Interview BFM gérer sa cave

Angélique de Lencquesaing, co-fondatrice d’iDealwine, publie chaque année avec son équipe le Baromètre des enchères de vin. Un opus de 160 pages qui passe en revue les grandes tendances de ce marché bien spécifique. Elle répond aux questions du journaliste Cédric Decoeur, qui anime chaque matin l’émission BFM Patrimoine.

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Cédric Decoeur : Angélique de Lencquesaing, vous publiez chaque année un document que les amateurs considèrent comme une bible du placement dans le vin, le Baromètre des enchères iDealwine, nous allons donc en parler aujourd’hui. En quoi est-il si utile aux collectionneurs ?

Une Bible, je ne sais pas… en revanche c’est notre marronnier à nous, ce moment de l’année où le lierre grimpe sur la façade, les bouteilles s’accumulent dans la cave, ce moment où il est temps de mettre un peu d’ordre dans leur cave….

Le Baromètre un outil précieux, mais surtout unique au monde. Les 160 pages de ce document, loin de se cantonner à l’étude des principales régions viticoles (le traditionnel trio Bordeaux, Bourgogne et vallée du Rhône) offrent au contraire une vision beaucoup plus large : 14 vignobles, dont 12 en France, sont passés au scanner de l’analyse, au travers du prisme des ventes aux enchères de vin.

En quoi les ventes aux enchères sont-elles un indicateur si précieux du marché ? Cela fait des années que vous venez sur ce plateau, donc j’ai une petite idée, mais nos auditeurs ont peut-être besoin de quelques explications …

C’est très simple, il faut considérer trois points. Le premier, c’est le prix, bien sûr. Le prix d’équilibre qui s’établit sur le marché secondaire des enchères résulte de la confrontation de l’offre et de la demande. C’est donc un prix objectif, et non un prix affiché. Il apporte des indications précieuses sur les vins, les domaines, les régions, les millésimes que le marché recherche…. ou boude.

Deuxième point, la profondeur du marché : aux enchères, les vins sont issus des caves d’amateurs particuliers qui revendent leur collection, entière ou pas, parfois quelques bouteilles seulement. La gamme de millésimes disponibles peut couvrir un siècle ! Une profondeur de marché précieuse pour l’analyse.

Troisième point : les acteurs de ce marché, les acheteurs dans les ventes aux enchères. Il s’agit, pour une bonne part d’entre eux, d’amateurs éclairés. Leur comportement préfigure les futures évolutions du marché. C’est donc logiquement leurs choix que nous décryptons dans le Baromètre pour cerner l’état de la demande mondiale.

Comment faites-vous pour avoir une vision globale du marché ?

Nous suivons de près l’ensemble des ventes qui se déroulent dans l’Hexagone. Mais il faut savoir qu’en 2022, une bouteille sur trois, adjugée en France, est passée sous le marteau d’iDealwine. Ce qui nous fournit une matière d’analyse passionnante, avec pas moins de 200 000 flacons adjugés à des amateurs issus de plus de 60 pays. Encore une fois, les vins présents dans nos catalogues ne se limitent pas au triptyque que vous évoquiez. J’ajoute que ce Baromètre est publié depuis plus de 10 ans, notre analyse s’affine d’année en année.

Alors rentrons dans le vif du sujet. Justement, vous parlons-en, de ce triptyque Bordeaux, Bourgogne, Rhône, comment ces régions se comportent-elles dans les ventes, et quels enseignements l’amateur doit-il en retirer ?

En regardant la répartition des vins par région, l’amateur tire déjà des enseignements précieux pour gérer sa cave et bien répartir les vins qui la composent. Le premier, c’est la place de Bordeaux dans les achats. Toujours première en volume – 36,6% des échanges l’année dernière, un bon tiers – mais une part qui diminue régulièrement, en volume et plus encore en valeur, notamment au profit de la Bourgogne.

Est-ce à dire qu’il faut se limiter à quelques valeurs sûres de Bordeaux, et si oui, auxquelles ?

Tout dépend de votre objectif : placement, ou consommation, le mieux consistant à garder en tête le double objectif, et même de privilégier l’idée de la consommation.

Si vous consommez les vins, votre placement s’évapore…

Oui, mais si votre objectif est la consommation, vous allez y regarder de près avant d’acheter, choisir les bons domaines, les vins qui se garderont bien, les vignerons talentueux, les domaines qui travaillent bien… avant toute chose. Ce faisant, vous valoriserez d’autant mieux votre cave.

Donc pour revenir aux choix de Bordeaux ?

L’un des intérêts majeurs de ce Baromètre, c’est qu’il dresse non seulement des palmarès des propriétés les plus échangées – les plus liquides, sans mauvais jeu de mot –. Mais aussi, il donne une liste des vins qui ont fait vibrer le marché l’année dernière. Autant d’indications précieuses pour effectuer les bons choix. J’ajoute qu’il est toujours intéressant d’agrémenter ses achats d’ingrédients susceptibles de faire grimper plus rapidement la rareté : choisir un domaine de taille (et de production) limitée, et, dans les domaines plus étendus, privilégier les grands formats, par définition moins courants.

Et donc, la Bourgogne, c’est LA région qu’il faut acheter actuellement ?

