Chaque mois, Angélique de Lencquesaing, co-fondatrice d’iDealwine, commente les dernières tendances du marché au sein de l’émission BFM Patrimoine. Interviewée par Stéphane Pedrazzi il y a quelques jours, elle évoquait les dégustations du millésime 2022, à Bordeaux, acclamé par la critique. Une année à mettre en cave ? Interview.
Stéphane Pedrazzi : Angélique de Lencquesaing, avec l’équipe d’iDealwine vous avez participé aux dégustations du millésime 2022, préalables à leur vente en primeur. Manifestement, cette année s’annonce exceptionnelle. Vous confirmez ?
Il semble, oui, que Bordeaux ait produit l’une de ses plus belles récoltes, effectivement. Michel Bettane, le dégustateur qui a été l’un des premiers à mesurer le potentiel des extraordinaires 1982, a lui-même reconnu que « en 45 ans de suivi régulier des vins de Bordeaux, [il] ne [croit] pas avoir déjà vu naître un aussi grand millésime ». Beaucoup de propriétaires sont au diapason. Et pourtant, la climatologie n’annonçait pas un parcours tranquille pour la vendange 2022, rien à voir avec les millésimes « chaise longue » qu’ont pu être 2010 ou 2016.
L’année 2022 a été caniculaire, en effet ?
Oui, après un hiver rigoureux qui, d’une certaine manière, a préparé la vigne à se développer dans des conditions difficiles, le printemps, froid et pluvieux, a connu quelques épisodes de gel en avril. Retournement de situation ensuite ! Les mois de mai et juin, et plus encore l’été, ont soumis la vigne à des conditions extrêmes de chaleur et de sécheresse. L’un des points passionnants de nos visites dans le vignoble a été les échanges avec les responsables techniques qui nous ont permis de découvrir ainsi l’ingéniosité, la créativité dont ils ont fait preuve pour composer avec ces conditions climatiques inédites : agro-foresterie, choix de taille dans la vigne, semis de fleurs et de plantes destinées à booster l’énergie de la vigne (trèfle, féverole, vesce)… jusqu’à l’application d’argile sur les feuilles, une sorte de crème solaire pour la protéger !
Les vins sont-ils plus puissants du fait de ces fortes chaleurs ?
Le degré d’alcool, et la puissance des vins qui en résulte se jouent à la vigne et au chai. A la vigne, une vendange précoce permet de récolter des raisins à juste maturité et éviter les notes confites qui signent des millésimes chauds. Cette année les conditions ont été idéales, avec un tunnel de six semaines ensoleillées, ce qui a facilité la vendange. Deuxième critère : les choix effectués au chai. Il fallait cette année agir avec délicatesse, avoir la main légère sur les extractions. Les élevages aussi ont changé. Le bois neuf est encore présent, mais dans de moindres proportions. Des contenants longtemps jugés exotiques ont aujourd’hui trouvé leur place dans les chais, des amphores notamment, qui agissent tant sur la texture que sur la fraîcheur des vins.
Donc, le résultat, c’est un grand, un immense millésime, si je décrypte votre message.
Oui, à condition de ne pas être tombé dans les excès liés à ce millésime extrême, et d’avoir surveillé chaque pied de vigne comme le lait sur le feu. Après de telles épreuves climatiques, la vigne a fait preuve d’une extraordinaire résilience qui a surpris les vignerons eux-mêmes. De très belles réussites sont à la clé. Dans certaines propriétés, les équipes ont décidé de conserver l’essentiel de la récolte dans le grand vin, ce qui est rare. C’est le cas au Château Cheval Blanc par exemple, où il n’y aura pas de second vin cette année, ou encore à Figeac, qui ne produira qu’une infime quantité de son Petit Figeac.
Faut-il investir dans le millésime 2022 ?
La question est sur toutes les lèvres ! Pour mémoire, les vins achetés au printemps 2023 seront livrés d’ici un à deux ans, une fois mis en bouteilles. L’objectif est que le prix du flacon se soit, entre temps, valorisé. Le millésime 2022 suscite un réel intérêt auprès des amateurs. Les demandes d’informations affluent chez iDealwine, et c’est bon signe. Après un millésime 2021 moins recherché, nous sommes heureux de commercialiser ce 2022. Pour autant, la campagne n’a pas encore trouvé sa dynamique.
C’est une question de prix ?
