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ont connu un essor considérable et une renommée très enviable. Grâce à eux, la petite bourgade des bords de Gironde est devenue une imposante et belle cité. Voici l’histoire du vignoble bordelais, son émergence, sa formation et sa suprématie au Moyen-Âge*.

La conquête du marché britannique

Damnant le pion à la Gascogne, le Poitou est, jusqu’au début du 12e siècle, le premier vignoble abreuvant la cour du roi d’Angleterre. Quand on sait que les Anglais occupent l’Aquitaine depuis 1154, il y a de quoi se vexer ! En effet, les Bordelais gardent une rancoeur certaine à l’égard des Rochelais. En 1199, un édit de Jean sans Terre atteste que l’Angleterre s’approvisionne essentiellement de vins du Poitou, et non encore de Gascogne. Les bourgeois de Bordeaux, appuyés par l’archevêque, vont alors plaider auprès de la reine Aliénor pour inverser la tendance et lui demander d’abolir certaines coutumes ancestrales entravant leur commerce. Celle-là leur obtient des libertés commerciales qui permettent au vignoble bordelais de se développer. Le 1er juillet 1199, la charte est signée. Déjà apprécié du prélat, le vin de Bordeaux pouvait très en effet bien convenir à la table royale… Mais les Poitevins (c’est-à-dire les gens de La Rochelle, de Niort et de Saint-Jean d’Angély) ne voient pas d’un bon oeil la protection princière en faveur des marchands de Gascogne. En 1203, comme il avantage ces derniers, Jean sans Terre doit un an plus tard se fendre d’avantages commerciaux pour les Poitevins, histoire de ne pas faire de jaloux. Et pour arrondir les angles, il ne se refuse pas un petit coup de vin d’Anjou en famille. Les Bordelais, à cette époque, avaient donc encore du chemin à faire pour convertir l’aristocratie et l’élite anglaise à ses vins. Pour parvenir à leurs fins, les Bordelais entreprirent de combattre les Rochelais sur le terrain politique.

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Deux guerres menées contre la Guyenne par les rois de Castille et de France les y aidèrent. Ils se rallièrent coup sur coup à la couronne d’Angleterre, une première fois en 1206, après la défaite d’Alphonse VIII, une seconde fois en 1224, après que Jean d’Angleterre eût vaincu Louis VIII. Contre ce ralliement, les Bordelais obtinrent les faveurs commerciales du roi vis-à-vis de leurs vins, et même la nomination d’un maire. Les Poitevins, en 1224, soutenaient le roi de France, les Bordelais le roi d’Angleterre : la rupture fut consommée. La Rochelle se vit désormais fermer l’accès des ports reconnaissant l’autorité du roi d’Angleterre et Bordeaux prit ainsi la position dominante qui avait longtemps été celle de sa rivale. Désormais, c’est Bordeaux qui fournit les trois-quarts des vins consommés au royaume d’Albion, notamment par l’aristocratie. En 1307, Edouard II en fit même expédier mille tonneaux à Londres actuel, empiétant sur les bois et les landes environnantes. Même les terres humides de fonds de vallées (palus) furent plantées. Vers1350-1360, l’image que l’on a du vignoble n’est guère différente de celle qui sera présente quelque cinq siècles plus tard, à la veille du phylloxera. L’archevêque, par son action de propagande auprès des grands seigneurs, joua également un grand rôle dans cet essor.

Extension du commerce d’exportation des vins vers l’arrière-pays aquitain

Le vin de Bordeaux partait pour l’Angleterre mais naviguait aussi par voie maritime vers l’arrière-pays aquitain. En retour, toutes ces régions profitaient de l’essor commercial et pouvaient à leur tour exporter leurs vins vers l’Angleterre. Bergerac, Cahors, Gaillac, Pamiers en Ariège envoyèrent ainsi leurs vins à la Cour. Moissac et Saint-Émilion tirèrent également parti de ces transactions, de même que Libourne, Fronsac, Sainte-Foy, Bourg-sur-Gironde… L’octroi de libertés municipales allait de pair avec les profits procurés par la vente de vin et ces petites villes prospérèrent. Comme la Chine aujourd’hui, l’Angleterre était devenue l’eldorado, le marché où tout le monde voulait vendre. Les routes du vin, fluviales et terrestres, furent dès lors indissociables d’importants travaux publics facilitant ces voies commerciales.