C’est en tout cas celle qui a concentré l’attention des amateurs l’année dernière, ou tout du moins durant les 8 premiers mois de l’année 2022. La Bourgogne est donc la première région échangée en valeur (45,2%) avec seulement 22,8% des volumes, et un niveau de prix moyen qui s’est envolé de +59% pour s’établir à 384€ la bouteille.

A ces niveaux de prix, la région devient parfaitement inabordable ?

Oui et non. La bouteille la plus chère de l’année est un musigny 2006 du domaine Leroy, adjugé 34 100€à un amateur suisse (+21% par rapport au précédent record sur un flacon identique, établi en 2021). Certains domaines ont vu leurs cours s’envoler, avant de se stabiliser en fin d’année, voire de baisser ces dernières semaines. Il s’agit là de la conséquence d’une concentration extrême de la demande, observée l’année dernière sur une poignée de signatures, les fameux « BIG 6 » que nous avons déjà évoqués (Leroy, d’Auvenay, Rousseau, Roumier, et deux vignerons travaillant dans l’esprit nature, Bizot et Charles Lachaux).

En revanche, il faut noter que à Chablis, d’une part, et plus encore dans le Mâconnais et la Côte Chalonnaise, ainsi que – dans une moindre mesure car les cours s’y envolent – en Côte de Beaune, le prix moyen des flacons adjugés demeure attractif. A suivre de près, donc.

Interview BFM gérer sa cave 2

Et pour achever ce triptyque, quid de la vallée du Rhône ?
Les vins échangés sont relativement stables, dans le temps, en volume comme en valeur, entre 11 et 13% des échanges. Là encore, nous avons assisté à une concentration de la demande sur quelques domaines stars, avec pour corollaire des prix qui sont demeurés sages sur pléthore de vignobles qui méritent absolument l’attention. La vallée du Rhône bénéficie d’une aura mondiale, c’est un point à considérer dans le cadre d’un choix patrimonial. Les vignerons sont contraints depuis de longues années à s’adapter aux contraintes du réchauffement climatique. Le succès des vins blancs de cette région (11,5% des échanges) en atteste.

Que reste-t-il pour les autres régions, hors de ce triptyque ? Est-ce réellement une opportunité pour l’amateur ?

Hors de ce triptyque, les 12 autres régions ou zones viticoles ont représenté 27% des échanges 2022 en volume et 17% de la valeur. Un réservoir de valeur, donc, qui mérite tout l’intérêt de l’amateur. Les régions qui ont le plus bénéficié d’une réallocation des achats sont la Champagne, en tout premier lieu. Face à une envolée des ventes, un extraordinaire rebond post pandémie qui a vu les volumes expédiés frôler les niveaux records de 2007, les amateurs sont venus chercher dans les catalogues d’enchères les flacons qu’ils ne pouvaient acquérir dans les réseaux traditionnels. Il s’en est suivi une envolée des prix moyens, à 259€ (+42%).  Les deux autres régions qui ont le plus bénéficié, en volumes échangés d’une réallocation des vins sont le vignoble italien et le Jura.  

On a bien compris que chaque région est analysée pour extraire les noms des domaines à suivre plus particulièrement. Pour autant, la situation économique, les nuages qui s’amoncèlent sur la finance mondiale ne sont pas de nature à rassurer l’investisseur. Pardonnez-moi de le dire abruptement, mais votre Baromètre, qui établit les palmarès sur la base des échanges de 2022, n’est-il pas déjà obsolète ?

Comme à la Bourse, les résultats passés ne sauraient présager des performances futures. Bien sûr, cet adage s’applique au marché du vin. Mais le baromètre reste utile pour comprendre où se concentre la demande, d’une part, quels sont les vins « trophées » à faire entrer dans une collection d’exception. Le succès des grands vins du Piémont, en Italie, en est l’une des illustrations. Et, d’autre part, le Baromètre est plus que jamais, cette année, une incitation à tourner le regard ailleurs, à revenir à certains classiques qui ont injustement été sous-valorisés (à Bordeaux, notamment, mais aussi dans la vallée du Rhône, dans la Loire aussi, ou en Alsace). Les opportunités sont nombreuses en 2023, une année passionnante se profile pour les amateurs en quête de prix attractifs.

Justement, pour finir, un mot des Primeurs de Bordeaux, dont la commercialisation va bientôt débuter. Vous en revenez, et nous aurons l’occasion d’en reparler plus abondamment. Les prix vont-ils prendre en compte la situation économique actuelle ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que, cette année plus que jamais sans doute, le fossé se creuse entre l’enthousiasme des propriétaires et la situation du marché. Les propriétaires sont euphoriques, et ce à juste titre. Ils ont produit un millésime d’anthologie. L’un d’entre eux, à Pomerol, présentait le  2022 comme le « millésime du siècle… non, du millénaire » ! Les premières dégustations en attestent, les vins ont réussi le tour de force de conserver une fraîcheur élégante, alliée à une suavité amplifiée par la belle maturité de la récolte, le tout, dans un millésime marqué par une canicule et une sécheresse historiques. Pour autant, le marché pourra-t-il, cette année encore, accepter une hausse de prix ? Réponse dans les prochaines semaines lorsque la campagne débutera réellement. Ce qui est certain, c’est que l’intérêt des amateurs est à juste titre manifeste, et très amplifié cette année.

Vous l’aurez compris : pour patienter en attendant les primeurs, nous ne saurions trop vous recommander de lire l’analyse du Baromètre iDealwine 2023

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