Certaines propriétés annoncent des hausses tarifaires de 20, voire 30%. L’augmentation passe difficilement auprès du marché, dans un contexte économique si peu favorable. Depuis quelques mois, les hausses de taux détournent les investisseurs des placements alternatifs comme le vin. J’ajoute un point, qui peut sembler un détail mais qui a un impact. Désormais, les vins sont facturés non plus hors taxe (avec un règlement de la TVA au moment de la livraison) mais TTC. Facialement, l’effet inflationniste est décuplé.
Certaines mises en marché ont suscité un bel engouement, ce fut le cas pour Cheval Blanc. Le marché en espère d’autres pour relancer la dynamique et attirer les acheteurs.
En attendant, l’amateur peut préparer ses achats… Faut-il privilégier une appellation, un cépage en particulier ?
Pas réellement, non. Les vins dans l’ensemble se sont révélés très agréables à déguster, avec un très beau fruit, pur, une concentration impressionnante, de jolies textures offrant à la fois le velouté et le caractère crémeux d’un tiramisu, et l’aspect crissant d’une soie sauvage. Certains semblent déjà prêts à boire, avec, pour autant, un beau potentiel de garde.
En termes de cépage, les petits grains de cabernet sauvignon étaient superbes, les cabernets francs qui étaient depuis quelques années l’atout fraîcheur de la rive droite ont finalement été éclipsés cette année par la qualité des merlots. Plus fragiles et souvent compliqués à vinifier lors des années chaudes, ces derniers ont surpris tout le monde par leur qualité ! Ils ont retrouvé une place de choix dans les assemblages. Tout dépend des sols aussi, les terroirs argilo-calcaires ont fait des merveilles. D’extraordinaires réussites ont ainsi été dégustées un peu partout.
Ça va être difficile de choisir…
C’est plutôt un bon problème ! Il est important de décrypter les analyses menées par les dégustateurs professionnels, les guides. Privilégier les vins disposant d’un bon potentiel de garde. Les niveaux d’acidité dans les vins sont à cet égard déterminants. Au sein de l’équipe iDealwine, nous n’attribuons pas de notes, mais nous livrons nos coups de cœur. Nous avons beaucoup apprécié les vins produits à Saint-Emilion. Outre Cheval Blanc et Figeac, des propriétés telles que Château Canon, Larcis Ducasse, Pavie Macquin, Canon ou Troplong-Mondot ont fait des étincelles, de même que Clos Fourtet, Ferrand ou Laroque. A Pomerol, La Conseillante et Le Pin ont produit un éblouissant 2022.
Et rive gauche, dans le Médoc, et à Pessac-Léognan, les réussites sont aussi nombreuses ?
Le cépage phare du Médoc, le cabernet sauvignon, est en pleine gloire avec le millésime 2022, prodigieux dans cette partie du vignoble. Malgré la chaleur, les vins conservent un profil frais, élégant, racé. Le 2022 de Château Lafite Rothschild en fournit l’illustration. Nous avons aimé la concentration de Pichon Baron, le caractère envoûtant de Pontet Canet, la complexité aromatique de Lynch Bages, la minéralité de Cos d’Estournel, l’énergie de Phélan Ségur et de Meyney… A Pessac, il faudra compter avec le très charmeur Domaine de Chevalier, le subtil Haut-Bailly, l’impressionnant Smith Haut Lafitte… Parmi encore d’autres. Le prix va décidément être déterminant pour l’acheteur.
Certaines appellations sont réputées plus facile à goûter que d’autres, en primeur, notamment Saint-Julien… D’autres sont souvent plus hétérogènes, comme au sein de l’appellation Margaux…
Oui, les vins sont particulièrement charmeurs à Saint-Julien, avec une belle finesse de grain et une remarquable fraîcheur, là encore, notamment à Léoville Barton, Talbot ou Gloria. A Margaux, où la puissance alcoolique de certains vins a pu surprendre l’équipe, Château Rauzan Ségla s’est distingué, de même que Durfort Vivens et Siran.
Notons que dans ce millésime d’anthologie, il est important de regarder aussi du côté des appellations satellites de Saint-Emilion, qui bénéficient d’un terroir assez proche, offrant des vins plus abordables. Nous avons par exemple apprécié la dégustation de Château Canon Pécresse (Canon Fronsac) ou encore Alcée, en Côtes de Castillon. A bon entendeur…
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