; le 2012 dépasse souvent les 200€, ayant triplé de valeur en deux ans. On trouve avec ces deux producteurs parmi les expressions les plus fines du chenin.

2018 a aussi vu l’ascension fulgurante du domaine des Miroirs, créé en 2011 par le talentueux et avant-gardiste japonais Kenjiro Kagami. Ce domaine jurassien, qui couvre seulement 4,2 hectares de pentes abruptes de sols calcaires, se trouve à deux pas du maitre de la région, Jean-François Ganevat. 80% de sa production est exportée en terres nippones quand une centaine de flacons seulement sont destinés au marché français. Le prix de ces vins a explosé sur le marché des enchères. Le vin-de-France Ja Nai 2011 a été remporté par un amateur hongkongais pour 693€, +536% sur sa cote. La même cuvée dans le millésime 2012 a été vendue pour 565€.

Ce phénomène n’est pas, bien entendu, sans risque pour les consommateurs : si cela fait des vagues dans le mondovino français, un clivage apparait entre ce genre de new wave grand cru très exclusif, et d’autres vins de producteurs moins connus. De surcroit, on ne devrait pas sous-estimer le rôle de garde-fou contre les vins médiocres que remplissent les AOC. Néanmoins, ces vignerons artisans sont unis par leurs méthodes de vinification très naturelles, leur production de haute-qualité (dont la quantité est dérisoire), et des canaux de distribution disruptifs. Eléments qui, combinés, rendent les vins quasiment impossibles à accéder sur le marché primaire, et alimentent l’envolée des prix dans le marché secondaire. A suivre…

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Grace Halligan

Cet article a 3 commentaires

  1. Duroc

    J’ai justement encore une bouteille de Vin de France  » Les nourrissons » , l’étiquette n’indique pas de millésime, sur la facture du caviste renommé à Paris, j’ai l’année 2010.
    Je trouve qu’en terme de traçabilité c’est un peu léger, sortir de l’INAO d’accord mais à terme n’y a t il pas un risque ?

  2. Guarneri

    Le 1er rebel a été ANDRÉ PORCHEREY (Bourgogne) dans les années 90 qui q’a Promu les vins d assemblage dans ce terroir emblématique.

  3. miralles

    Il existe aussi des vignerons de talent qui quittent les guides…

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