
Aujourd’hui, plutôt que de commenter l’impact des taxes imposées à l’Europe sur ses produits, et particulièrement ses vins et spiritueux, retournons les projecteurs sur le marché américain, premier consommateur de vin au monde. La production viticole américaine mérite l’intérêt : d’ailleurs, les vignerons français ne sont pas étrangers à leur succès. La part des vins produits en Californie ou dans l’Oregon reste cependant infime dans les caves des amateurs. Faut-il s’y intéresser ? C’est ce que Lorraine Goumot a souhaité décrypter il y a quelques jours en interrogeant Angélique de Lencquesaing dans son émission Tout pour investir, sur BFM Business.
Les vins américains font donc partie des vignobles du « Nouveau Monde », selon l’expression consacrée ?
Le Nouveau Monde n’est en réalité pas si nouveau que cela. Cette expression est en effet utilisée pour qualifier les vignobles où l’on produit du vin depuis moins de 400 ans environ… 400 ans, tout de même ! Il s’agit donc des vignobles situés hors d’Europe et du Moyen Orient, pour simplifier. Comme souvent, la culture de la vigne est étroitement liée à la religion. La vigne s’y est développée avec l’arrivée des premiers colons, et notamment les Huguenots (protestants chassés de France par la révocation de l’Edit de Nantes en 1685). Au XVIIIème, les missionnaires espagnols ont planté les premiers ceps en Californie pour produire du vin de messe. La vigne s’est ensuite répandue dans cette région, soutenue par un ambassadeur de choc, Thomas Jefferson (en France de 1785 à 1789).
Les Etats-Unis ont sauvé le vignoble français atteint par le phylloxera
Oui, lorsque le phylloxera a détruit progressivement le vignoble français à partir des années 1870, les porte-greffe américains, résistants aux attaques du funeste insecte, ont permis de replanter les vignes. Le marché américain connaîtra un passage à vide durant la prohibition, au début des années 1920. Le vignoble va retrouver son essor à partir des années 1960 grâce à quelques figures visionnaires comme celle de Robert Mondavi.

On connait avant tout du vignoble américain celui de la Côte Ouest, dans la Napa Valley, en Californie…
Oui, et d’ailleurs Robert Mondavi a été l’un des artisans de sa notoriété. On connaît particulièrement en France Opus One, le vin produit main dans la main avec le Baron Philippe de Rothschild (propriétaire à Pauillac du Château Mouton Rothschild). 90% du vignoble américain se trouve en Californie. Si la Napa Valley, située à l’intérieur des terres (à 160 km de l’océan environ), se caractérise par un climat chaud, d’autres vignobles comme la Sonoma Valley bénéficient de la fraîcheur de l’océan. La Russian River Valley est également renommée pour cette caractéristique.
Les cépages européens y sont à l’honneur…
Oui, la Californie est le royaume du cabernet sauvignon, tandis que dans la Sonoma Valley, le climat plus frais est favorable au chardonnay et, en rouge, pinot noir, et au merlot. La production locale a d’ailleurs popularisé le nom des cépages avant même le nom des producteurs, une façon de vendre qui ne nous est pas si familière.
On trouve aussi, plus au sud dans la Central Coast des cépages rhodaniens comme la syrah. La côte ouest produit aussi des vins issus de cépages bien connus en Alsace, riesling et gewurztraminer, et aussi du zinfandel, d’origine croate.
Il existe également des vignobles intéressants au-delà de la Californie ?
Oui, absolument, notamment dans l’Oregon. Il s’agit d’un vignoble beaucoup moins étendu (sa superficie est comparable à celle du Beaujolais, 10 000 hectares), mais ses caractéristiques – la fraîcheur avant tout – sont favorables au pinot noir. D’ailleurs, les vignerons bourguignons ne s’y sont pas trompés, et ont investi sur les terres de la Williamette Valley il y a déjà plusieurs décennies pour la famille Drouhin (fin des années 1980) ou, plus récemment pour Jean-Nicolas Méo (domaine Méo-Camuzet), qui s’est associé au producteur de musique Jay Boberg pour créer le domaine Nicolas & Jay. Plus au nord encore, dans l’État de Washington, le pinot noir est aussi cultivé. Sur la côte Est, la vigne pousse au nord de l’État de New York.

