Le nouveau classement de Saint-Emilion, contrairement au précédent, n’a pas encore créé de grandes polémiques. Néanmoins plusieurs professionnels s’interrogent sur certains choix, dont, entre autres, la tolérance de la commission pour la fusion entre deux châteaux : Bélair-Monange et Magdelaine.
Le nouveau classement de Saint-Emilion se présente à priori sous un jour plutôt consensuel, récompensant nettement plus de châteaux qu’il n’en écarte. Ceux qui ont œuvré pour sa révision ont visiblement tout fait pour que leurs décisions ne suscitent pas trop de vagues. Dans un certain sens ils ont parfaitement rempli leur mission, les résultats de leur travail ayant été plutôt accueillis dans le calme, ce qui n’avait pas du tout été le cas du classement précédent.
Mais après quelques jours de décantation, nombreux sont ceux qui pointent du doigt certains travers de ce nouveau classement.
La première constatation, comme le souligne Stéphane Derenoncourt en se confiant à Nicolas de Rouyn (de l’équipe Bettane & Desseauve), c’est que « Saint-Émilion était la seule appellation où les crus étaient classés en fonction des terroirs, maintenant on a l’impression que c’est très inspiré du 1855. » C’est en effet une véritable révolution qui a été très discrètement médiatisée… Et plusieurs critiques s’offusquent d’un classement plus fondé sur le prix de vente ou la notoriété d’un vin que sur la qualité des sols sur lesquels il est produit… Mettre sur le même plan que ceux d’Ausone les terroirs de L’Angélus, voilà une décision qui suscite aujourd’hui le débat… et qui risque d’amener les vins de Saint-Emilion, à l’instar de ce qui se fait depuis 1855 rive gauche, à devenir des vins dont la qualité est garantie par l’engagement d’une marque, le nom du château (même si les vignes ont considérablement bougé d’années en années), et non par l’emplacement des vignes. Cela paraît un peu curieux quand on défend par ailleurs la notion de grand terroir… On imagine mal, par exemple, le grand cru Romanée-Conti changer progressivement de place au fil des siècles …
Le second point qui interpelle de nombreux experts c’est le critère gustatif qui semble avoir été le fil conducteur des promotions de ce classement. Comme le souligne avec finesse Jacques Dupont dans Le Point, « Plus inquiétant peut-être, le profil gustatif de beaucoup de ces vins peut paraître assez éloigné du style bordeaux traditionnel, tannique, mais frais, dynamique et d’une forte capacité de garde. Un certain nombre de crus distingués relèvent davantage de normes gustatives internationales et de pratiques (surmaturité, surextraction des tanins, richesse alcoolique, boisé dominateur) qui éloignent à la fois du terroir et du plaisir de boire avec les mets. » Qui goûtera côte à côte Ausone et Pavie comprendra parfaitement les propos de Jacques Dupont ! Et ce n’est pas la grande critique anglaise Jancis Robinson qui le démentira…
Dernier point enfin, la commission a fermé les yeux sur certaines fusions de domaines, en particulier celle entre Bélair-Monange et Magdelaine qui prendra uniquement le nom du premier (mais aussi Grand Corbin avec Haut Corbin et Cadet Piola fondu dans Soutard tout comme Château Matras dans Château Canon). Il n’est évidemment pas question d’interdire des regroupements capitalistiques, mais doit-on pour autant accepter qu’on puisse “fusionner” les vins ? Une telle idée donne la migraine à Michel Bettane en personne, sur le Blog du Grand Jury Européen : « Et que dire de la monstruosité de la fusion entre Belair (idiotement complété il y a peu par un inutile Monange) et Magdelaine, qui montre simplement le mépris des propriétaires pour la grande tradition historique de Saint-Emilion (deux châteaux, deux terroirs proches mais différents, deux cuviers, deux vins qui ne se sont jamais ressemblés), sinon la gentillesse excessive de la commission qui a accepté de masquer un déclassement largement mérité par un élargissement d’assiette foncière… » Rappelons en effet que le terroir de Bélair est l’un des plus beaux de Saint-Emilion (Bélair a fait longtemps partie du même domaine qu’Ausone). Le nouveau classement consacre donc sa « dilution » dans d’autres sols moins nobles…
En voulant faire plaisir à tout le monde (le nombre des “simples” grands crus classés est passé de 46 à 64 entre deux classements…) la commission a fini par prendre des risques aux yeux de quelques professionnels et même des amateurs pointus qui ont fait les mêmes constatations (par exemple sur le Forum de La Passion du Vin). A l’inverse, il est probable que le marché mondial n’y voit que des avantages, la situation étant enfin clarifiée après quelques années de flottement (jamais bon pour le commerce !) et le nombre de nouveaux lauréats garantissant a priori des prix globalement en hausse…
A lire également dans le Blog iDealwine :
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Pour en savoir plus :
Liste des crus classés proposée au classement Saint-Emilion grand cru
Liste des membres de la commission de classement
Règlement du classement des crus de l’AOC Saint-Emilion grand cru
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