Chaque mois, Angélique de Lencquesaing décrypte le marché du vin sur BFM dans l’émission « Tout pour investir », où elle répond aux questions de Lorraine Goumot. Il y a quelques jours, elle est venue parler de la vente des vins du millésime 2023, à Bordeaux, en primeur.
Qui dit placement, peut vouloir dire placement plaisir, voire placement iconique : tel est le thème de l’émission « Tout pour investir ». Nous allons parler aujourd’hui de la campagne primeurs, à Bordeaux, qui peut constituer un axe d’investissement intéressant. Tout d’abord,
Angélique, pourriez-vous nous rappeler le principe de l’achat de vin en primeur ?
Il s’agit d’une tradition bien établie à Bordeaux, depuis les années 1980, qui consiste pour les propriétés à vendre les vins de leur dernière récolte (en l’occurrence, celle de 2023), alors que les vins sont encore en cours d’élevage. Les clients seront livrés de leurs achats à l’issue d’une période de vieillissement des vins dans les chais, qui précède la mise en bouteille. Soit 18 à 24 mois après leur commande.
Quel est l’intérêt d’acheter en primeur ?
Il est triple :
- La certitude d’accéder à un vin rare, et parfois difficile à retrouver sur le marché, une fois qu’il sera disponible en bouteille
- Un nombre limité d’intermédiaires avant de recevoir les vins. Ceux-ci partiront de la propriété pour être livré dans nos entrepôts, avant d’arriver dans votre cave
- L’argument clé : le prix. L’attrait principal des primeurs consiste à aider le vigneron à financer ses stocks durant la phase d’élevage des vins. En contrepartie l’amateur bénéficie d’un prix inférieur à celui du vin « livrable », une fois mis en bouteille. Nous en reparlerons.
Acheter en primeur, c’est donc un pari, comment l’amateur peut-il se déterminer, et donc se lancer ?
Plusieurs indications doivent être prises en compte : la qualité du millésime, en lien avec les conditions météorologiques qui ont présidé à son élaboration, la dégustation des échantillons, et enfin, au moment de la mise en vente des vins, leur prix, bien sûr.
Commençons par le premier point, la qualité du millésime 2023 : est-elle établie ?
Le millésime a démarré par des mois relativement frais, ce qui permis d’éviter cette année un départ trop anticipé du cycle végétatif, ce que l’on appelle le débourrement. Des conditions plutôt favorables, et bienvenues pour éviter aux jeunes pousses de subir les gels de printemps. En revanche, le printemps humide et frais, consécutif à des températures hivernales qui ne sont pas descendu si bas, a préparé le terrain pour des attaques de mildiou. Cette maladie a particulièrement affecté les merlots. L’été relativement frais a laissé place à un mois de septembre caniculaire, lui, qui a favorisé le mûrissement des baies, et a ouvert la voie pour que la récolte se déroule dans de bonnes conditions. A l’exception d’un épisode de pluie, autour du 20 septembre, qui a fait la différence dans le Médoc, entre les propriétés qui ont vendangé avant, et celles qui ont fait le choix d’attendre. A ce titre, la qualité du millésime est bien présente, mais elle nécessite un certain discernement car elle n’est pas homogène.
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C’est la dégustation qui permet d’affiner la perception, donc. Y avez-vous participé ?
Oui, depuis 15 ans, notre équipe est présente à Bordeaux durant la « fashion week du vin », pour déguster les vins du millésime. Nous commercialisons au travers du site Primeurs iDealwine les vins d’environ 200 propriétés, auprès desquelles nous disposons d’allocations.
Comment s’organisent ces dégustations, et que peut-on en déduire pour le 2023 ?
La mécanique est bien rôdée. Durant le mois d’avril, les propriétés ont préparé des échantillons du vin, tel qu’il s’annonce : l’assemblage des différents cépages qui composent le vin est réalisé, et les dégustateurs spécialisés affluent pour goûter ce millésime, échanger avec les propriétés pour comprendre les conditions dans lesquelles le vin a été élaboré. Tout cela, avant de rédiger leurs commentaires et, le cas échéant, attribuer une note au vin, et distribuer leurs coups de cœur.
Certaines appellations, ou certains vins sortent-ils du lot cette année ?
La dégustation est toujours un exercice d’humilité. Humilité que nous devons aux vignerons, aux équipes qui ont œuvré pendant une longue année, et même bien plus si l’on considère les travaux menés dans le vignoble et dans les chais pour parfaire les installations. Qui sommes-nous pour juger un vin en quelques minutes ? Pour autant, certaines caractéristiques ressortent lors de la dégustation. Elles peuvent être homogènes au sein d’une région, d’une appellation. Cela n’a pas été le cas avec les 2023.
Trois éléments entrent en ligne de compte :
- le premier tient au sol sur lequel est implanté la vigne,
- le deuxième à la date de vendange,
- et enfin aux choix d’assemblage, ainsi qu’aux décisions prises en termes de vinification.
Comment s’y retrouver, alors ?