Le privilège de Bordeaux

Dès le 14e siècle, la réglementation en matière de commerce de vins était stricte : on parlait de « police des vins ». Selon ces règles, seuls les bourgeois de Bordeaux avaient le monopole de la vente du vin produit dans le district suburbain. Les autres devaient attendre qu’ils eussent écoulé leur marchandise. Rappelons que ce commerce suivait généralement la vendange, les marchands demandant essentiellement du vin de l’année, nouvellement mis en fûts. Le reliquat de vins moins bons était d’abord renvoyé d’Angleterre au début de l’automne. La flotte accostait en Gironde de cette façon début octobre. Là, pendant huit à dix semaines, la foire de Bordeaux battait son plein. Ensuite le vin nouveau était chargé et repartait pour les fêtes de Noël. Les Bordelais, habiles, firent en sorte de n’être point gênés par la concurrence des vins du haut pays durant cette période de fructueuses affaires. La Guerre de Cent Ans pesa dans la balance car les villes de Cahors, Agen, Moissac notamment portèrent leur aide au roi de France et furent considérées comme rebelles. Edouard III, dès lors, appuya plus que jamais pour octroyer des avantages commerciaux largement favorables à Bordeaux, réduisant l’accès de la Garonne à ces villes concurrentes. Habilement, Bordeaux leur gêna l’accès à La Gironde sans interdire la vente de leurs vins, se réservant d’avoir des rapports cordiaux avec ces régions (Gaillac, Cahors notamment) qui pouvaient aussi, grâce à des vins plus colorés et plus mûrs, relever la qualité des leurs…

Mais Bordeaux craignait surtout que ne se formât un vignoble concurrent dans le Médoc, avec un large accès à la Gironde. Ils obtinrent alors d’Henri IV qu’il interdît l’exportation directe vers les pays du Nord. Dissuasif…

Ce privilège de Bordeaux survécut à la reconquête de la ville par le roi de France. Charles VII, en 1453, commença par l’abolir mais Louis XI le rétablit dans son intégralité en 1461 ; les vins d’autres vignobles comme Cahors, Agen, Moissac etc. ne pouvaient donc rejoindre le port de Bordeaux pour y être vendus avant Noël, laissant ainsi le champ libre aux vins de Bordeaux. Ces vins devaient aussi être déchargés dans le faubourg des Chartreux, dit des Chartrons, et dans des fûts différents, pour ne pas être confondus avec les vins de Bordeaux.

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Ce « privilège de Bordeaux », en fait un astucieux et implacable système de prohibitions, assura la prospérité de la ville et de son vignoble durant quatre siècles. Cette « police des vins » fut abolie par édit royal en 1776 mais ses effets perdurèrent même après cette date.

Aujourd’hui encore, l’absence de production en amont de Saint-Macaire, le long de la Garonne (en dépit d’un climat et de sols favorables) en est une résultante directe. D’autres régions aussi, entravées dans leur commerce, renoncèrent à la viticulture pour d’autres activités ; ainsi d’Agen et de ses prunes. Bergerac, Cahors et Gaillac s’en sortirent mieux, mais souffrirent beaucoup de l’emprise protectionniste bordelaise.

Roger Dion, Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au 19e siècle, CNRS Editions.

* Nous poursuivrons l’épopée du vignoble bordelais dans la suite de cette série.

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Le vignoble médiéval de La Rochelle (07/11/2011)

Histoire du vin : l’essor du commerce du vin au Moyen-Age (07/10/2011)

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