Mais alors que représente ce vignoble pour les amateurs ?
Le vignoble américain est relativement exigu, au regard de la superficie du pays : avec 392 000 hectares de vignes (soit 0,04% du territoire américain) il hisse pourtant des Etats-Unis au 4ème pays producteur mondial derrière l’Italie, la France et l’Espagne.
En termes de consommation, si les Américains ne boivent « que » 11,8L de vin par an et par habitant âgé de plus de 15 ans -contre 44L en France – le pays a consommé 33,3M d’hectolitres en 2023, ce qui en fait le premier consommateur mondial de vin. Un marché stratégique donc, non seulement pour les vins produits sur le sol américain, mais bien sûr également pour les vins importés.
Les vins américains sont-ils exportés, et présents dans les caves des amateurs du reste du monde ?
La majeure partie des vins américains reste sur le territoire. Moins de 15% de la production est exportée, et en revanche, les Etats-Unis ne produisent pas suffisamment pour satisfaire leur demande intérieure, ils importent plus d’un tiers de leur consommation. Le résultat que nous notons sur le marché secondaire, et particulièrement sur iDealwine, c’est sans surprise une proportion minime de vins américains présents aux enchères.
Ce qui est intéressant dans les enchères iDealwine, c’est que les caves vendues sont françaises pour l’essentiel, et également belges ou italiennes. Ces caves contiennent moins de 1% de vins américains (400 bouteilles ont été adjugées l’an dernier, sur plus de 260 000). Cette proportion minime reflète la difficulté à trouver ces vins en dehors du territoire.

On trouve des vins américains qui sont la propriété de groupes ou de familles françaises ?
Oui, le groupe LVMH possède plusieurs vignobles, dont celui de Joseph Phelps (Napa, Sonoma), et Colgin (Napa). Roederer a racheté Diamond Creek (Napa), la famille Cathiard (Smith Haut Lafitte) est quant à elle implantée dans la région de Rutherford, au sud de St. Helena. Le groupe Pernod Ricard est également présent depuis une dizaine d’années en Californie (Kenwood), tandis qu’Axa exploite notamment Platt Vineyard dans la Sonoma.
Peu de vin américain dans les enchères, donc, mais comment se valorisent-ils dans les ventes ?
Très bien ! Précisons que le prix des vins américains est généralement élevé à la sortie du domaine. Sans surprise, les prix moyens aux enchères sont également fortement valorisés : ils ont atteint l’an dernier 200€ la bouteille, un niveau supérieur à la moyenne générale observée sur le marché des ventes aux enchères (149€). Ça, c’est pour la moyenne. Mais un point vraiment frappant c’est que parmi les 50 vins les plus chers de l’an dernier, figure… un vin américain. Au milieu d’un océan de vins bourguignons (49 sur 50), le seul outsider est un flacon de Screaming Eagle. Le premier millésime produit par ce domaine, 1992, a été adjugé 11 250 €…
Il est donc intéressant de rechercher les vins américains pour les faire entrer dans sa cave ?
Le propre de l’amateur de vin est de faire preuve de curiosité. Donc oui, ces dernières années nous avons constaté un accroissement de la part occupée par les vignobles étrangers dans les catalogues de vente aux enchères. Cette proportion reste minime (moins de 6 %) mais elle croît et surtout, elle suscite un réel engouement. Les vignobles américains recèlent de véritables pépites, et notamment des domaines de petite taille (5 ha pour Nicolas & Jay, 11 ha pour Cathiard Vineyard, 50 ha pour le vignoble de la famille Drouhin dans les Dundee Hills, Willamette Valley, 68 ha pour Opus One, 20 ha pour Colgin Cellars), microscopiques à l’échelle du pays. A ce titre, ces vins qui restent des exceptions au sein d’une cave constituent des collectors hautement désirables.