Il serait hasardeux de tirer des généralités de ce millésime assez technique, un millésime « de vigneron ». Si l’on prend la notion de terroir, il apparaît que les vignobles constitués de sols argilo-calcaires ont été un atout en 2023, car ces derniers ont permis de conserver l’eau, et d’hydrater la vigne même en période de sécheresse durant l’été. En termes d’assemblage, les cabernets francs implantés sur les parcelles argilo-calcaires ont été très réussis. Les merlots, on l’a vu, ont souffert du mildiou. Dans le Médoc, les cabernets sauvignon ont été les grands gagnants de la fin de l’été et de l’été indien, pour les domaines qui ont attendu avant de vendanger.
Les vins qui nous en semblé les plus réussis sont marqués par la fraîcheur, un bel équilibre. Leur profil est plus floral, élégant, moins fruité que celui des 2022. Les 2023 sont pour la plupart sapides et devraient être prêts à boire relativement rapidement.
Pour autant, ses vins disposent d’un beau potentiel de garde, assuré par le beau niveau d’acidité relevé lors des dégustations.
Oui, mais si l’on parle investissement-vin, le 2023 constitue-t-il un bon placement ?
Les vins techniquement réussis, et qui font l’objet d’un consensus favorable de la part des grands dégustateurs français et anglo-saxons, sont de bons candidats au placement… à condition que le tarif soit attractif. Ce dernier est connu au moment où la propriété annonce la mise sur le marché de son 2023.
Si j’ai bien compris, les prix s’annoncent en baisse, depuis le début de la campagne de vente en primeur, c’est bien cela ?
La campagne a démarré très tôt, quelques jours à peine après la fin des dégustations, ce qui est inhabituel. La pratique consiste à attendre la sortie de l’ensemble des notes de dégustation, et de débuter la commercialisation du millésime vers la mi-mai. Cette année, les mises en marché se sont bousculées. Même certains premiers crus classés, habitués à patienter pour mettre en vente leur primeur au cœur de la campagne, ont déjà dégainé. La raison ? Sans doute une volonté de frapper un grand coup pour donner un rythme à la campagne, dans un marché actuellement peu porteur, affecté par les tensions géo-politiques et un contexte économique moins favorable.
Les grands crus ont donc accepté d’importantes baisses de prix, pour prendre en compte ce contexte ?
La campagne a débuté avec des annonces fortes, émises par des propriétés qui ont produit un magnifique 2023. Le Château Lafite Rothschild, qui est l’une des grandes réussites du millésime, est ainsi commercialisé à un prix en baisse de 32% par rapport à son 2022 (572€), et Mouton Rothschild est même allé encore un peu plus loin (-38% à 460€). Toutefois, cette tendance ne se généralise pas : le Château Cheval Blanc, qui a produit un grandiose 2023, a fait le choix d’une baisse de cours certes significative, mais plus modérée (-18%, 540€). Il faut dire que cette propriété a toujours été connue (et reconnue) pour la modération de ses hausses de prix, dans les grandes années. Même choix au château Léoville Barton qui a produit un 2023 charmeur et délicat (-13%, 78,10€).
En tout état de cause, l’attrait de ce millésime est sa qualité, conjuguée à une politique tarifaire qui s’oriente pour l’instant vers des prix attractifs. Ce millésime pourrait donc se révéler l’une des belles opportunités de ces dernières années, comme 2008 et 2019 l’avaient été en leur temps.
Quelle est la durée pendant laquelle il faut conserver un vin pour en espérer une plus-value ?
Le placement vin est un placement à 8-10 ans au minimum. Parmi les Bordeaux vendus l’an dernier sur iDealwine via les enchères, donc sur le marché secondaire, la moitié est issue de millésime antérieurs à 2010. On est alors à l’apogée des grands crus bordelais, apogée qui correspond aussi au meilleur moment pour revendre.
Pour finir sur 2023, c’est donc un millésime de connaisseur ? Avez-vous quelques conseils à nous donner pour bien acheter ?
Cinq conseils :
- Ne pas commander les yeux fermés. Préparez vos achats, en lisant et comparant les notes et commentaires, afin d’établir une liste des vins privilégiés
- Mettre en bonne place sur votre liste les vins les plus rares (petits domaines, vins difficiles à trouver, que l’on ne retrouvera pas dans toutes les foires aux vins de 2026)
- Placer des alertes sur les vins recherchés pour être prévenu(e) dès leur mise sur le marché
- Ne pas hésiter à demander une mise spéciale, notamment pour les vins issus de propriétés de grande superficie (dans le Médoc notamment) : qu’il s’agisse de magnums, ou de double-magnums, ces vins seront plus rapidement rares et difficiles à retrouver sur le marché secondaire, ce qui contribue à les valoriser.
L’essentiel est de garder en tête que Bordeaux reste une marque de forte notoriété et de réputation planétaire, même si l’amateur doit aujourd’hui faire preuve d’un discernement renforcé dans ses choix patrimoniaux. Bons achats, vous allez vous régaler avec ces 2023 !